Les crimes de Daesh commencent à s'imposer au cinéma arabe comme une thématique contemporaine compliquée. Faniya oua tatabadad » (décadente et se dissipe) est le premier film arabe qui s'attaque ouvertement à l'organisation de l'Etat islamique (Daesh). Réalisé par le syrien Najdat Anzour d'après un scénario de Diala Kamelddine, le long métrage a été projeté, mardi soir à la salle Maghreb à Oran, en avant première arabe à la faveur du 9ème Festival international du film arabe d'Oran. « Faniya oua tatabada » se veut une réponse à une phrase reccurente du discours Daeshien : « Baqia oua tatamadad » (Elle est éternelle et expansive). Même l'affiche du film est une réplique de la « revue » de Daesh, « Dabiq » (du nom d'une localité syrienne). Largement inspiré des faits d'actualité, le long métrage raconte le drame d'un village syrien attaqué par les fidèles de l'étendard noir. Dès le début, le cinéaste montre le caractère barbare des assaillants : les femmes deviennent captives sexuelles, l'enseignant de l'école, un militant de gauche, est pendu, et les habitants soumis à une terreur quotidienne et évolutive. Un immense feu est allumé pour brûler tous les livres. Il est connu que Daesh détruit les livres et les écoles, là où ses hommes passent. Dans certaines régions d'Irak et de Syrie, l'enseignement des maths, de la philosophie et de la chimie a été interdit. Les « suiveurs » d'El Baghdadi ont imposé de « nouveaux » textes, considérant les autres livres comme hérétiques. Nidal, le maître d'école, est exécuté pour avoir tenté de résister à la logique criminelle d'un Emir impitoyable (Faiz Kuzak). Thouraya (Rana Chamis), qui enseigne la langue arabe et qui est en contacte avec son fils, soldat, refuse, elle aussi, l'ordre établi et se base sur sa parfaite connaissance de l'islam modéré. Elle est persécutée par l'Emir qui s'intéresse à sa petite fille Nour attirée par...ses jambes. Thouraya, qui tient tête à l'Emir vicieux, va subir sa terreur. Dans les sous sol, les femmes sont torturées, soumises au viol collectif, livrées à la violence d'une gardienne impitoyable qui apparaît comme une frustrée sexuelle. Les choses basculent lors que l'un des lieutenants découvre que l'Emir mène un faux combat et que le Chef, qui aspire à instaurer « la loi divine », n'est qu'un vicieux, un roublard et manipulateur. Le film narre l'histoire d'une manière linéaire avec des camps bien définis entre victime et bourreaux. Le front Nousrah, autre groupe terroriste, est curieusement traité comme « un allié positif » de l'armée régulière syrienne. Le cinéaste a choisi une forme frontale pour aborder la thématique de Daesh. Il ne lui accorde aucune concession, décortique son discours avec le risque de reprendre sa sinistre littérature. « Il fallait confronter les deux thèses. Nous avions voulu montrer comment nous comprenons l'islam en Syrie. Jamais nous n'avons demandé par le passé quelle est la confession de l'un ou de l'autre. Dans le film, nous avons mis en avant l'idée que la religion peut être utilisée comme une arme à double tranchant. Daesh prend les textes religieux et leur donne une interprétation qu'elle veut. Aussi, le texte disparaît-il, remplacé par l'interprétation. Un idéologue de Daesh considère même le terrorisme comme un devoir religieux ! », a souligné Diala Kamelddine, lors du débat après la projection. La scénariste a précisé qu'il fallait à tous prix éviter de reproduire la propagande de Daesh en ne pas montrant les images de tueries et des exactions. D'où le caractère sonore du long métrage. Les dialogues, parfois longs et détaillés, prennent une importance dans un film clairement orienté vers la destruction de la thèse « idéologique » de Daesh. La discussion entre Thouraya, obligée d'écrire un testament, et un candidat à un attentat suicide résume la philosophie du film. Le jeune kamikaz est un allemand insensible à la mort de civils, femmes et enfants. Pour lui, un imam a rendu « licite » la mort d'innocents dans les endroits publics (le choix du personnage allemand n'est pas fait par hasard, vous l'aurez compris). « Nous avons pris beaucoup de temps pour écrire le scénario. Le film a été produit en 2015. A cette date, Daesh avait déjà pris de l'ampleur grâce aux financements reçus de partout. Il est impossible de raconter l'histoire de cette organisation dans un ou deux films. Mais, il est important de commencer de réfléchir sur la manière de détruire cette organisation fragile de l'intérieure et de dévoiler aux jeunes la vérité de « la religion » défendue par Daesh. Pour Daesh, la mort n'est qu'un début », a analysé la scénariste. Pour elle, les chefs de Daesh ne cherchent que trois choses : le pouvoir, l'argent et le sexe. « Ils sont les pirates du sable. Ils prennent tout ce qu'ils trouvent là où ils débarquent. Dès qu'ils auront tout pris, ils changent d'endroit. Ils vont quitter la Syrie et l'Irak, mais quelle sera leur prochaine destination?On ne le sait pas. Daesh, comme El Qaida, ne disparaît pas avec la mort des chefs », a appuyé Diala Kamelddine. Comme tous les films syriens produits ces dernières années, l'armée régulière est bien présente. Le beau rôle, celui du sauveur, lui est accordé. Un acte artistique assumé par Najdat Anzour connu par ses positions favorables à Bashar Al Assad. « Faniya oua tatabadad » a été projeté dans plusieurs régions de Syrie, mais n'a pas été programmé dans les festivals arabes. Najdat Anzou a été la cible d'une fetwa après avoir critiqué le dynastie Wahabite dans le film « Le roi des sables ». Connu pour ses travaux pour la télévision, il a réalisé deux feuilleton contre le radicalisme religieux : «Al hur al ayn» et « Al Mariqoun ».