Le projet d'amendement de l'article 61 du code de procédure pénale relatif à l'existence d'une plainte des organes sociaux pour toute poursuite judiciaire contre un cadre dirigeant d'une entreprise publique «ne sert à rien», explique le pénaliste Me Miloud Brahimi, qui regrette que «la justice soit encore utilisée pour régler des problèmes purement politiques». – Le ministre de la Justice a proposé l'annulation de l'article 61 du code de procédure pénale, qui exige une plainte préalable des organes sociaux en cas de poursuite contre les cadres dirigeants des entreprises publiques. Qu'en pensez-vous ? En fait, nous sommes devant la logique du verre à demi-vide ou à demi-plein. D'un côté, on fait en sorte de ne pas laisser continuer la dilapidation des deniers de l'entreprise, et de l'autre, ont voit cet amendement comme une volonté d'enlever toute protection juridique aux cadres dirigeants des entreprises publiques consacrée par le code de procédure pénale. – Ne pensez-vous pas que cet article a été introduit par l'ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, le 24 juillet 2016, pour bloquer toute enquête liée à la corruption, après les scandales ayant éclaboussé de hauts responsables du régime ? Je peux vous dire que cette disposition n'a jamais été respectée, aussi bien pour les enquêtes ouvertes que celles en cours actuellement. Les cadres dirigeants de la BNA (Banque nationale d'Algérie), du CPA (Crédit populaire d'Algérie), de l'Onou (Office nationale des œuvres sociales universitaires) de l'Etusa (Entreprise du transport urbain et suburbain d'Alger), pour ne citer que ceux-là, ont tous fait l'objet de poursuites judiciaires et été placés sous mandant de dépôt, sans qu'il y ait une plainte préalable des organes sociaux des entreprises publiques qu'ils dirigent. L'article 61 du code de procédure pénale a toujours été ignoré et on s'est toujours plaint de cette violation de la procédure. Le problème n'est pas dans la disposition, mais dans le respect de la loi. Les gens qui croient résoudre un dysfonctionnement politique par des mesures judiciaires se trompent. Le vrai problème du pays est politique. Les solutions ne peuvent être que politiques. – Voulez-vous dire que nous sommes toujours dans l'instrumentatlisation de la justice ? Mais bien sûr. Nous sommes en train de transformer une lutte politique en lutte judiciaire. Le système ne semble pas avoir la volonté de régler les problèmes auxquels fait face le pays, notamment celui de la corruption. J'ai beaucoup apprécié les propos de l'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, lorsqu'il a lancé : «Tôt ou tard, il faut envisager le pardon.» Moi, je dirai mieux : «Il faut envisager très tôt l'amnistie, quitte à exiger des remboursements des deniers détournés.» Le problème de l'Algérie est strictement politique et non juridique. – Dans le communiqué qui a sanctionné le dernier Conseil des ministres, le ministre de la Justice a évoqué des mesures de protection des cadres dirigeants dans le code de procédure pénale. Est-ce le cas ? Nous n'avons rien protégé. On décide et on passe à l'action. L'exemple de tous ces cadres dirigeants emprisonnés est une preuve flagrante. Cela ne date pas d'hier. Rappelez-vous la campagne menée contre les cadres de l'Etat durant les années 1990. Des centaines ont été emprisonnés et certains sont morts durant leur incarcération. Nous n'avons pas tenu compte de ces erreurs. On continue à agir en instrumentalisant la justice. Depuis juin dernier, nous assistons aux mêmes pratiques. Je regrette de dire que la justice est encore utilisée pour régler des comptes. Les problèmes politiques doivent être traités politiquement et non pas à travers la justice.