Selon des spécialistes, des tonnes d'éléments irradiés planeraient toujours et le resteront durant des centaines d'années, dans les airs de cette région, et à des centaines de kilomètres à la ronde. Pour les citoyens de Reggane, il importe peu d'indemniser les victimes. Le plus important, réclament-ils, est de décontaminer les sites irradiés afin d'endiguer le risque pour les générations futures qui auront à vivre dans cette région décrite comme une vaste échoppe à ciel ouvert d'objets contaminés, l'un des plus mauvais souvenirs de la France coloniale... Depuis 2007, année où les langues avaient commencé à se délier sur ce sujet resté tabou, le débat sur les essais nucléaires commis entre 1960 et 1966, par la France coloniale, a été remis au goût du jour, hier à Reggane (Adrar), l'intervalle de la journée commémorative du 13 février 1960. Ce fût le jour de la première explosion, à Hamoudia (à 58 km du chef-lieu), nommée Gerboise bleue. Cinquante six ans après, les effets de la forte déflagration font toujours peur. Les habitants dont les personnes du troisième âge qui, soit en acteurs directs ou en spectateurs, gardent toujours en mémoire les images de cette journée marquée par un déluge de fumée asphyxiante. Certains gardent encore quelques photos démontrant l'étendue de cette catastrophe nucléaire aux effets néfastes sur l'homme et l'environnement. Des effets qui se feraient ressentir à ce jour. Selon des spécialistes, des tonnes d'éléments irradiés planeraient toujours et le resteront durant des centaines d'années, dans les airs de cette région, et à des centaines de kilomètres à la ronde. Alors que le vaste désert de Hamoudia est défini comme une échoppe, à ciel ouvert, d'objets hétéroclites contaminés : engins soufflés du chantier, carcasses de véhicules ou épaves d'avions calcinés... Le risque est tel que les autorités avaient fini par clôturer et interdire l'accès à cette vaste étendue irradiée. Ce qui n'a pas, pour autant, rassuré les riverains. Bien au contraire, cela est perçu comme une preuve supplémentaire de l'ampleur des irradiations et de la contamination de l'environnement. D'où les soupçons que nombre de maladies, notamment les nodules thyroïdiens et les cancers, seraient directement liés à l'irradiation. Pour Mohamed Abbassi Benabdelhafid, la soixantaine dépassée, qui, pour avoir perdu, en 2014, ses deux filles, nées handicapées, et un frère en 1986, il n'y a pas d'autres explications que les essais nucléaires français. Ce citoyen né en France avant de revenir, en 1970, ne réclame pas une indemnisation. Il milite pour que la région soit décontaminée. "Je ne revendique pas de l'argent à la France, je veux juste qu'elle fasse des efforts pour décontaminer notre région qu'elle avait irradiée", a-t-il dit, lui qui refuse d'obtenir la nationalité française étant né en France... Pour exercer un forcing sur l'ancien colonisateur duquel il réclame aussi la publication des archives liés aux essais nucléaires, M. Abbassi appelle, par ailleurs, à la création d'un collectif national de défense des victimes de ces essais. Un comité, souhaite-t-il, qui portera "notre voix au-delà des frontières". La décontamination des sites irradiés est la revendication phare également réitérée par l'association du "13 février", à l'occasion de la cérémonie protocolaire présidée par le chef de daïra et le P/APC de Reggane, sous le slogan "contre l'oubli". De leur côté, les professionnels de la santé n'écartent pas l'existence de lien entre les essais nucléaires et certaines maladies, notamment les nodules thyroïdiens affectant des centaines de personnes dans la région. "S'il est encore difficile de jurer sur le lien de causalité entre les cancers ou encore d'autres maladies et l'irradiation, il est, en revanche, prouvé, selon une étude américaine, que les nodules thyroïdiens sont souvent liés à l'irradiation", confirme le Dr Mustapha Ousidhoum, médecin chargé de la cellule d'accueil et d'orientation des malades atteints de cancer à l'hôpital de Reggane. Ce médecin affirme, en outre, que les cas de cancer ont connu une augmentation de "plus de 50%" entre 2010, (soit avant l'installation, en 2011, de la cellule spécialisée) et 2015, pour passer de 20 cas à 48 cas par an sur la population de la région estimée à environ 100 000 habitants. Il convient de signaler, aussi, l'arrivée, dans la même journée d'hier, de la "Caravane El-Amel" de dépistage du cancer. F. A.