- Pour certains intellectuels, les musulmans de France sont assignés à se désolidariser de l'attentat contre Charlie Hebdo. Qu'en pensez-vous ? Ceux qui ont relancé ce débat ne sont probablement pas ceux qu'on peut appeler de véritables intellectuels. Ce sont plutôt des militants qui assurent la promotion d'idées politiques qu'on connaît bien. Ce ne sont que des figurants d'une idéologie raciste. Le pire, c'est qu'ils savent parfaitement ce qu'est la réalité de l'islam et des musulmans de France. La communauté musulmane n'a pas de leçon à recevoir. Moi-même et d'autres étions cosignataires de l'appel «Nous sommes aussi des sales Français», publié dans Le Figaro, lors du malheureux assassinat d'Hervé Gourdel. D'ailleurs, nous avons été reçus à l'Elysée, avec plusieurs associations et membres de la communauté musulmane, et remerciés par le président Hollande qui a apprécié nos démarches de solidarité républicaine. Néanmoins, il est dans notre intérêt de garder l'initiative pour dire que les terroristes ne nous représentent aucunement. La France est comme une mère ou une épouse qui a besoin qu'on lui dise qu'on l'aime en période de tensions. Il faut couper l'herbe sous le pied des adeptes de l'ennemi de l'intérieur. - Comment porter et généraliser cette parole de sagesse ? Les intellectuels musulmans et les représentants de l'islam en France sont en mesure de porter cette parole partout en France. Encore faut-il qu'on nous donne davantage la parole. Jusque-là, on n'entend pratiquement que ceux qui dénigrent injustement l'islam et les musulmans de France, en les amalgamant avec le terrorisme. Il faut que les médias français jouent l'apaisement et donnent la parole aux bonnes personnes. Ce que, malheureusement, ils ne font pas ou trop peu. Dans ce sens, j'appelle à la responsabilité ceux qui jettent de l'huile sur le feu. Ceux qui sont devenus les nouveaux porte-parole de l'extrême droite ; les Zemmour, Houellebecq, Rioufol, etc. Pour l'instant, ce sont ces gens-là qui sont le véritable danger pour la République et non pas les musulmans de France. - Quelle est la bonne réaction à avoir pour les membres de la communauté musulmane, victimes de stigmatisation et d'amalgames ? La bonne réaction, c'est d'abord la sérénité. Il faut qu'ils restent intelligents et ne tombent pas dans le piège tendu par les discours et les actes de haine. Pour cela, il nous faut un profond travail de pédagogie. Les musulmans de France doivent expliquer aux autres concitoyens qui ne connaissent pas grand-chose de notre religion que l'islam est une religion de paix et de tolérance. C'est un rôle et une responsabilité à assumer au quotidien. Il faut propager la véritable image de l'islam à la place de celle renvoyée par les terroristes et certains médias : islam de la violence, islam de la burqa, etc. Donc, ce travail de pédagogie est la responsabilité de tous les musulmans et particulièrement des représentants de la communauté musulmane. J'espère que ces derniers mettront de côté leurs différends. Je recommande à toutes les institutions de l'islam en France d'élire un seul porte-parole, courageux et capable de dire clairement les choses. - Plusieurs attaques revanchardes contre des mosquées ont été commises hier matin. Sommes-nous vraiment au bord d'une guerre civile confessionnelle ? Guerre civile est un terme un peu trop fort, même si certains l'évoquent. Par contre, le climat est vraiment inquiétant. D'ailleurs, personnellement j'ai tiré la sonnette d'alarme depuis longtemps concernant la montée des actes antimusulmans, comme les profanations des lieux de culte et des cimetières, en Europe et particulièrement en France. Certains groupuscules identitaires d'extrême droite profitent de ce genre d'événements pour pousser au pourrissement, dans l'espoir d'engendrer une confrontation communautaire. C'est un grave danger qui nous guette, contre lequel les médias et l'Etat français doivent lutter. C'est aussi le rôle des religieux, musulmans, chrétiens et juifs, de travailler ensemble afin de désamorcer cette bombe à retardement.
