Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Nous n'avons pas les moyens pour lutter contre cet emballement climatique Dr Farès Kessasra. Maître de conférences, directeur de recherche à l'université de Jijel et consultant auprès de l'Unesco à Paris
– Quel est l'impact du dérèglement climatique sur l'Algérie ? En Algérie, le sol se trouve épuisé mécaniquement du fait du gonflement et du dégonflement répétitifs liés aux dérèglements météorologiques. Il perd de sa cohésion. Des sols agricoles de plaine font face à une érosion intense (éolienne ou hydrique) et les sols montagneux sont affectés par des instabilités de terrains (glissements et affaissements). Certaines villes côtières feront face à la montée du niveau de mer. Le littoral algérien est menacé à court terme. Quelques centimètres de plus peuvent faire immerger des quartiers entiers à Oran, Alger et Skikda. Les projets urbains en bord de mer devraient respecter les issues de nos modèles climatiques. Par ailleurs, le smog (brume brunâtre épaisse, provenant d'un mélange de polluants atmosphériques, qui limite la visibilité dans l'atmosphère, ndlr) est déjà une réalité à Alger, où ce nuage de particules enveloppe les premiers mètres du ciel. Si on ne diminue pas nos émissions de Gaz à effet de serre (GES) dans les villes de plus d'un million d'habitants, ce smog nous serait bien familier. Les effets de cette couche sont néfastes sur l'homme et ses allergies se multiplieront. Ses infectons pulmonaires se généraliseront et le taux de mortalité de la nation connaîtra une hausse sensible. – Quels sont les gestes qu'un citoyen peut adopter pour réduire les GES ? A titre d'exemple, aucune limitation de circulation n'est appliquée en Algérie, où ailleurs on parle de circulation alternée. Aucune étiquette «bonus-malus» n'est collée sur le pare-brise des voitures. Aucun contrôle de véhicules n'impose à remplir la case «engin polluant». Aucune piste cyclable n'est aménagée à Alger. Le transport en commun est le parent pauvre de notre politique de mobilité, si elle existe. Les solutions sont structurelles : réadapter les structures de contrôle et de gestion pour mieux lutter contre ces émissions. – Pensez-vous que l'Algérie mettra en place de réelles mesures pour stopper les GES ? L'Algérie nous a habitués à signer et à ratifier tous les accords, mais ne prend que des «mesurettes», en totale disproportion avec son poids de pays-continent. La cause est simple, nous n'avons jamais adopté une véritable politique environnementale. En cinq ans, nous avons eu droit à plusieurs ministres de l'Environnement, réduits à signer et à ratifier sans vision sur l'avenir qu'on veut donner à nos actions en faveur de la préservation de notre patrimoine naturel et nos moyens disponibles. – Quelle stratégie doit adopter l'Algérie afin de mettre fin à l'augmentation des émissions d'ici 2020 et réduire les émissions de façon drastique pour atteindre la valeur nette de zéro émission d'ici le milieu du siècle ? On n'atteindra pas le zéro émission de gaz, et puis 2020 c'est demain. L'Algérie est appelée à élaborer sa stratégie à la hauteur et la grandeur de son territoire. Les émissions des GES doivent être intégrées dans un schéma global du climat, prenant en compte les issues des modèles du GIEC pour l'Afrique du Nord. Le réchauffement atteindra 1,5 °C entre 2030 et 2052 en Afrique, mais en Afrique du Nord les modèles climatiques convergent tous vers une baisse drastique des précipitations, chose qui devient une réalité. La pluie à Alger a diminué de presque 200 mm/an depuis dix ans. Autrement dit, notre pays connaîtra des températures extrêmes, des sécheresses répétitives et des épisodes pluvieux de plus en plus intenses, ce qui influera inéluctablement sur la disponibilité de l'eau et le rendement de nos sols agricoles. Il y a donc menace sur notre sécurité alimentaire. Sur le registre des actions à mener, on doit identifier nos priorités de lutte contre le réchauffement d'abord. On doit agir sur les deux fronts et appliquer les deux politiques de lutte afin de rattraper notre retard. Agir en amont en limitant nos émissions par l'application des lois existantes, en taxant les mauvais pollueurs et en encourageant les bons dépollueurs. En aval également, on interviendra par l'adoption d'une véritable charte éthique de reconquête de notre patrimoine floristique, la déforestation doit être sanctionnée au profit des campagnes de reboisement. Nul ne peut contester le rôle moteur que joue un arbre pour pomper et fixer le CO2 et les particules gazeuses polluantes en milieu urbain. En second lieu, et sans complexe aucun, aller vers la politique punitive de taxation des industriels pollueurs selon une classification nationale des industries polluantes et se tourner enfin vers les villes et les territoires urbains comme acteurs à responsabiliser. La ville en Algérie doit être responsabilisée pour ses émissions de gaz et donc payera le Trésor public en cas d'infractions. Parallèlement à ces mesures, une politique d'incitation écologique selon le principe du «dépollueur-payé» doit voir le jour, ceci demandera plus de dotations budgétaires. – Avons-nous les moyens de cette politique ? Absolument pas ! Nous n'avons ni les moyens humains qualifiés pour mener le bateau Algérie dans cet océan du désordre planétaire ni les moyens financiers et techniques pour lutter contre cet emballement climatique. Je dirais même que parfois nos responsables manquent de bon sens. A Jijel, j'ai assisté cet été aux travaux de lancement d'un centre d'enfouissement technique d'ordures ménagères à quelques encablures du Parc national de Taza, classé réserve biosphère de l'Unesco. J'avais rédigé une lettre adressée à Madame la ministre de l'Environnement, qui est resté lettre…morte. La voix d'un professeur ne dépasse pas l'écho d'une salle de cours dans ce pays. Cela montre à quel point on méprise l'expertise humaine au profit d'intérêts peu élogieux. Il y a absence de normes techniques en matière d'équipements de DFCI (défense des forêts contre les incendies). C'est dans ce contexte qu'une convention a été signée le 9 juin 2019 avec l'ambassade du Japon, en collaboration avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), portant «assistance technique à la gestion des feux de forêt», Le projet en question consacre l'essentiel de son contenu dans une démarche d'atténuation de la problématique des feux de forêt, vise à mettre en place un processus permettant de dégager les voies et les moyens afin de réduire sensiblement la pression liée aux incendies de forêt. A ce titre, trois activités sont retenues pour le renforcement des capacités, à savoir : -Former des équipes de formateurs pluridisciplinaires, composées de forestiers, de sapeurs-pompiers et de gendarmes, capables de former à leur tour d'autres équipes aptes à mener des investigations sur la recherche des circonstances des causes des déclarations des feux de forêt. Il est à noter que la première session de formation s'est déroulée du 17 au 20 juin 2019 au niveau de l'Ecole nationale des forêts de Batna, une deuxième session est prévue avant la fin de l'année en cours. -Développer les techniques de retour d'expérience impliquant les principaux acteurs dans la lutte active, afin de mettre en place des normes techniques en matière d'équipements DFCI (défense des forêts contre les incendies) et prendre des mesures adéquates en matière d'actions de prévention. -Réaliser une stratégie nationale et un plan de lutte contre les incendies de forêts, définissant les orientations prioritaires au niveau national et planifier les actions à entreprendre à moyen terme, la réalisation d'un tel document interservices nécessite un comité de pilotage interservices et interdisciplinaire et de l'animation de groupes de travail thématiques.