Dans la forêt amazonienne vivait une tribu, les Jivaros, terme péjoratif utilisé par les conquistadores espagnols signifiant «barbares», qui pratiquaient un rituel chamanique de réduction de la tête de leurs adversaires. Une fois vidée et désossée, la tête était desséchée à l'aide de cendres et de pierres chaudes, remplie de sable, cousue et remodelée. Loin de là, dans un pays semi-désertique, où les arbres et l'eau sont beaucoup plus rares, une autre coutume actuelle consiste à réduire les corps et couper les têtes. Car après le ralentissement naturel de la mobilisation en été, à cause de la chaleur et des congés, le mouvement de protestation s'est revitalisé en septembre avec une nouvelle vigueur, ce qui a fait peur en prévision de l'élection de la fin de l'année et donné cet autre rituel chamanique : couper les têtes et mettre en prison les plus représentatifs pour désagréger le mouvement. Avec l'idée que tout le monde arrête de marcher, de parler et de se déplacer, et attende gentiment l'élection du 12 décembre pour aller voter massivement. Sauf que le mouvement étant horizontal, ce qui fait sa force en même temps que sa faiblesse, rien n'a servi de couper en hauteur. Il faudrait couper en largeur, c'est-à-dire mettre en prison ces millions de marcheurs hebdomadaires. Opération complexe à mettre en œuvre, même si Bouteflika faisait la même chose : dès qu'un leader indépendant émergeait, il s'arrangeait pour le mettre hors d'état de nuire. Mais comme le mouvement d'opposition était vertical, il était plus facile à réduire et, de ce point de vue, si le Jivaro essaye toujours de réduire les têtes avec cette idée d'une élection libre mais avec tous les candidats en prison, le hirak ressemble plus à un poulpe avec sa décentralisation neuronale qui lui donne trois cœurs mais surtout neuf cerveaux. En plus, comme on l'a vu pour ces marcheurs venus en barque pour contourner la fermeture d'Alger, le poulpe sait nager. Pas facile pour un Jivaro de l'attraper. Encore moins de lui couper la tête.