La foire «1 : 54», dédiée à l'art contemporain africain, a tenu sa cinquième édition à Londres du 5 au 8 octobre, toujours à Somerset House, édifice prestigieux des rives de la Tamise. Quelque 42 galeristes de 17 pays ont présenté le travail de 130 artistes, avec une forte présence de l'Afrique australe et des choix de plus en plus pointus chez les grands galeristes, notamment anglais. Solly Cissé, Romuald Hazoumé, Abdoulaye Konaté, Mary Sibande... Les grands noms de l'art contemporain étaient là, du Sénégal à l'Afrique du Sud, en passant par le Mali et le Bénin. Parmi les artistes les plus cotés sur le marché, l'incontournable Pascale Marthine Tayou, Camerounais installé en Belgique, était aussi présent, avec une installation montée par-dessus les jets d'eau de la majestueuse cour de Somerset House. Intitulée Summer Surprise, cette structure en bois hérissée de pavés suspendus et colorés a fait référence – de manière non explicite - aux suites africaines des Printemps arabes de 2011. Les aspirations au changement et à la pose de nouvelles fondations politiques sont réelles, mais elles restent fragiles, suspendues comme les pavés de la revendication au bon vouloir de chefs d'Etat qui s'accrochent au pouvoir. Une portée politique «Les taches de couleur sur les murs ne m'intéressent pas, confie Pascale Marthine Tayou. Je suis né après les Indépendances, je ne suis pas colonisé, je suis un homme libre. Je ne vais pas m'axer sur des lignes «postcoloniales» ou des débats identitaires qui ne font que nourrir des fonds de commerce, avec des gens qui ont des doctorats et passent leur temps à bavarder. On se demande comment planter des pommes de terre, et on les entend parler de «macro», de «micro»... On ne comprend pas ! En même temps, je ne veux pas que les générations futures viennent me dire que je n'ai pas fait mon travail. J'essaie de leur parler un langage que nous tous pouvons comprendre.» Cette foire, lancée par la Marocaine Touria El Glaoui, est devenue incontournable. La «crème de la crème» des galeristes du Nord comme du Sud, qu'elles s'appellent Momo à Johannesburg ou October à Londres, se dispute le marché avec leurs têtes d'affiche, des valeurs sûres. L'objectif : faire grimper la cote de leurs poulains et vendre aux collectionneurs. Une place de marché Du beau linge et des transactions : c'est ce qu'on pouvait observer sur le stand de la galerie Afronova, basée à Johannesburg, fondée et dirigée depuis les années 2000 par le Français Henri Vergon. Lors de la dernière édition de Paris Art Fair, en mai au grand Palais, elle avait réussi l'exploit de vendre en moins de trente minutes, à des prix enviables (en dizaines de milliers d'euros), toutes les œuvres présentées de son artiste phare, la Sud-Africaine Billie Zangewa. Celle-ci raconte ses tranches de vie avec des tableaux cousus en soie. A Londres, Afronova a privilégié d'autres noms de son catalogue, parmi lesquels l'artiste sud-africain Lawrence Lemaoana, dont les œuvres – elles aussi en tissu - peuvent encore partir à moins de 10 000 euros, mais dont la cote monte inexorablement. Le peintre français Vincent Michéa, graphiste de formation et ancien membre du célèbre collectif de designers 100 % Dakar, était représenté dans les deux ailes de Somerset House cette année, d'un côté par André Magnin (Paris) et de l'autre par la galerie Cécile Fakhoury (Abidjan). La peinture, support dominant «C'est important pour moi d'être à Londres, en tant que l'un des rares artistes occidentaux dans cette foire et sur ce marché, témoigne-t-il. Lorsque 1 :54 a commencé, en 2012, elle comptait moins de 15 galeries et sa sélection était d'une grande qualité, elle tirait vraiment vers le haut. Avec son élargissement, je n'ai pas été le seul à constater cette année que la qualité tend à se diluer – et c'est sans doute normal.» Parmi les artistes montants présentés par André Magnin à Londres, figurait cette année Amadou Sanogo, un jeune peintre malien de grand talent. Quant aux problèmes que pose la création contemporaine – une production encore largement extravertie et destinée à un marché occidental, à l'image des économies de rentes postcoloniales africaines qui exportent encore largement leurs matières premières sans les transformer sur place -, ils ont été discutés lors de tables rondes durant la manifestation. «La création africaine n'est pas dénuée d'effets de mode, poursuit Vincent Michéa. Elle suit le mouvement mondial, avec de la vidéo et des installations parfois sans queue ni tête». Force est de constater, cependant, que le gros de cette production passe par le support classique que reste la peinture. Un produit qui s'achète et se collectionne plus facilement.