Pendant longtemps, les Aïssaoua ont presque été oubliés quand tout à coup on a assisté à leur surrection à la faveur des festivals de musiques populaires. A ce titre, ils rappellent les musiciens itinérants de la tariqa de Sidi Ammar qui allaient d'une région à une autre pour chanter au son d'un tambour traditionnel en brandissant l'emblème de la confrérie. Ça nous fait aussi penser aux groupes de musiciens des Aït Aïdel de Beni Ouartilane qui chantent uniquement des thèmes religieux relevant d'un genre appelé le M'dah. La hadhra, une thérapie et une catharsis On aurait souhaité avoir sous les yeux un ensemble de textes chantés qui soit représentatif du répertoire des Aïssaoua qui s'est enrichi dans le temps et l'espace, pour apporter la preuve que ce qui a été écrit dans cette confrérie pour être chanté, depuis les origines est à dominante thérapeutique et cathartique. Les Aïssaoua ont fait leur apparition vers le XVesiècle ou le XVIe siècle, selon les régions des pays maghrébins qui ont eu dans domaine des genres populaires beaucoup de points communs. Et en ces siècles lointains, les populations qui n'avaient pas de moyens suffisants pour se distraire, se recréaient, pour recouvrer leurs forces après un travail éreintant ou pour meubler le vide angoissant, accueillaient avec joie l'arrivée des Aïssaoua sur les places publiques. Ils leur apportaient beaucoup de réconfort, d'espoir en l'avenir. Ils renforçaient l'esprit de solidarité, d'union pour le bonheur et la bonne humeur chez tous les spectateurs. Ce qu'ils chantent au son de leurs flûtes en roseau ou de leurs tambours, se retrouve dans les chants polyphoniques des khouans de zaouaya (plusieurs de zaouiya) ou de milieux populaires lorsque ceux-ci sont formés en autodidactes à la faveur de leur voix ou de leur facilité à mémoriser les paroles. Une écoute attentive de leurs chants polyphoniques à plusieurs tons exécutés talentueusement en parfaite harmonie avec les instruments musicaux, raffermit les spectateurs dans leurs convictions religieuses et leur appartenance à la communauté de croyance et de pratiques rituelles, dissipe les doutes sur la nécessité de s'attacher à des principes pouvant conduire au succès dans la vie familiale et sociale ainsi qu'aux récompenses divines sous le prétexte qu'on a fait preuve d'humanisme vis à vis des plus pauvres ou des plus vulnérables de la société. Il arrive dans ce genre de représentation festive, que l'on soit transporté à condition que l'imagination soit surexcitée, vers un autre monde plus gai parce que plus clément. On est alors dans une situation d'extase ou d'émerveillement. Ceci entre dans le vécu de personnes marquées par des revers graves ou si elles ont intériorisé au fond d'elles-mêmes des souvenirs d'évènements traumatisants ou de désirs et rêves refoulés ; c'est ce qu'on appelle la catharsis qui offre l'occasion de décharge émotionnelle libératrice liée à un état de nécessaire extériorisation. Ainsi, s'il se trouve dans la masse des spectateurs des sujets sensibles, traumatisés par un événement malheureux ou éprouvés par la douleur, sinon des psychopathes, la guérison peut être d'autant plus possible que le spectacle est répété. Origines des Aïssaoua Les étrangers qui ont aimé les spectacles populaires des pays maghrébins, dans les siècles passés, comme la fantasia, Sidi Ammar, ont fortement apprécié la hadhra des Aïssaoua qu'ils ont eu l'occasion de voir de près, lors des voyages qu'ils ont effectués chez nous à la recherche des singularités et traditions sociales, ont pensé aux représentations théâtrales dont les bénéfices qu'on en tire est la catharsis ou purification de l'esprit suivie de remise en question de soi. Platon en a parlé au temps de la naissance du théâtre de Sophocle, ou d'Euripide. On dit que les spectateurs ne sont pas les mêmes avant d'avoir vu une tragédie et après l'avoir vue. Chaque pièce théâtrale à laquelle on assiste en spectateur attentif nous marque à vie. On a entendu dire que les groupes des Aïssaoua qui ont existé en Algérie, comme au Maroc et en Tunisie ont toujours eu des liens étroits avec les zaouaya peut-être pour des raisons d'ordre religieux. Jadis, la zaouiya recevait des jeunes qui avaient appris le Coran dans les écoles coraniques, pour une spécialisation en langue arabe, endroit ou en d'autres domaines. A Médéa ou dans ses alentours, il y aurait eu un chef de hadhra qui était aussi le chef de zaouia à laquelle les khouan sont rattachés avec un esprit de désintéressement. Mis à part les revenus que rapportaient la hadhra, les terres dont les membres ou la zaouia étaient propriétaires et qui fournissaient de quoi entretenir tout le monde dans la collectivité, le chef et ses subordonnés vivaient en bonne intelligence avec la population qu'ils servaient sans espérer une réciproque en échange des services rendus. Pourtant l'école coranique relevait de la gestion du maître des lieux. La hadhra était là pour la célébration des fêtes. On dit que la fondation de l'ordre des Aïssaoua remonte au XVe siècle. Avant de prendre de l'expansion dans tout l'espace géographique maghrébin, il a fallu qu'il y ait un premier, le créateur de la confrérie des Aïssaoua qui aurait vu le jour à Meknès. Il est mort dans la même ville en 1523. Il devait être un pratiquant qui aurait songé à procurer un moyen d 'épanouissement à une population en mal de repères ou de relations sociales fructueuses, en donnant naissance à la hadhra des Aïssaoua.