Le n° 6 de la revue du CNPLET Timsal n'Tamazight sorti le 9 février entreprend de lancer un débat sur la lancinante question de la normalisation graphique de tamazight, aujourd'hui langue officielle. L'influence de l'écriture sur la vie sociale a toujours été d'une importance capitale. Néanmoins, la représentation de la parole à l'aide de signes graphiques ne doit pas être enfermée dans l'opposition classique entre l'oral et l'écrit (comme une simple inscription de signes sur un support), mais envisagée nécessairement en rapport à l'organisation sociale dans son entier. L'écriture ne permet pas seulement la communication, mais également la transmission culturelle ; comme l'explique J. Goody (1994-67), elle permet une accumulation des savoirs, «une conservation du passé» et une meilleure «compréhension de nos prédécesseurs». Le passage à l'écrit de la langue amazighe a été accompagné de nombreuses difficultés liées à une orthographe fluctuante, à une représentation graphique instable et complexe, et cela, dans les différentes graphies (tifinagh, latin et arabe). Ces difficultés sont vraisemblablement dues à une normalisation sous-tendue par une logique loin des considérations scientifiques, constituée sur une conception tronquée de la langue. L'objectif visé par le présent numéro de Timsal n'Tamazight est d'interroger d'une manière critique le système graphique en usage de tamazight sur de nombreuses questions fondamentales, mais encore indéterminées, à savoir le découpage des morphogrammes (délimitation des morphèmes, statut des unités grammaticales minimales), l'orthographe, les représentations graphiques (séparées par un blanc, par un trait d'union ou complètement fusionnées), etc. Dans cette optique, le privilège est donné aux approches qui présentent un côté pragmatique important (analyse de pratiques d'écriture, romans, cours, etc., en émission et en réception, lecture), mais les traitements théoriques ont aussi la place qu'il faut. L'occasion est donnée de prospecter de nouvelles perspectives, en s'interrogeant sur l'avantage de l'exploitation de corpus de textes (oraux et écrits) réellement produits dans des pratiques sociales déterminées ainsi que sur l'importance des entretiens qu'il serait possible de mener sur l'orthographe, le lexique, etc. Cette nouvelle considération méthodologique permet de relier la langue, comme dépôt passif, aux productions effectives (la parole), origine véritable des phénomènes linguistiques (Saussure, 2002). Les textes contenus dans ce numéro de Timsal n'Tamazight précèdent un colloque international qui se tiendra en automne 2016 et rendent propice la réunion des conditions intellectuelles favorables à un débat scientifique libéré des entraves idéologiques garantissant des incidences pratiques sur l'amélioration de l'image écrite de tamazight.