Vous avez ou vous auriez dû remarquer qu'il n'y avait rien de spécial à remarquer ces deux derniers jours et nuits. Ou plutôt si, dans certains quartiers habitués aux «fastes» permanents des explosions pyrotechniques sans raison sinon celle de contrevenir à la loi, les habitants ont pu profiter quelque peu d'un sommeil en continu. Normal, le «trabendo» ignore les célébrations populaires et plus encore celles susceptibles de revêtir un caractère officiel. Sur les balcons, nul signe de pavoisement. Normal-bis, l'équipe nationale de football n'est pas en compétition et ne mène nulle part une mère des batailles digne du «Wantoothrisme» national. Jours calendaires ordinaires donc, printaniers en automne et routiniers comme des cœurs privés de leur carburant émotionnel. Même pas ce petit pincement qui vient d'un pas discret, mais culpabilisant chatouiller des consciences engourdies et oublieuses. Non, dans l'ensemble le 1er novembre est un jour comme un autre. Que l'événement fût décennaire n'apparaissait que dans un logo télévisuel et les oriflammes plastifiées communs à «Youm el-ilm», la journée du chahid ou une quinzaine commerciale dans un chef-lieu communal donné. Pourtant, c'est aujourd'hui le Soixantenaire de la Révolution du 1er-Novembre-1954, un événement de portée mondiale en son temps déjà, parce qu'il était précurseur d'un autre monde en devenir. Des cérémonies officielles vont marquer l'événement partout en Algérie. Mais le problème, avec ces «trucs» protocolaires, c'est que très souvent, pour ne pas dire toujours, la dimension authentiquement populaire et festive y est absente. Quelqu'un a-t-il relevé sur Facebook, réseau sur lequel «réseautent» de plus en plus les Algériens, un appel civil (sic) à rassemblement entre simples citoyens désireux de célébrer à leur façon cette date historique ? Les Algériens de Paris, eux, l'ont fait dans une fraternelle convivialité pour un autre événement dont la célébration précède de 15 jours celle du 1er novembre. Le 17 octobre dernier, ils étaient nombreux à jeter depuis le Pont Saint-Michel des roses dans La Seine, ce fleuve qui avait englouti des dizaines de corps d'Algériens balancés des quais par la police du préfet Papon. Pourquoi là-bas et pas ici ? Pertinente question qu'un seul et simple écrit ne pourra épuiser. Disons pour faire simple que l'Algérien non structuré dans un «réseau» ou mangeoire d'une certaine périphérie répugne à tout ce qui sent l'officiel. Sauf pour le foot en célébration dans ses manifestations de sous-culture débilitante et violente. Triste vérité qui ne peut ni ne doit être occultée. L'appropriation des symboles de la révolution par le pouvoir et ses relais ont eu pour effet un clivage qui, en catégorisant le patriotisme et en le liant à la distribution de la rente, a fait oublier que cette grande vertu n'a pas censément d'existence en dehors du peuple dans ses plus larges segments. Un autre des effets pervers de cette indue appropriation est que le patriotisme des Algériens a fini par s'apprécier à l'aune du «principe de Peter» : plus on monte, moins il y en a. Mais c'est le propre de toute révolution, selon Napoléon Bonaparte, de connaître ce genre de finalité contrariée : «Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent.» A. S.