L'émotion étai fortement présente à l'occasion du vibrant hommage rendu au regretté Azzedine Medjoubi, mardi passé, à l'hôtel Safir d'Alger, dans le cadre de la dixième édition du Festival national du théâtre professionnel d'Alger (Fntp) en présence de sa famille, ses proches et la famille du théâtre. Il y a vingt ans, lors de cette funeste journée du 13 février 1995, Azzedine Medjoubi était assassiné à la sortie du Théâtre national algérien dont il était le directeur. Avec cet assassinat, les terroristes n'ont pas seulement ciblé un homme et un artiste, mais un symbole puissant du quatrième art algérien qui a tant brillé en tant que comédien sur les planches et metteur en scène qu'en tant qu'homme altruiste et généreux proche de ses pairs. Le commissaire du Fntp, Mohamed Yahiaoui, initiateur de cet hommage et qui avait accueilli Azzedine Medjoubi, à l'époque en pleine traversée de désert, au sein du Théâtre régional de Batna pour la mise en scène de la pièce à succès Aalam Al Baouch, témoigne d'une voix vibrante d'émotion : «C'était l'un des plus grands comédiens et dramaturges. Il a sillonné le territoire national pour représenter son art. Nous devons lui être reconnaissants pour tout ce qu'il a apporté au quatrième art algérien. Il est de notre devoir de suivre son exemple». Il précisera à propos de cet hommage : «On ne voulait pas des pensées larmoyantes, mais surtout revendiquer un héritage légué pour la culture, par la santé et par l'âme, et ce, par devoir de mémoire.» Omar Fetmouche, auteur de Aalam Al Baouch et qui avait proposé Medjoubi à Yahiaoui confiera pour sa part : «L'essentiel a été dis sur cet être généreux et grand homme de théâtre. Je voudrais toutefois souligner à quel point sa manière d'approcher l'œuvre était unique. C'était un génie pour dépister les parfaites expressions, atmosphères et situations afin de sublimer la pièce sur les planches.» Pour illustrer ses propos, Omar Fetmouche relatera l'anecdote du bruitage de la scène de l'imprimerie dans Aalam Al Baouch. Medjoubi qui détestait les enregistrements car il considérait que les comédiens étaient l'élément central d'une pièce, avait trouvé lors d'un repas de travail la solution, grâce aux bruit de fourchettes, de cuillères et du tapotement des doigts sur la table. Omar Fetmouche soulignera également l'importance du tempo rythmique de la pièce chez Azzedine Medjoubi, qui considérait qu'une pièce était une partition musicale qui devait être parfaitement synchronisée. De son côté, Hamid Allaoui, chargé du programme scientifique et académique de cette 10e édition du Fntp lancera un appel pour réunir le plus de documents sur l'œuvre et le parcours de Azzedine Medjoubi, estimant que «l'absence d'archives et la documentation concernant cette période crée un malaise et interpelle sur la nécessité de restituer cette mémoire et alimenter les recherches et les pistes de réflexions. Les jeunes générations vont nous demander des comptes». Ziani Chérif Ayad, qui a partagé avec Azzedine Medjoubi l'expérience de Masrah Al Qalaa, aux cotés de Sonia, Dalila Hlilou et M'hamed Benguettaf, confie qu'il «a côtoyé un comédien au-dessus du talent». Sa générosité de cœur et d'esprit, son altruisme, même dans les périodes de disettes où il vidait ses poches pour partager le peu qu'il avait avec ses compagnons de scène, ont également été mis en reliefs lors de cet hommage par de nombreux témoignages et des anecdotes amusantes. A l'instar du scénographe Abderrahmane Zaaboubi, qui a rendu hommage à l'esprit créatif du metteur en scène, de Djamel Marir qui a souligné que «Azzedine n'est pas parti, il est là, c'est une étoile qui brille toujours». Lotfi Ben Sbaa confie comment, avec son esprit farceur, il jouait sur la plus grande faille de ce grand homme de théâtre, «sa naïveté et sa foi en la bonté humaine». De même, la grande comédienne du Théâtre régional de Batna, Saliha Benbrahim, relatera les conditions chaleureuses et fraternelles dans lesquelles travaillait Azzedine Medjoubi en tant que metteur en scène. Elle affirmera à ce propos que «dès qu'il sentait une friction entre les comédiens, il suspendait la répétition pour nous dire : Aimez-vous, sans amour vous ne ferez pas du bon travail» Au final, Kheireddine, le fils ainé de Medjoubi, confiera : «Azzedine en tant que père à combler mon cœur d'amour, de respect et de confiance. Il avait une grande confiance dans la vie.» Il ajoute après quelques instants de silence poignant : «Quand on parlait de théâtre avec mon père, il devenait comme un enfant qui assiste pour la première fois à l'envol d'un papillon.» Submergé par un flot d'émotions Kheireddine puisera dans toute ses forces pour déclarer d'une voix nouée : «Aujourd'hui, quand j'entends les gens parler de mon père, je ne peux qu'être fier de porter ce nom : Medjoubi.» L'émotion était également présente avec le poignant témoignage de la veuve de Medjoubi, qui n'a pas pu contenir ses larmes au début de l'hommage et qui a repris la parole à la fin pour déclarer : «On n'oubliera pas que Azzedine a été assassiné sans raison. Une commémoration ce n'est pas de la nostalgie. C'est un rappel de l'histoire contre l'oubli.» En conclusion, aujourd'hui, il devient urgent de transcrire cet héritage, ces témoignages et les transmettre aux nouvelles générations. Au-delà du temps et de la mort, l'«Anza» du regretté disparu, dont le sang est imprégné a jamais dans le sol juxtaposant le TNA, interpellera les mémoires pour que sa mort ne soit pas vaine, qu'au-delà des haltes tragiques de l'histoire, «El Hafila» poursuive son chemin et le flambeau de l'excellence dans le 4e art ne s'éteigne jamais. S. B.