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Il est temps de rendre l'école aux enfants et de l'éloigner du terrain politique Idir Bouaboud. Chargé de cours en didactique des études sociales au primaire à Ottawa
– «La prière, c'est à la maison. L'école est faite pour acquérir le savoir» : cette déclaration est de la ministre de l'Education nationale. Des propos qui n'ont pas plu à tout le monde. Un commentaire ? En l'état actuel des choses, on sort du cadre pédagogique. La raison d'être et la mission de l'école sont remises en question et l'amalgame entre savoir et religion est encore de mise. Il est toutefois légitime pour tout observateur de se demander pourquoi on reproche à une fillette d'avoir fait sa prière à l'école si dans cette école même, on lui inculque l'idée que les cinq prières doivent se faire régulièrement et dans les temps. Sans susciter de réaction, les réseaux sociaux nous inondent quotidiennement de vidéos d'enfants en bas âge endoctrinés, à qui on fait répéter par cœur des notions religieuses d'un autre âge, difficiles, si ce n'est impossibles à être assimilées même par des adultes lettrés. L'image d'un proviseur du sud du pays dirigeant la prière de ses élèves circule sur le Net, alors que, semble-t-il, son lycée n'a enregistré aucune réussite au baccalauréat. En fait, ailleurs comme ici, ce n'est que quand il y a un malaise pédagogique ou un calcul politique sous-jacent que ce genre d'événement occupe la une des médias. Sinon cet événement serait banal. Mais le problème fondamental reste toujours le même : quelle mission attribue-t-on à notre école ? – L'école est faite pour acquérir le savoir, mais la nôtre s'est éloignée de ce rôle primordial. Pensez-vous qu'on puisse se rattraper, vu les pressions exercées par certains courants ? Il est temps, en tout cas, de rendre l'école aux enfants et de l'éloigner du terrain politique. C'est le seul courant qui doit exister dans l'arène scolaire. Soyons clairs : la mission de l'école est en lien direct avec le projet de société que les décideurs projettent de réaliser. On connaît pourtant bien les missions des douanes, des pompiers, mais qu'en est-il de l'école, pourtant institution névralgique par excellence ? Dans notre contexte, il faut du courage politique pour définir cette mission sans laquelle la tutelle va naviguer à vue et sera sans vision dans ses réformes. Il faut ensuite expliquer clairement à tout le monde (parents, élèves et toute la société) le vrai rôle de cette institution pour recadrer les choses. Pour le domaine religieux, il n'est caché à personne qu'à l'extérieur de l'école, le pays regorge de lieux de culte, d'institutions religieuses, de confréries, de médias et d'associations largement suffisantes pour dispenser l'école de la formation religieuse. Le but étant de laisser l'institution scolaire se consacrer, outre ses missions scientifiques, à la consécration des principes du vivre-ensemble, du respect de la diversité, à l'éducation citoyenne et environnementale. – Nous sommes conscients que l'éducation islamique dans certains niveaux traumatise les enfants. Que suggérez-vous comme démarche pour acquérir le savoir, mais sans faire perdre à l'enfant les valeurs de l'islam en tant que religion, culture et civilisation ? Comme je l'ai souligné précédemment, des milliards ont été dépensés pour construire des édifices religieux. Le culte en Algérie a même un ministère et un budget conséquent. Il faudrait sincèrement réfléchir à confier l'éducation religieuse à ces institutions et aux parents. Ces organismes constituent vraisemblablement un réel système «éducatif» parallèle. L'école pourra alors retrouver sa vocation essentielle, à savoir : la diffusion des savoirs, des apprentissages et la formation de citoyens avertis et actifs dans leur communauté. C'est une solution à mon avis juste, qui ne fait pas dans la confusion et qui place chacun dans son rôle. – Que pensez-vous du discours religieux des manuels scolaires d'éducation islamique ? Reflète-t-il une représentation cognitive sur l'islam ou renvoie-t-il à un discours idéologique et identitaire ? Ce n'est pas sans inquiétude que j'ai récemment survolé sur un site officiel quelques compositions et devoirs d'éducation religieuse de 3e année élémentaire. Les questions posées sur les noms des anges et le châtiment réservé aux impies mettent en déroute toute volonté d'inscrire l'école dans son vrai rôle. Les questions sont d'un autre registre que celui des valeurs universelles et de la pensée critique. Ce n'est même pas en lien avec la réalité de l'élève ni avec ses capacités cognitives. Avec tous les traumatismes de la décennie noire, on constate avec regret et étonnement que les valeurs religieuses ne sont malheureusement pas associées à une véritable formation citoyenne, axée sur le respect de soi et de l'autre. C'est ainsi qu'au fil du temps, l'école a perdu la confiance du public. Dans notre pays, la politique a, en fin de compte, fait de l'école ce qu'elle a exactement fait de la religion : une arme en jeu politique. Il faudrait, pour conclure, repenser sa mission, ses approches didactiques et ses moyens et l'extirper notamment des enjeux idéologiques préjudiciables à la paix sociale et au développement. – Idir Bouaboud : est licencié en sciences de l'éducation de l'université d'Ottawa, au Canada, et docteur en sciences sociales de l'université de Créteil en France (thèse soutenue sous la présidence de Charles-Robert Ageron en 1998). Enseignant agrée en Ontario, il a enseigné dans divers paliers pendant des années. Il est actuellement chargé de cours en didactique des études sociales au primaire, à la faculté de l'éducation d'Ottawa (campus de Glendon à Toronto).