Par Ahmed Halli [email protected] Revoilà notre ami Hani Naqshabendi que j'ai égratigné la semaine dernière pour sa plaidoirie extra-muros en faveur de l'Arabie Saoudite, injustement attaquée, selon lui, après les attentats de Paris. Sur un tout autre registre, il nous annonce plein d'optimisme que loin de se détériorer après les attentats du 13 novembre, la situation des musulmans en Occident va, au contraire, s'améliorer. Il affirme, en effet, et ce n'est pas faux, que les Français qui n'avaient qu'une connaissance superficielle de l'Islam vont s'attacher à mieux connaître cette religion. Retour à l'école ! En guise de première leçon, cette scène vue quelques jours après les attentats, place de la République à Paris, lieu de recueillement en hommage aux victimes. Nous sommes en milieu d'après-midi, deux individus BCG (barbe, claquettes, gandoura) arrivent sur le terre-plein, déploient tranquillement leurs tapis, et accomplissent la prière du «A'sr». Aucun signe d'intérêt, voire d'hostilité, chez les dizaines de personnes venues déposer des fleurs et/ou prier. Comme la pratique n'a été observée que lors des manifestations pour la Palestine, la prédiction du chroniqueur kurde semble s'être réalisée avant même d'avoir été formulée. On peut donc affirmer d'ores et déjà, en accord avec lui, que la situation des musulmans en Occident s'améliore ! Place de la République à Paris, et en exhibant un «Islam provocateur», on aura donc singulièrement abrégé une étape fondamentale, pour ne pas dire fondamentaliste, celle de « l'Islam provoqué ». Abdallah Benbadjad Al-Oteïbi, l'un des éditorialistes attitrés du quotidien Al-Charq-Al-Awast, nous en explique les mécanismes. D'abord, affirme-t-il en préambule, il est avéré que les groupes et les organisations liés à l'Islam politique constituent un immense vivier pour le terrorisme. C'est donc sous le regard de ces mouvements, et à partir de leur discours extrémiste global que s'est construit et structuré «l'Islam provoqué». Cette construction est basée, affirme l'éditorialiste, sur trois éléments dans cet ordre et qu'il appelle les industries de la colère, de la démoralisation, et de la violence. La colère, ou l'exaspération, est l'œuvre du mouvement des Frères musulmans à la fin des années vingt, et Seyid Qutb s'en est fait le porte-voix, avec son célèbre article «Des écoles de la colère». Dans cet article, le théoricien du «takfir», ou de l'excommunication, prônait la création de plusieurs écoles de la colère contre le gouvernement, contre les écrivains et les journalistes. Le partisan de la colère est initié à ressentir et à englober dans la même colère tout ce qui est autour de lui, jusqu'aux Etats étrangers et aux institutions internationales. L'industrie de la démoralisation consiste à dénigrer systématiquement les Etats où les islamistes ne sont pas au pouvoir, et à encenser ceux où ils gouvernent comme ils le font actuellement pour la Turquie. Il s'agit également de diminuer la portée ou de semer le doute sur un projet de développement qui n'est pas le leur, et/ou auquel ils ne sont pas associés. Quant à l'industrie de la violence, elle est le but et le résultat, selon les plans de Hassan Al-Bana qui avait notamment pensé la préparation militaire pour ses militants et avait mis sur pied «l'organisation secrète» chargée de tuer et de détruire. Le leader des Frères musulmans qui affirmait que la mission de son organisation était de «diriger le monde», et affirmait être «en guerre contre tout leader, ou président de parti ou d'institution». Il disait aussi qu'il ne reconnaissait que les « frontières de la foi», et non les frontières géographiques, et qu'il était dans l'attente du «jour du sang». Le quotidien saoudien finit par en venir au fait, en soulignant qu'il est erroné de croire que le terrorisme remonte à deux ou trois décennies. Ses racines plongent en fait dans l'histoire des groupes de l'Islam politique. Bref, il s'agissait de nous convaincre que le wahhabisme a enfanté des terroristes qu'il ne reconnaît plus, et qu'il renie publiquement. Il reste toutefois que la théologie et le rituel ne varient pas, et que les références subsistent, même si le père a sacrifié le fils, pour ne pas subir les conséquences des actes de ses rejetons. La blogueuse saoudienne Nouha El-Hachemi s'insurge cette semaine contre l'emprise de plus en plus grande des prédicateurs sur les musulmans. Elle estime que nous sommes en face d'une nouvelle idolâtrie qui amène les gens à suivre aveuglément les «cheikhs» des chaînes satellitaires, même quand ils racontent des sornettes. A titre d'exemple, elle cite le cas de l'Egyptien Amr Khaled, spécialiste de la mise en scène, et dont la seule référence «religieuse» est un diplôme de comptable. Il a exercé d'ailleurs ce métier durant plusieurs années avant de devenir une vedette des prêches télévisuels et de subjuguer les jeunes filles arabes. Et c'est sans doute pour sa capacité à suborner et à séduire les foules qu'une université britannique lui a délivré en 2010 un doctorat en sciences théologiques. Dans l'un de ses prêches, il incite son auditoire à aller prier à la mosquée : «Il dit que cette prière vaut 27 fois la prière à la maison, si on multiplie ce chiffre par le nombre de prières de la journée, puis de l'année, puis qu'on multiplie chaque "hassana" (action méritoire) par dix, nous arrivons à des chiffres astronomiques.» Et Nouha El-Hachemi de noter avec humour que le prédicateur n'a pas oublié qu'il a jonglé avec les chiffres durant de longues années. Pour compléter le tableau ajoutons qu'il jongle aujourd'hui avec d'autres chiffres, ceux de son compte en banque, puisqu'il est classé parmi les dix plus grandes fortunes arabes.