C'est un autre monde qui s'est ouvert devant moi !» C'est en ces termes que Tassadit B., la cinquantaine, a qualifié sa vie qui est devenue «différente» après les cours d'alphabétisation, «destinés aux vieilles», selon elle. Le programme de lutte contre l'analphabétisme lancé depuis plusieurs années rencontre un franc succès parmi la population d'Ililane, un village de la commune de Makouda, au nord de la wilaya de Tizi Ouzou. Des femmes privées de scolarité durant la période coloniale, d'autres qui ont été empêchées après l'indépendance de rejoindre les quelques écoles primaires disponibles alors, savourent désormais les plaisirs de l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul. Une quinzaine de femmes se donnent rendez-vous tous les samedis à l'école primaire du village. C'est avec le sourire qu'elles retrouvent leur classe et leur enseignante. «Jeunes, nous étions obligés de renoncer au rêve d'aller étudier. L'école coranique du village ou encore les cours dispensés à l'école coloniale n'étaient pas accessible à tous. La misère et la rudesse de la guerre nous ont cantonnées dans l'ignorance», rappellent-elles, fières d'avoir connu et côtoyé les valeureux héros de la Révolution nationale que compte ce village. Durant les quelques heures de rencontre entre les femmes du village et l'enseignante, toutes veulent rattraper «le temps perdu». «Moi j'aimerais bien pouvoir comprendre ce qui se dit à la télé, répondre au téléphone et composer moi-même mes numéros», soutient Fatma, la soixantaine bien entamée. Et d'ajouter : «Vous, les enfants de l'indépendance, vous ne pouvez pas comprendre ce que c'est que de faire toujours appel à quelqu'un pour appeler son fils installé à l'étranger...» Naïma S., âgée d'à peine 43 ans, attend plus de ces cours : «Je n'ai pas eu la chance d'étudier comme tous les enfants de mon âge. Mon grand-père était contre la scolarisation des filles. J'ai renoncé à l'école après une année d'études seulement. Maintenant que les choses ont évolué, je veux étudier et suivre une formation professionnelle.» Naima qui suit avec assiduité, se réfère à d'autres filles des villages voisins qui ont décroché l'attestation confirmant le niveau requis pour accéder à la formation de couturière. «Maintenant je peux écrire les recettes et les comprendre je pourrais postuler pour une formation en confection de gâteaux orientaux. Je pourrais ouvrir une pâtisserie…» Les rêves n'ont plus de limite pour cette jeune femme, dont l'horizon, il y a quelques années seulement, se limitait aux tâches ménagères. L'accès aux cours d'alphabétisation est semé d'embûches. Les enseignants se plaignent de l'indisponibilité des salles de cours. «Nous sommes contraints d'aménager nos horaires selon la disponibilité des salles de cours dans les écoles primaires. Pour mon cas, c'est le samedi seulement que je peux dispenser mes cours», explique une jeune enseignante qui a requis l'anonymat trouvant cette contrainte préjudiciable pour le bon fonctionnement de ce programme. Cette enseignante est déléguée à l'association Iqraa, partenaire de l'Office national d'alphabétisation et de l'enseignement des adultes. Dans la capitale, le problème des horaires est également soulevé. «Plusieurs femmes éprouvent des difficultés pour se libérer en fin de journée vu leur situation familiale», explique une apprenante au niveau de l'école aménagée au siège de l'association, à El Mouradia. Pour la gent masculine, le problème se pose moins, apprend-on.