Ils étaient combien ? Et depuis, combien sont partis ? Il en reste combien ? Ils sont répartis dans quelles proportions sur les pays qu'on appelle depuis quelque temps «les pays du Sahel», comme si les Algériens ordinaires étaient obligés d'emprunter aux politiques la froideur de leur jargon quand il s'agit de désigner leurs voisins et se délester de ce qui leur reste de chaleur humaine quand il s'agit d'évoquer leurs malheurs ? On ne sait pas et ce n'est peut-être pas important. Ils sont nombreux et qu'ils soient maliens ou nigériens, ils partagent une détresse qui transcende les nationalités et les parcours personnels. Personne, à moins d'être particulièrement porté sur les interrogations inutiles, ne devrait chercher à voir le passeport de quelqu'un qui a faim et n'a que l'asphalte comme toit. Pourtant, beaucoup d'horreurs ont été dites à propos de ces hommes, femmes et enfants qui semblaient surgir de nulle part pour investir le paysage des principales villes d'Algérie. Ils ont fui la guerre, la faim, la soif et le désespoir avec comme perspective de se refaire une vie. No future. Le punk et la philosophie de la vie en moins. Il n'y a ni genre musical ni philosophie de la vie quand on crève la dalle. C'est un luxe dont on perd les derniers lambeaux sur les sentiers de la survie. Comme un naufragé du désert se soulage d'une logistique trop lourde et désuète. Ils ont fui et maintenant ils sont là. A Alger, à Oran, à Béjaïa, Tamanrasset et d'autres pans urbains de cette Algérie qui n'est ni assez prospère ni assez généreuse ni assez ouverte sur… elle-même pour atténuer le malheur de ses profondeurs naturelles. Dans le meilleur des cas, on ralentit quelque part pour glisser une pièce dans l'assiette avant de se tourner vers son compagnon de route à qui on fait un discours-fleuve sur l'injustice du monde et l'étendue de sa propre générosité. Dans le pire, on est tout de suite dans le… pire. Et on donne libre cours à l'abject. On en a vu et entendu de toutes les couleurs à l'intention de ces «illégaux», enfin, les plus gentils d'entre nous les appellent ainsi. Sinon… ils seraient ainsi venus profiter de notre irremplaçable bon cœur pour bouffer et dormir sans bosser avant de devenir, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, de dangereux malfaiteurs, trafiquants et faussaires en tout. La monnaie, la drogue, le vol à la tire, l'agression… ils seraient finalement porteurs de tous les périls, ces Africains qui, sous prétexte de… misère, seraient venus faire de notre paradis un enfer ! Et ils ne seraient «même pas» musulmans ! Sinon, ils ne porteraient pas, en plus du vice congénital, le sida et l'Ebola ! Deux maladies qui seraient l'émanation de la déchéance morale et l'un dans l'autre, de la colère de Dieu ! Que Dieu nous en préserve et on ne va pas en rajouter en leur ouvrant les bras et la poche. On en a même vu qui, avant de glisser la pièce ou le sandwich, demandaient au malheureux demandeur de… réciter la profession de foi ! Et ceux parmi eux qui échapperaient à nos moules bien-pensant viendraient prendre la place de nos chômeurs et les logements de nos mal logés ! Sinon, il paraît que l'Algérie officielle, dans son infinie générosité, est en train d'ériger des «centres de regroupement» des Nigériens en «situation irrégulière» avant de les renvoyer chez eux. Et que cela s'est fait «à la demande du gouvernement de leur pays», ce qui nous dispenserait d'un effort d'humanité. Et que vive l'Afrique !