Il y a longtemps, très longtemps, qu'on n'avait pas vu cette déferlante humaine, joyeuse bigarrée, enthousiaste et heureuse, qu'un manifestant avait volontiers comparée au jour de l'indépendance. Il faut dire que le peuple a vécu jusque-là avec un excès de morosité, proche de la dépression, tellement fatigué, découragé mais jamais résigné bien qu'il ait beaucoup cru en la fatalité. Mais face au déclin, aux déviances, à la décadence, aux vilenies, l'Algérien a trouvé les ressorts nécessaires pour se débarrasser des conduites d'évitement que le pouvoir a suscitées et encouragées à travers cette devise mortifère, par lui distillée : «Takhti rassi !» Le peuple a compris que son destin ne peut être que collectif, car il a vécu des humiliations et surtout des pratiques étrangères à notre culture, à notre vécu, celles de la soumission à un dirigeant érigé en totem et des attitudes contraires à nos us et coutumes et valeurs ancestrales. Le pouvoir a poussé le ridicule jusqu'à accoler le portrait du Président à côté de l'acte de propriété des bénéficiaires de l'AADL. Présentant cet acte comme une faveur et un don du chef puisé dans ses propres fonds alors que c'est un droit absolu et tous les logements sont financés par le Trésor public. Encore une supercherie. C'est prendre les citoyens pour des dindons que de servir des illusions à travers des perversions démagogiques où le mensonge est institutionnalisé à l'instar de la corruption et d'autres méfaits tout aussi graves. Mais ces recettes sont éprouvées. Les manifestants, qui ont de nouveau marché hier dans une dynamique extraordinaire, sont ceux-là mêmes qui ont été déconsidérés, humiliés et dépréciés, laissés sur le bord de la route par un pouvoir en net décalage avec la réalité. Ils se sont aussi soulevés contre la tromperie, la ruse et le mensonge. Il se sont rendu compte du naufrage de toutes les institutions budgétivores, mais gelées depuis l'arrivée au pouvoir de ce Président. Les quatre institutions comme la Cour des comptes les IGF, le Conseil économique et social (sans président depuis 2 ans), les institutions croupions comme la flopée d'observatoires de l'énergie, des droits de l'homme, contre la corruption qui ne sont là que pour le décor afin de donner l'illusion d'une «démocratie» qui n'est en fait que pacotille ! Toutes ces «politiques» scélérates ont abouti, hélas, à l'émiettement et à l'éclatement de la société qui, heureusement, a plié mais n'a pas rompu. A voir hier les millions de manifestants marcher dans le calme et chanter à tue-tête, dans la ferveur et l'enthousiasme, des hymnes dédiés à la patrie réchauffe vraiment le cœur. Face aux rideaux de fumée fameux et trompeurs, que d'apprentis sorciers ont érigés en politiques, d'autres rideaux se sont déployés, hier, ceux de l'emblème national fièrement exhibé. Un signe d'attachement à la patrie dont le crédit commençait à s'effriter. L'espoir était ligoté et le mal-être était vécu jusqu'à ses limites, dans les tréfonds de chacun, en raison d'un pouvoir tyrannique qui n'a eu de cesse de museler et d'oppresser, de fermer toutes les issues de la liberté, afin de s'adonner à la rapine et à la prédation des biens publics en toute quiétude, en toute impunité ! Ceux parmi le pouvoir qui sont épinglés sont promus ! L'état de dépression s'est installé chez la majorité avec son lot de désespérance et de perte de confiance. Mais le peuple a repris la main à travers ce sursaut d'orgueil qui remet l'histoire à l'endroit. Cramponnés à leurs privilèges mal acquis, le souci de ceux qui nous dirigent est d'amasser le maximum. Mais on redécouvre derrière Jean-Jaques Rousseau : «Qu'on a tout avec l'argent, hormis des mœurs et des citoyens.» Hier, un manifestant déclamait un poème du sublime d'Echabbi : «La nuit finira par s'estomper Les chaînes finiront par être brisées Et celui qui rechigne à escalader les montagnes Vivra à jamais dans les grottes.» Le fait que cette marche coïncide avec la Fête de la femme, cela donne plus d'éclat à la manifestation puisque la mère est au cœur de la cellule familiale que le régime a vainement tenté de déstructurer. Quant à la lettre envoyée à la femme en cette journée symbolique, elle a eu cette réponse d'une manifestante : «Encore une ruse ! Les échanges épistolaires à défaut de l'image et du son ont fini par nous agacer.»