La séance la plus éprouvante du festival! Les yeux rougis, les glandes lacrymales épuisées... Ainsi était l'état du public, dans sa grande majorité, à la sortie du film de Robin Campillo «120 battements par minute». Longtemps après, les images vous hantent et le soleil écrasant n'y fera rien pour empêcher le spleen et cette sensation de vacuité vous envahir... Campillo a débarqué avec sa distribution inconnue du grand public, pour proposer aux festivaliers l'histoire de Act Up, cette association qui a vu le jour, en France, dans l'urgence, devant l'incurie et la presque indifférence affichée par les autorités françaises, alors que les victimes du sida tombaient par paquets... Lancée, en 1989 Act Up a joué un rôle décisif dans la sensibilisation des pouvoirs publics et dans l'accompagnement des malades et dans l'aide apportée à leur émancipation. Fort de son expérience personnelle, Campillo a fait de son film une fiction de combat avec les armes les plus désarmantes, celle de l'humanisme empreint de tendresse, le tout dans un réalisme qui rend encore plus percutante l'approche. Ajoutée à cela une politisation du propos, par petites touches, bien senties, qui permettent d'aller à l'essentiel et de forcer la décision. Car, avec le recul, toutes les enquêtes (sérieuses) des journalistes ont atterri au perron des grands ministères où les lobbies pharmaceutiques jouent un poker menteur avec des cartes biaisées par leurs soins... «Début des années 1990. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean», ainsi est résumée cette histoire qui a secoué la Croisette. Le film tisse sous nos regards ahuris et impuissants, un canevas, qui a failli prendre la forme d'une toile d'araignée, n'était-ce le combat au corps à corps (et c'est loin d'être une image) de jeunes gens frappés par la maladie, séropositifs pour la plupart d'entre eux, qui ont été de toute lutte, de tous les combats pour obtenir le droit de vivre et d'être aimés, débarrassés des oripeaux de parias dont les bonnes consciences ont voulu les vêtir... Nul doute que Michel Foucault aurait succombé à l'esthétique empruntée pour la (bonne) cause par Robin Campillo à Chassériau celui qui a peint Platon et ses éphèbes... «Dans l'espace rationnel de la maladie, médecins et malades ne sont pas impliqués de plein droit», écrivait Foucault dans «Naissance de la clinique». Longtemps on se souviendra de Adèle Haenel, véritable égérie de ce combat, le poing levé, les yeux noyés dans les larmes, scandant avec le souffle (rare) de l'asphyxiée, les slogans de ralliements et de résistance. «Le film ne donne pas de conseils, mais rappelle juste ce rassemblement de gens contre cette épidémie qui ont construit une conscience et des luttes politiques» («C'est très difficile de créer un mouvement politique. Ça prend quand ce sont des luttes, et moins des causes, surtout quand les corps sont concernés. Cela a été le cas pour l'avortement et le sida»», rappellera Robin Campillo lors de la conférence de presse d'après-projection. Un chef-d'oeuvre qui a dû faire chavirer aussi le président du jury, Pedro Almodovar. En tout cas la presse unanime (ou presque) lui a donné la Palme d'or, celle du coeur. «Si on fait tel film plutôt qu'un autre à un moment particulier, c'est sans doute parce que cela répond à une nécessité. Si j'ai voulu évoquer cette histoire, c'est que j'éprouvais un manque, qui ne se résume pas à de la nostalgie. Je ne crois pas que le cinéma puisse avoir une incidence politique directe. Il ne s'agit pas de prétendre remédier à ce qui ne va pas aujourd'hui. Je le dis sans nostalgie: impossible de regretter la violence de ces années. À l'arrière-plan du film, il y a la tristesse d'avoir perdu ces personnes qu'on admirait, qu'on aimait, avec qui on riait. Mais je pense encore plus à ceux d'entre nous qui ont survécu, et qui se battent toujours aujourd'hui contre la maladie», confie, en guise de conclusion Robin Campillo.