Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Si jusque-là les syndicats autonomes de l'enseignement bénéficiaient généralement d'une bonne presse, il semble qu'il n'en sera plus le cas dans le futur. C'est qu'à la suite de l'incompréhensible option qui les a amenés à dégainer l'arme de la grève que beaucoup de questions commencent à se poser sur leur capacité à s'imposer comme des partenaires sérieux dans la négociation quand bien même leur légitimité serait incontestable. Car, en plus du fait qu'ils viennent de récolter la réprobation, certes subjective, des parents d'élèves, leur débrayage a fait également l'objet de commentaires mitigés à l'inverse de celui observé par le monde ouvrier dans la zone industrielle de Rouiba. En s'érigeant effectivement en fer de lance d'une Intersyndicale, tout à fait en droit d'exprimer des inquiétudes et de les faire suivre par des actions chocs, dans seulement les secteurs les plus exposés à la prochaine réforme de la loi sur les retraites, les autonomes de l'éducation se sont curieusement appropriés un pan entier de la contestation qui, pourtant, ne concernait guère leur secteur ou si peu. Excessifs dans le choix des armes pour traduire leur solidarité, les enseignants viennent de dilapider un capital de sympathie dans une opinion qui sait faire le distinguo entre une grève dans les transports «pénalisant les voyageurs» et des arrêts de cours dont le préjudice est autrement énorme. Ceci étant dit à propos de l'improbable justesse de la stratégie syndicale dans l'enseignement, l'on peut apprécier la rigueur de la démarche des ouvriers de Rouiba qui, eux, ont non seulement débrayé sur le carreau mais de plus, ont animé des meetings d'explication. Chez eux, le constat est depuis longtemps fait. Celui qui impute à l'UGTA toutes les raisons de leur «clochardisation». Ne manquant pas de mémoire, les grévistes n'avaient aucune peine à mettre en exergue, à travers leurs propos, certaines turpitudes du passé. Une terrible suspicion qui avait singulièrement changé la tonalité de ces assemblées générales tenues en marge de la grève. En effet, tout en réfutant les récentes décisions de la tripartite, leurs critiques étaient étonnamment moins acerbes à l'encontre du gouvernement que celles destinées l'UGTA : cet «acteur-alibi», disent-ils. Traitée de capitularde, la vieille centrale serait, selon eux, à l'origine de la dégradation de leurs conditions sociales et économiques. Mais au-delà des ressentiments qui irriguaient les discussions à bâtons rompus, il restait, tout de même, que ces journées de débrayages exprimaient une double contestation. D'une part, elles mirent en avant le rejet des nouvelles dispositions relatives aux droits à la retraite et, d'autre part, elles se voulurent une réfutation solennelle de toute négociation conduite par l'UGTA. Reprochant à celle-ci le carriérisme politicard de ses dirigeants, les ouvriers ne la croient plus en mesure de porter la contradiction ni dans les fameuses tripartites ni lors des discussions sectorielles. En reprenant les mêmes griefs qu'affichaient naguère les autonomes lors de leur affranchissement, les syndicats d'entreprises encore sous l'égide de l'UGTA s'efforcent, à leur tour, de se rapprocher des réalités du terrain et de s'éloigner en conséquence des injonctions de la centrale. Une prise de conscience qui suppose qu'elle aboutirait, un jour ou l'autre, à une rupture définitive avec cette «identité» syndicale. Celle à laquelle il lui sera alors reproché d'avoir «désespéré» le fleuron de Rouiba. En attendant que cette répudiation se concrétise, le bastion de l'ouvriérisme algérien se trouve, d'ores et déjà, au sein d'une intersyndicale autonome qu'il avait rejointe par effraction mais aussi sous l'empire des nécessités que dictent les épreuves. Mais au cours d'une contestation prenant de l'ampleur au fur et à mesure que d'autres branches d'activité obéissaient aux mots d'ordre d'un front social en pleine consolidation, où se trouve le pouvoir et quelle riposte aurait-il dû opposer aux premières manifestations de cette rentrée sociale ? A l'évidence, l'absence physique d'un Sellal sur le promontoire et les argumentaires vaseux de certains ministres montraient bien que l'on cafouillait en haut lieu. Ce dossier de la retraite et la réforme de la loi sur le travail que l'on voulait traiter à la hussarde en se contentant d'une factice tripartite illustrent bien cette inclination politique d'agir à la sauvette, même lorsqu'il s'agit de questions complexes et sensibles auprès de l'opinion. En clair, l'ensemble de la démarche politique était réellement entachée de ce fameux vice rédhibitoire dans la mesure où l'on n'a pas pris le temps de consulter les classes sociales du salariat et prendre conseil auprès des experts, voire d'évaluer les impacts à court et moyen terme non pas sur les équilibres financier seulement mais aussi sur la défection en masse des compétences qui s'apprêtent à partir avant la date-butoir ! Tout l'amateurisme d'un gouvernement est justement consigné dans cette somme de procédures à respecter d'autant plus que c'est précisément le ministre du Travail qui déclarait, il y a quelques jours, que la CNR risquait de faire faillite d'ici à 5 années (sic). Or, en croyant faire peur aux partenaires sociaux, il révèle, à son corps défendant, que la réforme de la retraite pouvait être abordée sagement en évitant cet empressement brutal fixé au 31 décembre 2016. Le gouvernement, qui est à l'origine de l'actuelle tension sociale, multiplie paradoxalement les maladresses en termes de calendrier et dans le choix des transferts du fardeau de l'austérité qu'exige l'économie nationale. Le recours à la taxation des produits de consommation courante et son corolaire l'érosion du pouvoir d'achat des catégories sociales les plus faibles pourraient, dans les mois à venir, contribuer à aggraver son impopularité. Alors le vent du boulet se lèvera sûrement lorsque la ménagère et l'ouvrier de Rouiba ou d'ailleurs sauront, par eux-mêmes, ce que cachent les «bons discours» d'un gouvernement. Ceux-là, à qui l'on a raconté qu'il y allait de l'assainissement des finances publiques et de la préservation du pouvoir d'achat des ménages en évitant à l'Etat le retour au FMI, découvriront alors que l'austérité qu'ils doivent subir en première ligne est non seulement sélective à leurs dépens mais odieusement insupportable au vu d'un train de vie inchangé de l'Etat dont les dépenses somptuaires scandalisent par leur inutilité. Sur ce dernier aspect, il en va justement de la même question taraudant les grandes strates du salariat. Celle du financement de la CNR et le retour à l'orthodoxie d'un temps réel de travail. Pourquoi, se demandent certains économistes, l'on décline le vocable pompeux de la «réforme» alors qu'il est notoire que le gouvernement ne possède aucune visibilité à long terme et l'Etat toujours démuni de la fameuse boîte à outils qui s'appelle la planification. Voilà pourquoi le pays et son gouvernement ne peuvent échapper, à court terme, à une colère sociale dont les dégâts seraient imprévisibles.