Par Ahmed Halli [email protected] À l'approche de chaque période estivale, on nous ressort l'antienne sur la réouverture des frontières terrestres entre l'Algérie et le Maroc, et de façon plus insistante encore de ce côté-ci. On finira même par nous culpabiliser et nous charger du péché originel, cette fermeture, intervenue après l'initiative de Rabat imposant le visa aux pestiférés que nous étions, dans la décennie noire. Aujourd'hui, Dieu merci, nous sommes devenus plus fréquentables, car plus voilés, plus barbus, et ignorant surtout la crise, à la grande satisfaction de nos voisins tunisiens. Nous voilà donc repartis avec cette idée d'Union maghrébine, toujours affligée de son «A» pour Arabe, en attendant d'y ajouter le «M» de musulmane, lorsque Daesh en aura fini avec l'Islam. Quant à l'union, en question, nous avons les attrayantes unions maghrébines qui se contractent grâce aux transports aériens et à l'ardeur artificielle de nos polygames, qui ne craignent plus d'être injustes. Depuis quand s'embarrasse-t-on, au demeurant, d'injonctions, ou d'exhortations divines, quand elles n'interdisent pas formellement et spécialement en la matière ? Car, s'il y a bien un verset qui conclut à l'iniquité de la polygamie, c'est celui sur la polygamie justement dont l'obstacle des effets injustes est devenu plus facile à éliminer depuis certains progrès scientifiques. Mais revenons à cette singulière construction de l'Union maghrébine par copulations, qu'illustre une vidéo actuelle sur les réseaux sociaux, avec un sémillant cheikh cathodique en vedette. Il s'agit, vous l'avez deviné, de notre inénarrable «Chemsou» national, que tout le monde musulman nous envie, à cause de sa capacité à nous faire prendre des vessies pour des lanternes sur un écran plasma. Cheikh «Chemsou», diminutif familier de Chems-Eddine, est aussi un adepte des progrès scientifiques susceptibles de hisser l'homme à des niveaux de performance appréciables. Ses apparitions à la télévision Al-Nahar sont donc très suivies et ses conseils, généralement très judicieux et dispensés souvent sur le mode de la dérision, font mouche. Dans cette vidéo, il est question d'une téléspectatrice qui se plaint des «incartades» de son insatiable mari, homme d'affaires avec des rêves de marin, et les réalisant de son mieux. Cette dame, algérienne, est donc mère de cinq filles, ce qui n'est pas forcément un gage de durée, et elle vient d'apprendre que son bien-aimé époux entretient deux autres foyers, avec deux enfants mâles chacun, en Tunisie et au Maroc. Sachant que ces deux mariages se sont conclus dans son dos, si j'ose dire, et qu'elle craint pour son avenir et celui de ses filles, que doit-elle faire ? Et c'est là que l'on peut apprécier tout le talent de ce cheikh qui fait pâlir de jalousie les stars d'Al-Jazeera, Karadhaoui et Khadidja, pourtant armés, la partie féminine du tandem surtout, de meilleurs arguments. «Sachez, Madame, explique en résumé cheikh "Chemsou", que votre mari est sans doute un partisan convaincu de l'unité maghrébine, et qu'il y contribue à sa manière. Il s'est marié avec une Tunisienne et avec une Marocaine, et donc il ne lui reste plus qu'à épouser une Libyenne, et il aura ainsi parachevé l'édification de cette unité maghrébine, à laquelle nous aspirons.» La Mauritanie, membre officiel de l'UMA., est d'office exclue de cette «Union matrimoniale arabe», ainsi d'ailleurs que la RASD, éternel sujet de discorde, qui n'empêche pas l'harmonie conjugale. «Chemsou» fait aussi l'impasse sur le fait que tout mariage en régime sunnite doit se faire publiquement, et avec l'accord de l'épouse en place, en cas de récidive. C'est d'ailleurs l'une des dispositions de notre plus-que-parfait code de la famille, élaboré par un législateur sagace et objectif, sur la base de la Charia, pour l'unité et le plus grand bonheur de nos familles. En conclusion, «Chemsou», très réaliste, conseille à la dame bafouée de se résigner (la résignation est féminine) et de ne pas mettre en péril l'avenir de ses filles, en déclenchant un conflit avec son mari. Résignez-vous, qu'il dit ! Non, ce n'est pas une fatalité, et si le mot est féminin, les personnes du genre sont encore les moins enclines à s'y laisser aller et à s'y complaire, comme on les invite ci-dessus. Méditons le cas de cette universitaire saoudienne, Nadjet Essaïd, qui vient de lancer un nouveau défi aux cheikhs conservateurs de son pays, en proposant de changer l'aménagement intérieur des mosquées. Il s'agit ni plus ni moins que de permettre aux hommes et aux femmes de prier ensemble sous la même voûte et sans séparation. La dame qui a lancé sa proposition sur Facebook s'en est expliquée cette semaine sur le magazine Elaph, en affirmant qu'on ne pouvait pas faire avancer les sociétés musulmanes, sans changer leurs rituels. Elle propose pour ce faire de disposer des sièges à l'intérieur pour permettre aux fidèles des deux sexes de lire le Coran et de méditer ensemble. Quant aux espaces de prière, ils consisteront en deux rangées, l'une pour les femmes l'autre pour les hommes, séparées seulement par une allée centrale. Nadjet Essaïd dit ne pas comprendre que la mixité soit permise lors du rituel du pèlerinage et qu'elle ne soit pas autorisée ailleurs. «Pour changer nos sociétés conservatrices, il faut d'abord changer leur façon de prier Dieu», souligne-t-elle. «C'est le poids des traditions locales et le conservatisme de nos sociétés qui nous empêchent d'avancer, ce n'est pas l'Islam, et rien ne s'oppose religieusement parlant à ce qu'on change de l'intérieur. On ne peut pas envoyer nos étudiants apprendre des technologies de pointe et leur enseigner en même temps des pratiques religieuses archaïques», ajoute Nadjet Essaïd, qui serait toujours en vie, et c'est sans doute parce qu'elle pérégrine entre Dubaï et Beyrouth.