Entretien réalisé par Mohamed Kebci Le secrétaire général de l'Union des forces démocratiques et sociales (UFDS) ne croit pas trop en la disponibilité du pouvoir, même affaibli aujourd'hui, à s'ouvrir à l'opposition pour les besoins d'un véritable débat politique en vue d'amorcer une transition démocratique réelle à laquelle celle-ci ne cesse d'appeler depuis des mois. Pour Noureddine Bahbouh, qui émarge au sein de l'Instance de concertation et de suivi de l'opposition, ce pouvoir ne veut toujours pas se départir de sa logique, excellant, selon lui, dans l'art des mêmes subterfuges et sa politique du «fait accompli». Et pas que cela, soutient encore cet ancien ministre et ex-chef de groupe parlementaire du RND, ce même pouvoir ne cesse de travestir les revendications de l'opposition dont la dernière en date, celle prônant une instance permanente indépendante chargée de l'organisation des élections du début jusqu'à proclamation des résultats, qui vient d'être constitutionnalisée. Et d'estimer que face à cet entêtement du pouvoir à se maintenir coûte que coûte, l'opposition agit d'une façon «très responsable», et qui considère que «le changement est inévitable et qu'il doit se faire dans le calme». Le Soir d'Algérie : Vous êtes membre de l'Instance de concertation et de suivi de l'opposition issue de la première conférence de Mazafran. Une instance qui s'est «éclipsée» depuis Mazafran II, fin mars dernier... Noureddine Bahbouh : Affirmer que l'Instance de suivi et de concertation de l'opposition s'est «éclipsée», c'est faire une conclusion trop hâtive. Dois-je rappeler que sa mission est précisée dans les documents portant création de cette instance et que l'opposition active selon le plan d'action qu'elle s'est défini de manière consensuelle. Tous les partis politiques et les personnalités composant cette dernière sont constamment sur le terrain, occupent l'espace médiatique lorsqu'ils sont sollicités, prennent position sur tel ou tel événement politique majeur. Cette instance n'a jamais cessé d'attirer l'attention du régime politique en place sur les conséquences éventuelles découlant de sa gestion populiste. Elle n'a jamais été écoutée, elle a été plutôt taxée de vouloir déstabiliser le pays. La réalité d'aujourd'hui prouve, hélas, tout à fait le contraire. Pour ma part, je considère que l'opposition agit d'une façon très responsable au regard de tous les dangers qui guettent le pays en l'absence d'un centre de décision, d'institutions légitimes et crédibles et d'une gestion à vue des affaires de l'Etat. Ce qui désole plutôt, ce sont les réactions du pouvoir et de sa clientèle composée essentiellement de partis politiques considérés à tort comme majoritaires, vis-à-vis de cette opposition qui la traitent souvent avec des propos tendancieux et irresponsables, oubliant souvent que ce sont des Algériens aimant leur pays et défendant une idée différente de la leur sur la manière de gérer les affaires du pays. Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que l'opposition a atteint ses limites, n'ayant pu, jusqu'ici, inverser le rapport de force toujours en faveur du pouvoir ? Demander à l'opposition d'inverser tout de suite le rapport de force dans les conditions actuelles avec toutes les restrictions et les entraves subies, c'est difficile. Toutefois, le travail effectué par l'opposition jusqu'à présent a mis à nu la politique populiste menée à ce jour par le pouvoir. La distribution de la rente tous azimuts n'a pas suffi à cacher les tares et les insuffisances de sa gestion. La population se rend compte aujourd'hui de plus en plus de la mauvaise gouvernance dont les conséquences commencent à se faire sentir au quotidien et à tous les niveaux. Au vu de ces constats, l'opposition considère que le changement est inévitable et qu'il doit se faire dans le calme. Les élections législatives et locales prévues l'année prochaine ne sont-elles pas pour quelque chose dans ce fléchissement de l'opposition ? Je ne vois pas de quel «fléchissement» vous parlez considérant de votre part que cela doit être lié aux futures échéances électorales. Il y a lieu de vous confirmer, ici, que ce sujet n'a jamais été abordé ni au sein de l'Instance de concertation, ni à notre niveau au sein du Pôle des Forces du changement qui s'est réuni, d'ailleurs, la semaine passée pour débattre de la situation actuelle du pays. Les préoccupations de l'opposition sont pour le moment ailleurs. Elles portent essentiellement sur la dégradation de la situation économique et sociale, sur les menaces terroristes à nos frontières, sur la restriction des libertés et les dérapages de tout ordre. Parler maintenant d'élections législatives nous semble inopportun tout en étant conscient que c'est le souhait du pouvoir de faire en sorte que cela soit le sujet de préoccupation majeur de l'opposition pour faire diversion. L'opposition aura certainement à se prononcer sur ces échéances le moment venu. Evitons donc de précipiter les choses. Et l'histoire de l'instance indépendante de supervision de ces élections qui vient d'être constitutionnalisée ? Cette question est intimement liée à la précédente. Pourquoi parler d'élections législatives alors que l'instance que vous venez de citer n'a même pas vu le jour. Toutefois, vous me donnez ici l'occasion de parler de cette instance qui existait déjà dans la loi organique portant organisation d'élections et que le pouvoir n'a fait que constitutionnaliser par le dernier amendement de la Constitution. Vous remarquez que ce pouvoir use toujours des mêmes subterfuges pour faire valoir sa «politique de fait accompli» et donner un semblant d'accord à la demande de l'opposition. Je dois rappeler que cette dernière a demandé la création d'une instance permanente indépendante chargée de l'organisation des élections du début jusqu'à proclamation des résultats, et cela avant un quelconque amendement de la Constitution. Va-t-il continuer de mener sa «politique de fait accompli» dans l'installation de cette instance qui doit, en principe, faire l'objet d'une loi définissant ses attributions et sa composante, ou ouvrir un débat responsable autour de cette question ? On verra. Pour ma part, je doute fort que ce pouvoir, affaibli aujourd'hui, va se rendre à l'évidence d'une nécessité de l'ouverture d'un véritable débat politique en vue d'amorcer une transition démocratique réelle. N'y apercevez-vous pas une reconfiguration de la carte politique nationale ? Pourquoi une nouvelle reconfiguration politique dans la situation actuelle, alors que les choses sont claires. Vous avez d'un côté un régime soutenu par des partis politiques transformés totalement en comité de soutien depuis une quinzaine d'années autour de programmes dont on ignore le contenu. Un soutien à un homme beaucoup plus qu'à un programme en contrepartie de quelques postes de responsabilité et d'autres avantages ; et, de l'autre côté, des partis politiques de tendances différentes qui s'opposent à leur vision et à cette situation compromettante pour le pays. L'opposition réclame haut et fort un Etat de droit bâti autour d'institutions légitimes avec des élections propres et honnêtes, ce n'est malheureusement pas le souhait du pouvoir en place ni de ses soutiens qui croient toujours en l'homme providentiel. On ne pourra parler de nouvelle configuration politique qu'une fois les conditions d'une démocratisation de la vie publique réunies et qu'une fois le véritable poids de chaque parti politique au sein de la société connu avec des élections transparentes. Les agissements actuels du pouvoir et les différentes attaques contre tous ceux qui ne sont pas de son bord nous font penser qu'on est loin de tout cela, à moins que... ! Quelle lecture faites-vous de l'affaire du rachat du groupe El Khabar par une filiale du groupe Cevital ? Tous les Algériens savent, et précisément les opérateurs économiques, que ce régime veut mettre au pas tout le monde. Pour réussir, il faut être ou son soutien inconditionnel ou se taire. Pour revenir à votre question, pensez-vous que Rebrab aurait subi un «tel acharnement» s'il avait soutenu le quatrième mandat et les autres mandats ? Maintenant pour être plus précis, je considère que l'affaire El Khabar est intimement liée à la liberté de la presse qu'on veut à tout prix museler à l'approche des futures échéances et à la course ouverte à El-Mouradia. Sinon comment expliquer qu'une affaire purement commerciale dont l'unique garant est le notaire chargé de l'opération se trouve subitement être une préoccupation majeure d'un gouvernement ? Le ridicule, c'est qu'on reproche à Rebrab de politiser l'affaire, alors que c'est tout à fait le contraire. C'est une autre manière de diversion du pouvoir afin d'éluder les véritables problèmes que vit le pays et les préoccupations des citoyens.