Après avoir sorti deux ouvrages dans lesquels il parle du radicalisme et de sa plongée dans l'islamisme exacerbé dont il a su se sortir, Omar Benlaâla se met en tête de tracer le fil de ses racines dans Tu n'habiteras jamais Paris (Editions Flammarion). La discussion avec son père, décédé depuis, donne de l'émotion à ce récit poignant de bout en bout. Omar Benlaâla replace l'immigration sur un ton humain. – Comment est née l'idée d'écrire ce dernier livre, différent des deux précédents ? Il y avait une double intention dans l'écriture de ce livre. La première était de mettre en lumière le parcours de mes parents, et à travers eux celui de tous les parents venus d'Algérie. – C'est ce que tous les fils et filles d'immigrés rêvent de faire, non ? C'est ça ! J'ai eu l'occasion de le faire. D'abord parce que lorsque j'ai écrit La barbe, j'ai eu énormément de retours de personnes qui voulaient en savoir plus sur mon histoire et celle de ma famille. J'ai pensé alors que ce travail, si je le réalisais, intéresserait des lecteurs. La seconde intention était de leur donner la parole à un moment où cette génération est en train de partir avec son histoire entre les deux rives de la Méditerranée. Il fallait que cette histoire ne parte pas avec eux ! – Comment, selon vous, cette histoire très classique, qui se retrouve dans toutes les familles, peut-elle aboutir en un objet littéraire ? C'est vrai que c'est une histoire relativement classique, mais en même temps cela permet de donner la parole à quelqu'un auquel on n'a pas l'habitude de tendre le micro. C'est là en fait que cela devient quelque chose qui sort de l'ordinaire. – Pour vous, comment résumer en quelques mots ce que dit cette génération ? En une phrase, ils disent : «Regardez vers l'avant». Mon père me confiait avoir fait tout ça pour ça. Evoluer, progresser, chacun à sa manière. Avec chacun sa force et son rythme. C'est la leçon que j'en tire. – Comment avez-vous procédé ? Par une série d'entretiens ? Oui, et cela m'a rendu plus humble en écoutant mon père et d'autres personnes, en comprenant par quoi ils étaient passés. Je me suis rendu compte que ces personnes avaient une grande sensibilité. Ainsi, lorsque mon père me disait qu'il avait eu beaucoup de peine à «détruire Paris» lorsqu'il est arrivé. En fait, il s'agissait de son travail de maçon et de destruction de vieux bâtiments. Il avait simplement cassé des pierres pour en poser d'autres à la place. En fait, dans son discours, il avait une réceptivité artistique de son travail, une dimension culturelle, bien qu'il était analphabète et déscolarisé. Ecrire sur eux leur a donné une plus grande humanité que je l'imaginais avant. – A contrario, qu'est-ce que cela vous a appris de l'Algérie ? En réalité, cela m'a donné envie d'y retourner, mais malheureusement j'y suis allé il y a un mois pour enterrer mon père décédé peu après la publication du livre. Cela m'a donné le goût de découvrir ce pays d'où ils sont partis. Un pays que je connais peu. Cela faisait 27 ans que je n'y suis pas allé. – Justement, qu'avez-vous découvert de ce pays ? J'ai vu des paysages, quelque chose que je n'avais plus en mémoire, notamment le village kabyle où mon père a été inhumé. J'ai vu plein de visages qui ressemblaient au mien, à celui de mon père. Je suis complètement sorti de mon périmètre physique, intellectuel et de mémoire. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à creuser en moi en partant de là. Derrière les visages, il y a des choix, il y a des intentions, des voix, des destins. Pour moi, c'était une prise de contact. – Cela vous donne-t-il envie de quelque chose de littéraire autour de ce que vous avez ressenti ? Dieu seul le sait, mais cela me donne l'envie de m'y intéresser, certainement. – Et d'y retourner ? Oui, carrément ! – Dans le livre, il y a quelque chose qui complexifie le récit, c'est le deuxième personnage dont l'histoire est livrée en parallèle, celle de Martin Nadaud de la Creuse. Pourquoi ce rajout ? Au début, simplement, j'ai interrogé mon père sur la place Martin Nadaud (20e arrondissement de Paris, ndlr). J'ai appris par ailleurs qu'il était maçon, comme mon père. Ce qui m'a étonné. Comment un maçon pouvait avoir sa plaque dans Paris ? En me renseignant, j'en ai su plus sur les similitudes de parcours loin de chez eux. L'autre raison, c'est pour ma part, ayant été déscolarisé trop jeune, il y a beaucoup de choses que je n'ai pas apprises, comme l'Histoire de France. J'ai voulu me refaire mes cours personnels en m'intéressant à ce personnage et au XIXe siècle, son contexte politique, social.