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Entretien avec Fatma Oussedik, professeur en sociologie à l'université d'Alger et chercheuse au Cread (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement) :
«La société est en danger»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 02 - 2017


Propos recueillis par Abla Chérif
«Mes analyses ne sont souvent pas tendres», avoue Fatma Oussedik en marge de l'entretien qu'elle nous a accordé. Ses analyses et tous les propos qu'elle tient ici sont pourtant le fruit de travaux incessants menés dans les milieux les plus profonds de la société pour en étudier les mutations et le développement. Du mieux qu'elle ait pu le faire, elle transmet le message de tous ces Algériens qui s'adressent à elle continuellement. C'est son «devoir de vérité».
Vous avez tenu à être présente, samedi dernier, à une conférence sur les détenus du M'zab. Qu'est ce qui a motivé votre venue ?
Il y a deux raisons : la première est scientifique, je travaille actuellement sur le M'zab, et j'ai d'ailleurs publié de nombreux écrits sur cette région. La seconde raison est plus large, elle a trait au travail que je mène sur les minorités politiques en Algérie. Je travaille aussi sur les femmes, sur les jeunes. Ce qui m'intéresse ce sont toutes ces catégories placées en situation minoritaire. Dans ce contexte le M'zab m'est apparu comme un conservatoire d'institutions plus large. De ce point de vue, je me suis retrouvée confrontée à des institutions comme «laâchira» par exemple et elles m'ont rappelée que chez moi on appelle cela «tadjmaât». Le M'zab est un sujet passionnant. En tant qu'intellectuelle, ma position dans la société est d'être engagée auprès de ceux qui en ont besoin. On ne peut pas écouter les gens seulement et ne pas se solidariser avec eux, s'engager dans des combats qui les concernent. Je suis sociologue algérienne et la situation dans le M'zab comme un certain nombre de questions me concernent. Je suis féministe, engagée dans le réseau Wassila, je suis universitaire et en tant que telle je me suis toujours exprimée sur les questions universitaires. Pour résumer, je suis engagée dans et auprès de ma société. Je considère que je dois me battre pour l'expression de ma citoyenneté et ma citoyenneté, comme mon devoir d'intellectuelle, est de porter un regard critique sur la réalité qui m'entoure depuis ma position de femme et d'universitaire. Mon devoir aujourd'hui est de dire tout ce que j'ai vu et entendu.
Quelle est votre appréciation globale de la situation qui vous entoure justement ?
On a beaucoup parlé de la main de l'étranger. Il est vrai que la situation géopolitique me semble préoccupante, toutefois il est temps de parler de la main de l'intérieur. Je considère que les formes de gouvernance mettent en péril le pays depuis un moment déjà. Elles ont pour effet de fragiliser le tissu social, de fragiliser les liens dans la société et les exposer à toutes aventures. Jusqu'à présent, de mon point de vue, si ces aventures n'ont pas eu lieu, c'est parce que la société a fait preuve d'une grande maturité par attachement à son patrimoine national, son patriotisme faisant tout pour préserver l'unité nationale qu'elle a vu se disloquer en Irak, en Syrie, et en Libye.
La société a été vigilante. Aujourd'hui, je pense cependant qu'elle est soumise à des provocations graves venant de ceux qui ont pourtant la responsabilité première de protéger ce pays.
De quelles provocations voulez-vous parler ?
Elles ont plusieurs formes, j'ai d'ailleurs écrit à plusieurs reprises. Dans le dernier article je me suis attaquée au communitarisme et il a été question de démontrer de quelle manière des régions entières ont été manipulées pour être classées dans la définition de «classes dangereuses», catégories dangereuses. On l'a fait dans plusieurs zones d'Algérie, la Kabylie, les barabiches, on le fait maintenant avec le M'zab on crée les termes d'un débat. Je considère qu'on a opposé des Algériens contre d'autres, les francophones contre les arabophones, les berbères... et qu'il est temps que cela prenne fin. Prenons l'exemple de la francophonie. Vous voyez que je m'exprime en français, je n'ai jamais cru une seconde que l'arabe n'était pas une langue de science , je n'ai jamais cru une seconde que mes collègues qui parlaient arabe n'étaient pas scientifiques, par contre je dénonce avec mes collègues arabisants l'utilisation qui est faite de la langue arabe sur le plan politique, idéologique et religieux ce qui l'empêche, qui lui interdit d'être une langue de science et qui la place en position défavorisée par rapport aux langues étrangères.
Vous avez mené de nombreux travaux, des enquêtes sociales à travers tout le territoire national à l'exception du Sud, dites-vous que vous n'avez pu atteindre faute de moyens. Qu'est-ce qui vous a le plus frappé durant vos travaux ?
Au niveau social, je n'accepte pas que des personnes aient exprimé des points de vue auxquels on n'adhère pas et qui meurent en prison, dans une prison de mon pays. J'estime que ce n'est pas juste. La société civile a fait appel aux lanceurs d'alerte, et vous avez vu que Me Dabouze avocat des détenus de Ghardaïa a défini Fekhar comme un lanceur d'alerte. Ce dernier n'a fait que témoigner pacifiquement d'une situation qui prévalait dans la région où il vivait.
C'était son devoir de citoyen. Il se retrouve en prison au mépris des lois internationales et comme toujours, on agite la menace de la main extérieure sans voir qu'il y a un problème de gouvernance qui est celui d'avoir calqué les institutions francaises dans l'impensée. Pour maîtriser l'accès à la rente pétrolière, on a voulu mettre en place une forme de gouvernance très centralisée où les walis sont très puissants et où il n'y a aucune participation réelle ou possible de la société, contrairement à ce que disent les textes. Les seules participations qui ont été admises sont celles qui ont été manipulées. On a manipulé parfois les arouchs, des tribus dans le cadre d'élections, ponctuellement, mais le reste du temps il n'y a rien. Je voudrais aussi évoquer la situation d'Alger. On dit que l'état d'urgence a été levé, mais de mon point de vue ce n'est pas du tout vrai. Je ne peux faire de rassemblements, je ne peux pas m'exprimer sur la réalité sociale et politique que je vis. Mais tout ceci n'est pas bon, car la société finit par vous exclure. Si vous ne la laissez pas s'exprimer pacifiquement, elle le fera violemment. A ce titre, je considère que nous sommes en danger.
Comment cette situation peut-elle évoluer à votre avis ?
Je suis très inquiète. Je me suis exprimée sur les gouvernants, mais la classe politique n'est pas au rendez-vous, elle continue de se parler entre elle. En plus, l'une des grandes solutions miracles de ce système ce sont ces amnisties octroyées par le haut. C'est fini, et le M'zab est encore la grande preuve que c'est vraiment fini. Il y a eu des amnisties à Berriane et ailleurs, mais cela n'a jamais empêché les évènements de reprendre, car pendant tout ce temps-là on ne parle pas de ce qui se passe réellement à travers le territoire. On fait de Ghardaïa un chef-lieu de wilaya, depuis les années 1956 avec la découverte du pétrole, il y a un appel des populations. Et les populations ont changé, elles se sont mixées. De plus, cette région est une halte vers les routes du Sud, les populations viennent du Sahara, elles ont toujours été les bienvenues et vécu ensemble. Dans mon livre «Relire les ittifakate» je démontre d'ailleurs que les chaâmbas ont toujours évolué en collectivité. Ils ont toujours trouvé une solution aux problèmes qui se posaient. Seulement aujourd'hui, on ne parle pas des trafiquants d'armes, de drogue... On les passe sous silence. Quels sont les moyens de passer des cargaisons ? Provoquer des évènements au centre-ville, toutes les forces de police, de l'armée sont là et la cargaison passe. Je veux dire qu'il y a des violences culturelles, symboliques, matérielles, politiques qui figurent sur tous le territoire d'Algérie.
Il n'y a pas que le M'zab...
C'est vrai. J'ai mené une enquête à Annaba, je suis passée par El-Hadjar. J'en ai pleuré. C'est un cimetière d'usine. Les vitres cassées, les machines outils à l'arrêt dans les parcs de l'usine. J'ai interviewé des ouvriers, de vieux syndicalistes qui se souviennent d'El-Hadjar, et je n'entends que «on ne nous a pas donné, on ne nous a rien fait». Ils n'ont plus de travail et attendent qu'on leur donne. Les citoyens ont été transformés en assistés et culpabilisés sur la montée démographique en disant comme en 70 que cela met en danger le développement. Mais où est le développement ? Qu'on nous le montre. Mais il y a, d'un autre côté, un aveuglement des dirigeants qui pensent que la société n'avance pas. Elle connaît pourtant des mutations. Encore une fois, je me base sur une enquête que j'ai dirigée en 2012 pour les PNR, Programmes nationaux de recherche sur les mutations familiales, et qui est publiée au Crasc. Sur 1600 familles on a vu des changements sidérants. Par exemple, avant on habitait chez le mari mais aujourd'hui on peut habiter chez sa femme si elle détient un logement de fonction.
La condition de la femme s'est complètement transformée. Même si le marché de l'emploi féminin s'est écroulé, on ne peut plus parler aujourd'hui de femmes au foyer. Elles sont au marché, dans les administrations pour retirer des papiers, dans les salons de thé, elles sont partout. La femme est éduquée et elle a totalement transformé la notion de femme au foyer. Regardons ensuite la position du père. Tout l'édifice des familles est basée sur la figure protectrice du père, du wali, or, le père on l'a «tué» à la télévision en direct avec la mort de Boudiaf symboliquement, mais on l'a tué dans la réalité car il n'a plus ses enfants qui ont besoin de son argent. Il n'est plus un acteur économique, il n'est plus un acteur politique, il n'a pas le droit de s'exprimer s'il sort dans la rue on l'embarque. Qu'a-t-on laissé à cet homme pour qu'il continue à être le père protecteur. Et la preuve qu'il n'est plus là, c'est toutes ces femmes qui sortent dans la rue avec leurs enfants. La société a changé très vite. En 90, cela n'existait pas. Il y a des femmes trabendistes, harraga.
Vous avez travaillé sur les harraga ?
Mes collègues l'ont fait, et puis je me suis rendue à Annaba qui est la gare maritime des harraga. Je pourrais dire la même chose de Constantine qui se met à être nostalgique. Chez nous, les harraga sont des boat peoples, mais ils ne partent pas parce qu'ils ont faim, ils partent car ils n'ont pas de droits. C'est une société où on n'a pas le droit de s'exprimer, de vivre, où l'âge de mariage est à trente ans, où on place tous les gens en criminalité. La société est placée dans une situation d'interdiction de penser, la preuve par les élites, par les coups qu'ont pris mes collègues universitaires. Le système ne veut pas d'élite car il a du pétrole et que tout l'enjeu est justement l'accès à la rente. Tous ceux qui sont en mesure d'analyser, de décrypter sont interdits de parole. Qu'est-ce qui a été fait contre le départ des élites ? La société a réagi en faisant appel à des lanceurs d'alerte, ils sont comme les blogueurs, en prison. Je ne comprends pas pourquoi mes collègues sont muets sur ce qui se passe au M'zab, Fekhar présenté come un activiste ibadite alors qu'il est activiste algérien, les 140 femmes qui observent le jeûne par protestation contre les procès politiques qui se préparent dans la vallée du M'zab. Comment analysez-vous le comportement, parfois très violent, des jeunes durant des actes de protestation ? Les autorités, mais aussi une grande majorité de la population, les considère comme des casseurs en fait...
C'est le principe des catégories dangereuses. Les jeunes sont dangereux, les Kabyles sont dangereux, les ibadites sont dangereux... Chez nous, tout le monde est dangereux. Mais pour reprendre une expression célèbre : «Ils n'ont que leurs chaînes à perdre, en revanche, ils ont tout à gagner». Quand vous avez enlevé la parole, la pratique politique au sein des universités, que reste-t-il ? On a placé les jeunes dans une situation où ils n'ont que la violence pour s'exprimer. J'ai effectué de nombreuses enquêtes, et je me dois de témoigner de ce que l'on me dit . Et l'on me dit «rien ne nous appartient». Son pendant c'est : «On attend que l'on nous donne». Le travail ne veut plus rien dire chez nous. Je me sens tenue de dire les choses comme je les vois. C'est une question de dignité. Je le dois au terrain que je pratique depuis de longues années, je le dois aux premières générations qui m'ont permis d'être ce que je suis. Si je vois faux qu'on engage le débat.


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