L'art, à l'image des sociétés, se transforme et se développe en s'inspirant de son environnement. Les cultures, dans leur essence, sont ouvertes et s'empruntent des modes d'expressions, des styles et des formes pour s'épanouir, se renouveler et survivre au temps. Par définition, une culture fermée est une culture morte. Mais cette ouverture sur l'autre doit se faire toujours dans l'intelligence pour ne pas se dénaturer, se travestir et se diluer complètement. Depuis toujours, les artistes et les créateurs ont un œil attentif sur ce qui se fait ailleurs, à l'étranger. En vérité, ils ne peuvent aucunement vivre en autarcie. La mode aujourd'hui consiste à «adopter» des cultures étrangères en leur donnant un cachet local. Dans la musique, le théâtre ou le cinéma, on assiste à l'émergence d'une tendance planétaire qui privilégie les «mixages» et les «métissages». Beaucoup d'artistes et de producteurs algériens «importent» des postures et des formules, parfois sans adopter les bonnes pratiques et les mesures adéquates, rien que pour l'illusion d'être dans l'air du temps. Au nom du rapprochement et de l'ouverture des cultures, le hip-hop, les arts urbains, la nouvelle vague littéraire et les jeunes cinéastes ne s'encombrent plus de l'effort d'adaptation indispensable à ce type d'emprunts. Pour être clair, on doit «importer» dans le seul souci d'insuffler une seconde vie à sa propre culture, lui offrir une dimension supérieure pour pouvoir, à son tour, l'exporter. En un mot à sa pénétration réelle dans les foyers, les établissements scolaires, les librairies et les bibliothèques. Avant et après de tels événements, on discute souvent de la lecture et de son importance dans l'émancipation de la société. Mais on ne s'attarde pas suffisamment sur les lacunes profondes et les contraintes réelles qui contrarient l'industrie du livre. Dans le cas propre de l'Algérie, on oublie vite que le pays a vécu plus d'un siècle sous le joug d'un colonialisme de peuplement qui avait systématiquement instauré et méthodiquement appliqué une politique de déculturation massive du peuple. La question qui se pose aujourd'hui est la suivante : peut-on réparer, en 50 ans d'indépendance, les torts causés par 130 ans de domination et d'aliénation ? Difficile de répondre. Le livre, en tant que premier paravent de la culture et son premier vecteur de transmission, a-t-il été convenablement utilisé durant les premières années après l'indépendance pour se réapproprier et revaloriser la culture algérienne authentique ? À ce propos, où réside exactement l'authenticité dans ce domaine ? Ne faut-il pas faire la distinction entre le contenant et le contenu ? À sujet précisément, la langue du colonisateur et la culture qu'elle véhicule, qui prévalent et prévaudront encore pour longtemps dans le pays, doivent-elles être considérées comme un enrichissement (butin de guerre) ou comme une fatalité supplémentaire à surmonter ? À l'évidence, la maîtrise des langues étrangères est une vertu qui permet à la culture locale de s'ouvrir sur de nouveaux horizons et de mieux défendre ses chances dans le village mondial. Mais, ne faut-il pas cependant se méfier des langues et de leur subtilité ? En d'autres termes, que lire ? Comment s'y prendre ? Faut-il prendre pour argent comptant tout ce qui est édité et mis sur le marché ? Comment distinguer le vrai du faux ? À la lumière de toutes ces questions, on réalise que la lecture est un art auquel on doit aussi s'initier. Or, dans ce domaine, comme dans tous les autres, rien ne remplace la pratique. C'est au fil de ses lectures personnelles qu'on se forge un esprit critique, un tempérament. On ne peut pas tout apprendre à quelqu'un et lui imposer de s'y conformer. D'où la nécessité impérieuse de remettre le livre à sa place dans la rue, les cités populeuses et les agglomérations enclavées. Le rendre accessible à tous, quitte à le subventionner. Ainsi, on verra tous plus clair et on saura, au final, faire la part des choses. K. A.