Nabil Ayouche confiant «Il n'y a aucune image pornographique dans mon film» estimera le réalisateur marocain Nabil Ayouche après la projection en compétition officielle de son film Much Loved qui sortira à la fin du mois en salle, en Tunisie. Tout d'abord, Brahim Letaïef, directeur de la 26e édition des Journées cinématographiques de Car-thage, lors d'un point de presse animé en début d'après-midi, est venu réitérer sa conviction que le cinéma est plus fort que la mort et que par le biais de la culture peut naître la démocratie indiquant que le festival devait se poursuivre même si nécessaire en réaménageant les horaires des projections. D'ailleurs, à cette conférence de presse, il a tenu à remercier tous les invités et les journalistes qui sont restés et ont poursuivi leur travail. Ceux qui ne sont pas retournés chez eux mais sont restés, malgré les circonstances sécuritaires et ont montré leur film devant un public qui lui aussi courageux, a continué à fréquenter en masse les salles obscures. A ce titre, il fera remarquer que le record de 150.000 spectateurs a été bel et bien battu car la salle de cinéma Le Colisée qui accueille jusqu'à 1600 places était souvent blindée de monde. «J'ai mis mon rouge à lèvres le plus vif, ma veste rouge aux couleurs de notre drapeau et je suis descendue au centre-ville pour regarder un film... n'importe quel film! L'essentiel était de montrer à ces ennemis que nous n'avions pas peur d'eux», expliquait Wahiba, une fonctionnaire de 32 ans pour le compte du Al Huffigton post de Tunisie. Elle n'est pas la seule en effet à être sortie 24h après l'attentat terroriste sur les lieux même du crime puis à se rendre encore une fois au cinéma et continuer à vivre. Aussi, pour Brahim Letaïef il était hors de question d'annuler le festival, c'est pourquoi il a avoué que le jour-même de l'attentat, il s'est immédiatement réuni avec le comité d'organisation pour annoncer, une heure après, le maintien du festival, quitte à dormir chaque soir dans les bureaux et ce, à cause de l'état d'urgence et le couvre-feu pour préparer le programme du lendemain. A la salle Le Colisée de Tunis, Much Loved, le film-événement est passé à guichets fermés dans une salle de cinéma complète. Le président des JCC, Brahim Letaïef, et le réalisateur Nabil Ayouche étaient également présents en salle, avec la presse nationale. Le réalisateur marocain est ensuite retourné au Media Center pour donner un point de presse et revenir sur la polémique qui a entaché sa sortie. Polémique qui a éclaté, rappelons-le, suite à la fuite sur le Net d'une version un peu remontée de son film, mais qui reprend sciemment les moments les plus trash du long métrage, ce qui a provoqué ainsi l'ire des conservateurs marocains qui n'ont pas vu d'un bon oeil qu'on évoque le phénomène de la prostitution au grand jour, sur un grand écran, surtout en n'ayant pas peur de tout dire et montrer... A juste titre, pour Nabil Ayouche, cette polémique est née sans doute du fait que c'est pour la première fois que des prostituées sont présentées non pas sous un aspect misérabiliste victimaire, mais bien au contraire comme des «femmes qui ont pris le pouvoir». Insistant sur le fait que son film n'a aucun «caractère pornographique», il estimera toutefois: «Je ne pense pas qu'il a dérangé à cause de l'expression des corps de femmes nues, je ne voulais pas retravailler mon film pour faire en sorte qu'il puisse passer devant la commission de censure et qu'il soit accepté. Je n'allais pas faire un film dans ce sens. Mon film, je l'ai ainsi voulu et conçu. J'avais envie de faire ce film sur ces femmes avec lesquelles je me suis entretenu pendant une année, qui m'ont nourri, bouleversé, ému, m'ont imbibé de leurs histoires, il fallait que ça sorte ainsi. C'est le rôle de ces femmes qui a dérangé. C'est cette anthropologie inversée. Je répète, pour moi il n'y a aucune image pornographique dans ce film. j'ai voulu défendre cette force qu'ont ces femmes, dévoiler ce qu'elles subissent au quotidien, montrer cette beauté intérieure, de ces personnes et si j'avais pu m'introduire en elles avec la caméra pour la chercher au plus profond, je l'aurai fait...». A propos d'une éventuelle agression en France, Nabil Ayouche démentira le fait qu'il ait pu être agressé par deux fois. A propos de Lubna Abidar sa comédienne qui, en plus, d'avoir fait l'objet de plusieurs menaces de mort et subi une agression physique au Maroc, la poussant à s'exiler en France, Nabil Ayouche fera remarquer qu'elle va mieux. «Elle a pris du recul sur tout ça. Elle ne regrette pas du tout d'avoir pris part à ce film, bien au contraire. Elle s'est toujours engagée à dire ce qu'elle pensait à propos de toutes ces femmes...» Qu'en est-il de la position actuelle du Maroc vis-à-vis de son film? Répondant à notre seconde question, outre celle sur Lubna Abidar, Nabil Ayouche dira ne pas savoir si la situation demeure figée au Maroc, avouant avoir répondu «naïvement» par «l'optimisme» à notre question au Festival de Cannes quant à la possibilité de la sortie de son film dans le Royaume chérifien. Un optimisme qui le caractérise et qui le poursuit sur tous ses films dont il espère toujours qu'ils soient vus par le public, d'autant a-t-il constaté «une nette amélioration dans la liberté d'expression ces dernières années au Maroc. Mais j'avoue que le refus de délivrer le visa d'exploitation et toute cette polémique m'ont choqué. Aujourd'hui, la situation est toujours bloquée». Nabil Ayouche saluera en outre les gens, associations et ONG qui l'ont soutenu à ce moment-là, confiant son sentiment d'espoir aujourd'hui en voyant son film sélectionné aux Journées cinématographiques de Carthage, ce qui constitue pour lui un signe fort de non-abdication envers l'obscurantisme et d'ouverture. «C'est le premier festival arabe qui sélectionne mon film et voir autant de monde dans la salle tout à heure, je trouve cela très beau. Je peux vous dire en tout cas qu'ils ont sélectionné le film uniquement sur la base de sa qualité cinématographique.». Une confirmation appuyée par le directeur des JCC, Brahim Letaïef, assis à ses côtés. Troisième film de la journée, sur la résistance présenté à l'écran aussi est celui de l'excellent documentaire Homeland (Iraq Year Zero) du cinéaste Franco-Irakien Abbas Fahdel, film documentaire en deux parties présenté en compétition officielle. Une oeuvre poignante qui raconte le quotidien irakien de moult individus, pendant un an et demi, avant et après l'invasion américaine de 2003. Ces gens-là ne sont autres, dans leur majeure partie, que les propres membres de la famille du cinéaste qui va les filmer à la maison, dans leurs tâches ménagères, leurs heures d'oisiveté, entre rire et peur, humour sarcastique contre la crainte de la mort et en dehors, dans la ville, dans l'université etc. Si la première partie s'articule sur la famille qui se prépare à accueillir la deuxième guerre irakienne, doublée des images de propagande de Saddam Hussein à la télé, la seconde partie du film plus tragique, montre les dégâts néfastes de l'invasion américaine qui bombarde dans le tas, détruisant outre les institutions étatiques et sécuritaires dont les centres de communication, radio et télé et même culturelles comme les musées et les centres de cinéma avec leurs archives et bobines. Ainsi, cette mémoire et héritage millénaires de l'Irak partent en fumée, tout comme les maisons et la nature sont dévastées par cette occupation américaine dont la population commence à dénoncer de plus en plus jusqu'à se constituer en milices pour se défendre et finir par s'entre-tuer entre elles. Le documentaire n'épargne personne. Saddam Hussein et ses exactions dans les années 1980 sont évoquées sans ambages avec force arguments. Le film qui se veut un témoignage vivant sur l'histoire de l'Irak durant cette guerre, rappelle combien l'intervention des USA n'a jamais été bonne, si ce n'est pas pour ses propres comptes. Un film qui souligne en effet que toute ingérence dans un pays n'a jamais porté ses fruits. Ici, certains individus le crient haut et fort dans ce film: l'appropriation par la force des ressources de cette ancienne civilisation et la réduire en poussière comme on l'a fait et continue à le faire avec d'autres pays en créant à la place de la pacification l'effet contraire, comme les guerres et les crimes... Un film ô combien utile et nécessaire pour comprendre ce qui se passe aussi aujourd'hui dans le monde. Gageons que Homeland saura attirer l'attention et la sensibilité du jury. Car au-delà du sujet saisissant abordé, la manière de filmer ces familles, de pénétrer leur intimité, de les amener à se raconter est d'autant plus désarmante de beauté...d'humanité! Mention spéciale pour feu Haïder, ce jeune garçon tué par une balle perdue dans le film et qui à lui seul, décrypte de manière si intelligente ce qui se tramait en Irak.