Grande fête des temps modernes, la Coupe du monde de football se poursuit avec ses formidables aventures, et ce, malgré son outrancière marchandisation dont, notamment, le monopole de ses images, justifié par la «propriété intellectuelle de la FIFA». Où est l'œuvre et qui en est l'auteur ? Comment les pays et leurs peuples qui font le spectacle à travers leurs équipes nationales – et en sont donc légitimement auteurs – peuvent-ils être privés de le voir faute de payer un opérateur commercial qui n'existerait pas sans eux ? C'est un peu comme si l'ONU exigeait des nations une redevance pour que leurs drapeaux figurent à l'entrée de son siège à New York ! Mais, même contaminé par le mercantilisme, le favoritisme et les tricheries, le football demeure un spectacle fascinant. Et s'il n'existe qu'une seule manière de suivre un match, soit la passion d'assister à une belle rivalité de talents, d'engagements et d'intelligences, il y a de nombreuses façons de l'interpréter. L'histoire peut ressurgir comme avec l'Uruguay (pays dont la population n'excède pas celle d'Alger), qui, en battant sévèrement la Russie, est venu rappeler qu'il est le vainqueur de Coupe du monde de 1930, la première, puis de celle de 1950. La culture n'est pas en reste, comme avec le renversant Allemagne-Suède. Alors que l'arbitre chauffait son sifflet pour la fin du match, que les commentateurs déploraient déjà l'élimination du champion en titre, que le temps additionnel s'égrenait comme les derniers grains d'un sablier, Toni Kroos assurait in-extremis la victoire de l'Allemagne. Là, je n'ai pu m'empêcher de penser à Goethe qui affirmait : «On a toujours assez de temps quand on en fait un bon usage.» Il n'est pas sûr que Goethe figure dans la préparation de la Mannschaft, mais ses joueurs viennent d'un pays où la culture du temps imprègne la vie. Pour leur part, les Coréens ont eu, au IXe siècle, Choi Chiwon, penseur qui avait osé remettre en cause les positions de l'aristocratie. Et l'un des proverbes les plus populaires de la péninsule stipule : «Même si le ciel tombe sur toi, il y a toujours un trou par lequel tu peux t'échapper.» Par deux fois, ceux que l'on nomme les "Guerriers Taeguk", ont trouvé le trou de l'équipe allemande, faisant s'écrouler le ciel sur elle et l'éliminant ! Comme tous les sports, mais avec un manifeste supplément de passion, le football rejoint à la fois la tragédie grecque et la Commedia dell'arte, mettant en scène les cultures des peuples et leur originalité. Les «petits», comme l'Islande (à peu près la population du quartier de Bab El Oued), ou le brave Sénégal, peuvent rivaliser avec les «grands». Les «excommuniés» comme l'Iran peuvent étaler au grand jour leurs capacités et leurs beautés. Oui, bien sûr, il y a le 4-2-4, les dribbles, les contre-attaques, les rideaux défensifs, les centres en retrait et autres subtilités techniques ou tactiques... Mais, au fond, le foot est un vaste théâtre du monde et de l'humanité qui court après une reproduction miniature de notre planète.