Que peut bien signifier la nomination, contre toute attente, de Miloud Chorfi, un homme qui a fait ses classes à l'ère glaciale de l'ENTV, confit en culture de la langue de bois avant d'embrasser une carrière politique au sein du RND, un parti issu d'une fraude industrielle en 1997, à la tête de l'instance de régulation de l'audiovisuel ? Le régime est-il à ce point en panne d'imagination pour le nommer à la tête d'une instance qui va encadrer "l'ouverture" de l'audiovisuel alors qu'il a déjà servi sous le règne du verrouillage brejnévien ? L'Algérie est-elle en déficit de jeunes compétences, en phase avec les mutations que connaît la société à l'ère de la révolution numérique, pour puiser dans un personnel auquel on ne connaît pas de faits d'arme dans le combat pour la démocratie ? Ce n'est pas tant les compétences de Miloud Chorfi qui sont remises en cause, mais plutôt son profil qui fait jaser. Un profil qui contraste singulièrement avec les aspirations d'ouverture et de rajeunissement du personnel appelé à diriger des instances d'une telle importance. Cela sans compter les interrogations qui entourent la conformité de sa nomination avec l'esprit de la loi sur l'audiovisuel. Pour l'ex-chef de gouvernement, Ali Benflis, aujourd'hui à la tête du Pôle des forces du changement, "cette nomination est frappée du sceau indélébile du clientélisme, du clanisme et de l'allégeance dans leurs formes les plus insoutenables". "Toutes les structures que le régime en place estime être d'une sensibilité particulière pour sa survie sont toutes atteintes de ces stigmates", écrit-il dans un communiqué rendu public hier. C'est parce que la loi sur l'audiovisuel confie à l'instance de régulation la triple mission de veiller au libre exercice de l'activité audiovisuelle, d'en assurer l'impartialité et de garantir son objectivité et sa transparence que cette "nomination que l'on vient de nous annoncer n'est de bon augure pour aucune de ces missions", soutient l'ex-candidat à l'élection présidentielle. "Elle laisse dans un état de véritable sidération et d'incrédulité même ceux qui croyaient avoir tout vu en matière de nomination aux structures les plus sensibles de l'Etat", dit-il. Selon Ali Benflis, par cette nomination, le régime en place adresse à nos concitoyens trois signaux en un seul et unique message : le premier signal est que "le droit à l'information plein et entier n'est pas à l'ordre du jour du système politique qui s'impose à notre pays". "Ce droit ne s'exerce que dans les formes et les limites que le régime en place fixe à ses seules discrétions et convenances", écrit-il. Le second signal est que l'ouverture de "l'espace médiatique, voulu et revendiqué, est transformé en illusion, le régime en place reprenant d'une main ce qu'il a octroyé de l'autre". "Et, de fait, l'espace audiovisuel national, dans ses composantes publique et privée, est désormais sous l'emprise totalitaire du régime, au moyen de cette autorité de régulation dont le pouvoir s'est approprié le contrôle, dont il a dénaturé la vocation et qu'il a déviée de sa véritable mission." Le troisième signal est celui d'un régime "à bout de souffle et en fin de parcours qui s'épuise à vouloir caporaliser un espace médiatique national dont une très large part est acquise au changement démocratique". À voir la manière dont la chaîne Atlas TV, qui avait osé s'opposer à un 4e mandat du Président, a été fermée, à voir la complaisance affichée par le pouvoir vis-à-vis de certaines chaînes privées dont le contenu est une pâle et pire copie de celui de l'ENTV, sans compter les interrogations qui entourent la provenance des financements de ces chaînes, il est pour le moins illusoire de croire que M. Chorfi dont le parti a toujours servi de béquille au régime, cautionnant toutes les politiques et toutes les décisions, ait la tête de l'emploi. C'est, pour ainsi dire, une nomination "en noir et blanc", qui renvoie à cette époque où, pour reprendre Mohamed Fellag, il faut lire dans les documentaires sur les requins pour décrypter les intentions du sérail. Nom Adresse email