Le dollar fort ampute les résultats d'un nombre croissant d'entreprises américaines, à commencer par les grandes marques multinationales. Le fabricant de produits d'hygiène et de cosmétiques Procter & Gamble en est l'une des dernières victimes. Le propriétaire des rasoirs Gillette, des couches-culottes Pampers, de la lessive Bonux et des produits d'entretien Mr. Propre a annoncé mardi un recul de 31% à 2,4 milliards de dollars de son bénéfice net sur le trimestre achevé fin décembre, le deuxième de son exercice décalé. Si la baisse s'explique en partie par des frais de restructuration, ce n'est pas le cas pour le chiffre d'affaires, qui a diminué de 4% à 20,2 milliards essentiellement à cause de changes défavorables: P&G évalue à 5% la perte occasionnée par la conversion en dollars des résultats de ses ventes à l'étranger. Le trimestre "a été difficile, avec des dévaluations de devises sans précédent", a reconnu son P-DG, A.G. Lafley. "Presque toutes les devises du monde se sont dévaluées par rapport au dollar américain, emmenées par le rouble russe." Et cette situation devrait durer: P&G estime que sur l'exercice 2014/2015, les changes défavorables réduiront son chiffre d'affaires de 5% et son bénéfice net de 12%, soit "au moins 1,4 milliard de dollars après impôts", dont 1 milliard imputé à seulement six pays, "la Russie, l'Ukraine, le Venezuela, l'Argentine, le Japon et maintenant la Suisse", a détaillé le directeur financier, Jon Moeller. "C'est plus du double de l'impact envisagé le trimestre passé, et cinq fois l'impact que nous attendions en début d'exercice." P&G n'est pas le premier à se plaindre d'une détérioration ces derniers mois sur le marché des changes. Son concurrent Kimberly-Clark, propriétaire entre autres des couches-culottes Huggies et des mouchoirs en papier Kleenex, a estimé vendredi que les changes défavorables avaient réduit son chiffre d'affaires de 2% sur l'année 2014 et de 4% au quatrième trimestre, et qu'ils pèseraient encore à hauteur de 8% à 9% sur l'ensemble de l'année 2015 (dont 3 points liés à la politique de change du Venezuela, qui s'ajoute au handicap représenté par le dollar fort). Le problème dépasse les fabricants de produits de grande consommation. Les effets négatifs du dollar fort ont ainsi été invoqués ce trimestre, à des degrés variés, par des groupes aussi divers que le spécialiste de la restauration rapide McDonald's, le géant informatique IBM, l'industriel United Technologies, le groupe pharmaceutique Pfizer ou le chimiste DuPont, pour n'en citer que quelques-uns.
Compenser en augmentant les prix L'action P&G perdait 3,77% à 86,21 dollars à Wall Street vers 16H45 GMT, dans un marché en forte baisse. "La plupart des gens pensaient que les importants plans d'économie de l'entreprise et la déflation des matières premières (comme la décrue des cours du pétrole ) aurait compensé un peu plus les effets de change", explique la banque Barclays. P&G est embarqué depuis plus de trois ans dans un programme d'économies de 10 milliards de dollars, qu'il espère "accélérer et dépasser par une marge importante", a réaffirmé mardi sans détailler son directeur financier. Il a parallèlement commencé l'été dernier à faire le ménage dans ses marques. Des décisions pour se séparer ou arrêter 35 d'entre elles ont déjà été prises, sur un objectif annoncé de 90, selon M. Moeller. P&G a notamment annoncé la cession des piles Duracell au milliardaire Warren Buffett, ou des savons Zest et Camay à son concurrent néerlandais Unilever. Globalement, P&G dit chercher à "compenser autant que possible" l'effet négatif des devises. Il mise par exemple sur une production locale, en construisant de nouvelles usines sur les marchés dont la monnaie se déprécie le plus, ou en important ses produits des pays avec lesquels la parité est la moins défavorable, a expliqué M. Moeller. Mais les consommateurs n'échapperont pas à des augmentations de prix: le principe est "d'essayer de récupérer l'impact des taux de changes", a indiqué M. Moeller, assurant toutefois que cela se passerait "sur la durée et pas en un seul coup".