La traditionnelle célébration de la nativité du Prophète de l'islam a été, fin 2015, bien plus particulière que ce qui s'annonce pour elle fin 2016. C'est qu'il a correspondu, après 457 ans, soit depuis 1557, avec la fête de Noël ! Il n'en a pas fallu plus pour que se réveillent contre lui les anathèmes de la part d'autoproclamés défenseurs de la vérité islamique, le dénonçant de bidaâ. Plus singulièrement, ce rarissime hasard du croisement des calendriers grégorien et hégirien a constitué un formidable pied-de- nez aux crispations «identitaires» tant en «Occident» qu'en «Orient». Car s'il est de bon ton de vilipender le délestage de ce qui fait notre richesse identitaire et son confinement dans de réductrices constantes nationalitaires, on oublie qu'en Europe il en a été fait de même, cela bien avant que l'islamisme soit devenu triomphant. En effet, l'identité, qui a été tant rabâchée en Algérie, à l'école, aux générations d'avant 1962, celle se revendiquant de la civilisation gréco-latine, a été troquée contre une toute autre, se définissant de judéo-chrétienne. Dans ces pays, on est passés d'une identité culturelle à caractère civilisationnel à une autre ayant pour socle la religion, cela curieusement au moment où les partis politiques se réclamant de la chrétienté y ont perdu du terrain. Revenons aux faits de fin d'année 2015, car, autre hasard du calendrier, le 1er décembre, à trois semaines de la commémoration du Mawlid, le Sboue de Timimoun est classé par l'Unesco patrimoine culturel immatériel de l'humanité, à la demande des autorités algériennes. Ceux qui ont suivi l'actualité se rappellent que les premières réactions hostiles à l'événement ont été le fait des chaînes satellitaires du wahhabisme. Leurs imams médiatiques ont déversé leurs condamnations sur la célébration du Mouloud, entraînant à leur suite leur relais en Algérie. Leur propagande a exhumé une très vieille controverse quant à la légitimité religieuse de cette fête considérée non canonique. Il lui est reproché d'avoir été introduite plus de trois siècles après la mort du Prophète et d'avoir copié la célébration de Noël. En ce qui concerne notre pays, mais depuis la dernière colonisation en date, ce grief est fondé : le Mawlid répondait effectivement en écho à Noël, mais en sens inverse, pour contrecarrer l'agressive politique de déculturation que le pays subissait. En ce sens, le Mouloud a été un marqueur identitaire différenciant les «Indigènes» des colonisateurs dont Noël est l'apanage. Miloud et Milouda Cela est si vrai que la résistance à la dépersonnalisation a été poussée au point que nombre de clubs de football «indigènes» ont eu pour nom Mouloudia et que les prénoms de Mouloud, Milouda et Miloud étaient légion par rapport à aujourd'hui. L'ignorant, ou peu soucieux des causes de ce particularisme, les détracteurs de tous bords, sur des canaux algériens de télévisions privées se sont ligués, usant d'un simpliste argument qui n'a pas été sans faire mouche sur certains segments de la société, acquis à leur idéologie, école fondamentaliste plutôt que fondamentale oblige : «le Prophète n'a pas besoin qu'on le fête, mais qu'on suive son exemple, c'est-à-dire sa sira !». Pour les «moins intolérants» d'entre eux, la fête devrait s'écarter de tout ce qui est festif pour se limiter à une cérémonie religieuse consacrée au recueillement, aux prières et au medh. Cette fetwa est d'ailleurs en train de passer dans les mœurs. C'est que l'activisme islamiste n'étant pas à sa première offensive de lobotomisation culturelle, a acquis une expérience après s'être attaqué avec succès à la fête de Noël, puis au réveillon, au cours de la décennie écoulée. Pourtant, les Algériens ne s'en sont appropriés qu'après l'indépendance, une fois disparue l'adversité que leur faisait subir l'Autre. Par ailleurs, il n'en a été retenu que la gourmandise de la bûche du 25 décembre, alors que pour ce qui est du 31 décembre, c'est le sens de la fête à la faveur du Nouvel an. Pour les déchoir, l'islamisme s'est attaqué au premier, en suscitant le doute sur l'islamité des pâtissiers. Et au terme de plus d'une décennie de pressions répétées, il a obtenu qu'aucune bûche ne figure plus sur la liste de leurs gâteaux et qu'aucune guirlande n'orne leurs vitrines à l'approche de Noël. Pour ce qui est du réveillon, des affiches étaient placardées et continuent de l'être sur les artères des grandes villes, usant de mots d'ordre culpabilisateurs. D'aucuns ont estimé qu'une solide organisation était derrière, du fait de la logistique déployée et du financement qu'elle a nécessité. Par contre, et paradoxe, les autorités demeurées muettes sur les attaques concernant le Mouloud, comme sur l'affichage christianophobe, ont apporté au même moment leur caution et leur appui à une autre célébration, celle de Yennayer qui, elle, coïncide chaque année avec le 12 janvier. Et là, il y a indéniablement un défi que les islamistes n'ont curieusement pas osé relever. C'est qu'en face, Yennayer est défendu et revendiqué comme patrimoine amazigh par des forces qui disposent de capacités de mobilisation non négligeables. Les autorités, comme depuis 1962, ont joué des rapports en présence pour se positionner à leur avantage. Mais en fait, qu'en est-il de Yennayer ? Son étymologie est à relier avec le terme latin Januarius dérivé du nom de Janus, le dieu romain auquel le premier mois de l'année était consacré. La relation est d'autant plus certaine que l'Algérie a été une colonie romaine, de -25 à +430, soit durant 450 ans. Or, Yennayer est daté à 950 avant JC par certains, depuis l'intronisation de Sheshong pharaon d'Egypte et sous la bannière duquel est quêtée une plus ancienne ancestralité amazighe. Face à eux, les chercheurs et les historiens se sont démarqués, rappelant que Sheshong n'a jamais été un guerrier à la tête de troupes numides, ni un aguellid. Il a été un général égyptien, d'origine lebou certes, qui a accédé, par une sorte de coup d'Etat, à la dignité de Pharaon. Quant à une hypothétique bataille gagnée par lui contre Ramses III qui ferait de Yennayer la célébration de cette victoire, il s'avère que les deux personnages ne sont pas contemporains ! Mais ceci étant, et au-delà de ces considérations, pour d'aucuns, l'essentiel est que Yennayer est fêté par tous les Algériens, qu'ils soient amazighophones ou arabophones. Tous s'y reconnaissent. Pourvu qu'on ne continue pas à en faire un facteur de dissociation et qu'il perdure sans qu'il soit besoin d'un classement au patrimoine immatériel mondial pour le maintenir dans nos mœurs.