Mon Dieu! Depuis la mort du grand Boum, tous les 5 Juillet se ressemblent. Bien sûr, vous me direz que dans beaucoup d'institutions autour desquelles gravitent des gens huppés, beaucoup de personnalités vont lever un verre salutaire à la santé du recouvrement de l'Indépendance nationale, naturel aboutissement du déclenchement de plus de sept ans de lutte de Libération. Donc, c'est dans l'indifférence totale que beaucoup de citoyens vont entamer cette cinquante-troisième année de liberté tronquée, avec pour souci, pour la plupart des gens, de remplir un couffin pour faire bonne figure devant la maîtresse de maison. C'est une année que ne verra pas hélas, Mohamed Mechati, l'un des derniers survivants des 22 historiques qui eurent l'insupportable responsabilité d'allumer la mèche qui aurait dû éclairer des jours meilleurs. Les dates repères comme le 5 Juillet ou le 1er Novembre doivent être les occasions pour les historiens de se mettre au travail pour séparer le bon grain de l'ivraie. Evidemment, il ne s'agira pas de faire de la politique-fiction et d'imaginer l'état du pays sans les coups d'Etat successifs qui ont dévoyé une démocratie réclamée par une partie de la population ou renvoyée aux calendes grecques par des seigneurs de la guerre des frontières avec le consentement silencieux d'une majorité lassée par huit années de sacrifice. Il ne s'agira pas non plus de décrire l'atmosphère délétère et le capharnaüm de l'été de la discorde en présentant les acteurs de premiers rôles sans mettre en évidence les atouts dont ils disposaient et les complicités dont ils ont bénéficié... Cependant, au-delà des rancunes et de l'amertume ou de la déception éprouvée, il importe de rendre hommage d'abord aux hommes qui ont décidé de sortir des luttes stériles et partisanes parce qu'ils ont atteint le but qu'ils s'étaient fixé en 1954 et sont retournés tels des Cincinnatus à leurs occupations, à la profession qui était la leur avant les années de braise... Il faut penser surtout à ceux qui n'ont pas fait de plan préconçu et se sont jetés dans le feu de l'action. Une pensée particulière va à ceux qui ont refusé la compromission en tournant le dos à la corruption naissante: ils ont préféré rejoindre l'anonymat de la foule en lieu et place des fonds de commerce et des avantages matériels qu'on leur offrait pour leur silence. Une autre pensée va aux lycéens et aux étudiants qui ont rejoint leurs salles de classe pour continuer à être utiles au pays. La pensée la plus émue va vers les premiers sacrifiés d'une lutte qu'on dit fratricide et pour ceux qui ont préféré s'installer dans une opposition à la dictature armée plutôt que devant la mangeoire posée pour ceux qui vont devenir les professionnels de la rente. Ma pensée va aussi vers tous ces illustres pionniers qui vont connaître les geôles ou l'exil durable et qui vont préparer les futures explosions de colère qui ont illuminé de temps à autre un peuple mis au pas. C'est aussi le jour où il faut penser aux millions de citoyens qui ont connu les grandes privations de la guerre, la peur quotidienne, et qui continueront à les connaître bien après le départ des troupes coloniales, malgré tous les bilans triomphalistes publiés par ceux qui ont tout accaparé et qui n'ont laissé aux autres que l'incertitude des lendemains qui déchantent. Pensons surtout à ceux qui n'ont pas survécu. Pensons aux Constitutions sans cesse malmenées et trahies..