Alors, quelle tournure vont désormais prendre les événements ? La question lancinante est posée ici et là, avec beaucoup d'inquiétude. Difficile d'y répondre tant le statu quo n'est pas un indicateur fiable et rassurant. Mais l'actualité livre d'autres indices porteurs de nouveaux éclairages. Pas besoin donc de se référer à Churchill pour déclarer que «la prophétie est un genre difficile, surtout quand elle bute sur l'avenir !» Ce qui est évident, c'est qu'après trois mois et demi de manifestations, nous nous retrouvons paradoxalement devant une place rigide et figée, mais qui bouge ! Décidément, la pression du hirak, dont il faut souligner le sursaut salvateur et les multiples sacrifices, a grandement changé les données et bouleversé le paysage politique unique et inique, qui en fait n'en était pas un au sens noble du terme ! Pendant toute cette période, on a longuement glosé sur la Constitution, ses absences et ses non-dits, n'ayant à l'esprit, en permanence, que l'article 102 devenu une fixation, voire une obsession. On a d'ailleurs tellement rabâché les articles qu'on a fini par admettre que le peuple pense à l'inverse des gens qui font la loi. En réalité, si la Constitution n'est pas démocratique, elle ouvre la voie à tous les dépassements, à tous les errements. C'est pourquoi le nouveau Président élu loyalement devra revoir ce texte fondamental et procéder aux changements nécessaires, en l'extrayant de la mainmise et des pouvoirs exorbitants, conçus sur mesure par le Président déchu, qui était en même temps le bourreau et le justicier ! Bien évidemment, il ne s'agit pas de repartir à zéro ! Les démocraties factices ne sont en fait que des tyrannies, où au nom des libertés abstraites et virtuelles, disparaît l'indépendance individuelle et collective. Désormais, le cap est mis sur les élections, mais celles-ci ne sont qu'un mécanisme de la démocratie qui doit reposer sur une Constitution forte, juste, consensuelle, qui ne doit occulter ni les droits et devoirs de l'individu ni ceux de la communauté. C'est pourquoi il faut un toilettage à ce texte fondamental pour ne pas se courber de nouveau devant des règlements plus ou moins incomplets, flous, abstraits et parfois contradictoires. Les élections libres et transparentes annoncées seront, ainsi, la clef de voûte pour une sortie de crise. Elles devraient, comme on le laisse entendre, s'appuyer sur une commission indépendante, composée de représentants de magistrats, d'avocats, de la société civile, du hirak, dont la mission essentielle est l'organisation, la révision des listes électorales et un droit de regard sur le fichier national électoral, le contrôle, la supervision directe du scrutin jusqu'à la proclamation des résultats. Le président de cette commission est élu par l'ensemble des représentants de cette commission. Une fois cette instance installée et opérationnelle, la présence de Bensalah et de Bédoui ne sera que formelle et caduque, dès lors qu'ils n'auront aucun impact sur les élections futures.Mais attendons de voir ces textes en préparation pour juger des intentions du régime. Le chef d'état-major semble avoir terminé le déblayage des terrains minés par ses adversaires, réels ou supposés, pour franchir une autre étape imposée par la tournure des événements. Les principaux hommes investis pour mener les affaires de l'Etat ont vu leurs actions se solder par des échecs cuisants. Ils n'avaient pas la légitimité, voilà qu'ils sont délestés du peu de crédit qu'on leur prêtait. Aussi, au même titre qu'on a fustigé les institutions croupions, on fait de même pour ce gouvernement morpion qui s'accroche mordicus et indûment à son fauteuil. Le peuple a beau crier qu'il en a par dessus la tête de lui, non seulement parce qu'il incarne le régime honni qui l'a nommé, mais parce que même disqualifié il a dépassé ses prérogatives pourtant limitées. Les événements se sont précipités ces derniers mois avec une rapidité inimaginable ! Et voilà qu'en contemplant le paysage politique, on s'aperçoit que les longues carrières factices et de pouvoir absolu se terminent devant les tribunaux ou dans les prisons sous les quolibets et la vindicte du peuple trompé ! Les imposteurs, les dictateurs, les prédateurs, ainsi que ceux qui ont adhéré à l'infamante continuité en s'adonnant à la danse du scalp autour d'un totem seront jugés par l'Histoire, si tant est que l'Histoire daigne ne pas les oublier tout à fait ! Espérons que cette opération «mains propres» n'entre pas dans le cadre des représailles ou des règlements de comptes. Maintenant que tout le monde croit que le destin est en marche à travers l'espoir des uns et la crainte des autres, le pouvoir doit s'en remettre au peuple souverain, dont le désir de vrai changement n'est pas un luxe, ou une lubie, mais une farouche volonté de conquérir son pouvoir consacré, mais jamais exercé.