Les majestueuses forêts de ce point paradisiaque, en majorité des chênaies, qui écrasent du haut de leurs arbres l'orgueil de l'homme et lui imposent modestie, n'ont pas pu, hélas, le faire départir de ces actes hautement nuisibles qui risquent à la longue de déstructurer et rendre caduc, tout ce que Dame Nature a pu constituer depuis que le monde est monde. Et pourtant, nos aïeuls, seulement par empirisme, avaient su préserver et nous léguer intact le biotope de Yakourène. Tout un système où foisonne la vie. On raconte dans les patelins environnants, que la forêt fut un allié de taille pour les moudjahidine et les résistants ayant combattu le colonialisme français. Si les impénétrables massifs forestiers de la région furent de redoutables fiefs de la révolution, les moudjahidine pouvaient aussi compter sur la discrétion des singes magots. Les histoires en ce sens ne manquent pas. Un jeune d'Aït Aissi, village situé en amont de la commune d'Akerrou et dépendant de Yakourène, fera savoir à ce propos que les anciens de la région leur avaient transmis un récit, dont la quintessence met en exergue la relation fusionnelle entre les habitants de Yakourène et leur forêt. « Un vieux nous a raconté que le passage des moudjahidine, quel que soit leur nombre, n'a jamais été trahi par les cris assourdissants des clans de macaques qui vivaient ici. Jamais ils (singes magots) n'étaient à l'origine de la capture d'un moudjahid. A l'instar des ânes et des mulets, les singes avaient également souffert de la présence coloniale », insiste-t-il. Autres temps, autres réflexes. Les singes magots de la région, notamment les clans dont les territoires sont à proximité de la section de la RN12 reliant Azazga à Yakourène, viennent chercher leurs nourritures carrément dans la main de l'homme. Une nourriture qui risque malheureusement de non seulement bouleverser leur mode nutritionnel originel, mais, pire, de concourir à leur disparition. « On leur jette de tout, même des friandises et des boissons sucrées. Ce qui est nocif pour eux qui naturellement doivent se nourrir de ce que leur offre la forêt », se désole un fonctionnaire à la retraite de Tizi Ouzou, attendant son tour pour remplir des jerricans dans l'une des fontaines aux eaux fraîches, dont on dit qu'elles ont de nombreuses propriétés curatives. Depuis des années déjà, cette espèce de singe est protégée, car elle risque tout bonnement de disparaître. Sa population vivant toujours à l'état sauvage, localisée essentiellement en Algérie et au Maroc, ne cesse de dépérir. « J'ai remarqué que le nombre des singes que je rencontre ici a diminué depuis l'année dernière. Je ne sais pas pourquoi, mais la différence saute aux yeux », estime Yacine de Fréha. Attraction par excellence des touristes qui viennent en majorité, ici, rien que pour le plaisir de les voir, les singes magots ne développent désormais plus d'agressivité à la vue de l'homme et ne se sentent a priori pas en danger à la vue des dizaines de voitures et autant de curieux. Mieux encore, ils essayent pour ainsi dire de mettre à profit cette proximité afin de « mendier » la pitance. « Hélas, ils sont réduits à l'échelle d'assistés. C'est une forme de passivité qui chamboule même les habitudes des plus âgés d'entre eux. D'ailleurs, même les petits singes s'aventurent sans craintes devant les visiteurs pour prendre leur part de nourriture. C'est un massacre », déplore Rachid, maçon travaillant à Alger. Sur la RN12 de Yakourène, des scènes où des petits enfants accompagnés par leurs parents ou bien des groupes d'amis, offrant des friandises aux singes magots, ne sont pas des cas isolés. Bien que des citoyens, soucieux de la pérennité de l'espèce, les sensibilisent pour arrêter le massacre, nombreux sont ceux qui ne prennent pas conscience du danger de leur acte. « J'ai un voisin qui a élevé des années durant une femelle. Il lui donnait de tout. Ce n'est pas pour autant qu'elle est passée de vie à trépas. Elle est morte de vieillesse », justifie son acte un sexagénaire habitant Alger-Centre. « Ils se nourrissent même des poubelles jetées n'importe où par les visiteurs de la forêt et même par certains qui exercent le commerce ici », renseigne un autre. Loin de la RN12, les singes magots tentent crânement de préserver leur mode de vie originel. « Au contraire des singes qui fréquentent la route, ceux vivant au cœur de la forêt et loin de la route sont agressifs et ne tolèrent pas facilement à quelqu'un d'importuner si j'ose dire leur vie sauvage. Ils se nourrissent toujours de la végétation et des fruits bien sains », souligne un villageois d'Aït Aissi qui, au passage, raconte une anecdote, dont il était témoin et qui résume l'importance du territoire pour cette espèce en voie de disparition. « Il y a quelques années de cela, un incendie s'est déclaré en forêt, tous les animaux fuyaient les flammes en passant dans les territoires non calcinés. Un clan de singes rangé en ordre de bataille refusa l'accès à un autre clan qui, par instinct de survie, a été obligé de quitter son habitat en feu. C'est une scène qui peut paraître choquante, mais c'est la loi de la forêt », se souvient-il. Cette loi même de la forêt risque à la longue de devenir obsolète si un jour les clans de singes magots, qui se disputent encore entre eux des territoires, venaient tout simplement à disparaître.