Bâtir des maisons sans porter atteinte à notre planète. Soyons plus écologistes. Possible ? Oui. On parle d'une architecture durable. L'architecture avec la terre, en est, entre autres, un exemple. L'architecture durable s'est imposée comme une éventuelle alternative pour réduite l'impact négatif sur la planète. Loin d'être un effet de mode et un concept en vogue, l'architecture se présente comme étant une réelle démarche visant à allier fonctionnalité, confort, économie en matières premières et respect de l'environnement au sens large du terme. Autrement dit, et en référence à la notion de développement durable telle que définie par les Nations unies, l'architecture durable est l'art et la technique de concevoir et réaliser des constructions tenant compte de facteurs humains, environnementaux et économiques à la fois. Pour Najet Aroua, architecte-urbaniste, spécialiste en urbanisme et environnement, le réel défi réside dans la recherche d'un équilibre viable entre ces trois facteurs naturellement rivaux mais nécessairement solidaires. Selon elle, si la notion est relativement récente, la pratique remonte au néolithique puis s'est progressivement interrompue après la révolution industrielle et le progrès technologique. «Or, la technologie a montré ses limites et ses dangers vis-à-vis de la santé humaine et des équilibres environnementaux. Et les objectifs du développement durable sont précisément de les circonscrire à défaut de les éliminer définitivement», explique la spécialiste. Maison traditionnelle Abderrahmane Zidane, expert foncier, architecte et consultant en génie de l'environnement, explique que l'architecture durable comprend plusieurs aspects. «L'un des plus importants est la typologie qui est liée à la sociologie de l'habitat tenant compte des traditions ancestrales des différentes composantes sociétales du pays.» L'autre aspect concerne, selon lui, l'intégration des éléments écologiques pour l'indépendance énergétique de cette architecture de même que le traitement des eaux usées pour permettre la création d'un écosystème qui préserve l'environnement. Tous ces aspects sont essentiels pour définir l'architecture durable. En d'autres termes, l'architecture est dite durable lorsqu'elle modifie le moins possible la physiographie du site où elle s'implante pour répondre aux besoins et aspirations de ses usagers. Mais si l'équation peut sembler difficile à résoudre aujourd'hui, c'était pourtant la règle par le passé. «Y compris en Algérie, à Alger ou Ouargla, dans les montagnes de Kabylie et ailleurs en ville ou à la campagne», assure M. Aroua. D'ailleurs, de son point de vue, la maison traditionnelle illustre bien la notion d'architecture durable dans la mesure où elle donne forme à un espace signifiant sur le plan socioculturel, où elle ménage le paysage sur les plans technique et esthétique et optimise le rapport qualité-prix. «Ce sont précisément les qualités que recherche l'architecture durable en plus du confort moderne, telles que l'eau courante, l'électricité, le gaz, le chauffage, le téléphone et l'internet, devenu indispensable», précise-t-elle. A cet effet, M. Zidane pense que même si, dans l'absolu, il faut se tourner vers ce type d'architecture, mais c'est justement à cause des nouveaux éléments de modernité que cela risque d'être compliqué. Textes Selon lui, le mode de vie actuel rend sa vulgarisation et l'attachement à cela par les utilisateurs même dans un environnement traditionnel de la société très difficile. Quelles seraient alors les méthodes permettant d'intégrer la dimension environnementale dans l'élaboration des projets urbains ? D'abord, M. Aroua explique qu'à l'échelle de la ville, les enjeux environnementaux sont plus complexes et doivent être pris en considération bien avant la conception des projets urbains, c'est-à-dire à l'heure du choix de la stratégie de développement national et d'aménagement du territoire puis d'élaboration des plans d'action qui en déclinent les orientations. Si la démarche du développement durable accorde autant d'intérêt à la dimension sociale qu'environnementale, même si c'est la santé, la sécurité et l'intérêt des personnes qui prévaut en dernier ressort, on lui reproche cependant, à juste titre, de continuer à plier face aux exigences du marché et du capital. A cet effet, M. Aroua explique que lorsque la communauté décide, en connaissance de cause et d'un commun accord, de protéger, conserver ou restaurer son environnement naturel, faune, flore, ressources naturelles et paysages, alors les textes et les pratiques s'y conforment automatiquement. C'est pour cette raison qu'il est important, selon elle, d'informer et former à l'économie de l'environnement et le développement durable afin de prendre conscience des enjeux que représente le développement durable pour notre pays et d'en partager la responsabilité. «L'information est principalement la mission des médias qui sont au plus près des citoyens et bénéficient d'une large audience. La formation, quant à elle, s'adresse en premier à tous les niveaux scolaires avant de se constituer en domaines de spécialité pour quelques-uns», ajoute-t-elle. Alternative Ce n'est, toujours selon M. Aroua, que lorsque cette finalité est consentie par la majorité et qu'elle est institutionnalisée que les professionnels parmi les enfants du pays adapteront ou concevront les méthodes et outils qui répondent au mieux aux spécificités locales en termes de valeurs morales, culturelles, environnementales et économiques. La spécialiste ajoute : «Concrètement, c'est la démarche bioclimatique ou écologique qui est préconisée aujourd'hui. C'est-à-dire la conception de projets d'architecture et d'urbanisme tirant raisonnablement profit des ressources naturelles locales pour la construction, l'éclairage, le chauffage, la ventilation, l'alimentation en eau, la prévention des risques en lien avec les phénomènes naturels (tels que les inondations dues aux fortes pluies) ou les activités humaines (tels que la pollution atmosphérique et environnementale).» De son côté, M. Zidane affirme que l'intégration d'éléments écologiques pour améliorer et préserver ne se décrète pas par des ateliers de recherche ou par des intentions de bon vouloir mais par un niveau élevé de l'approche sur l'environnement et l'intégration des éléments écologiques comme l'énergie solaire, l'utilisation des matériaux de construction nobles comme la terre, la pierre qui sont les matériaux par excellence. Et le projet des 200 colonnes à Climat de France à Alger réalisé par l'architecte Pouillon en 1956 en est un exemple parfait. Et justement, l'architecture de terre n'est-elle pas une bonne alternative ? «Si», assure M. Aroua, qui explique que l'architecture de terre appartient à notre patrimoine culturel et peut être de bonne inspiration aujourd'hui, car les matériaux naturels ont les propriétés thermiques, acoustiques et énergétiques requises. Constructions jetables Selon elle, la démarche du développement durable invite en l'occurrence à prendre exemple et s'instruire des leçons du passé. Cependant, en architecture et en urbanisme, une alternative devient durable quand elle s'inscrit dans une démarche intégrée de développement général. Autrement dit, lorsqu'elle traduit les principes du développement durable qui président à la sélection du site et la conception même du projet, à son implantation et son orientation, son emprise au sol et sa forme, au choix des matériaux de construction et des mesures de confort intérieur. A l'inverse des constructions à base de matériaux locaux, les constructions à base de matériaux industriels sont des constructions jetables. Une raison supplémentaire de privilégier l'architecture de terre. Si les matériaux locaux sont écologiques, modulables, renouvelables, recyclables et capables de répondre aux normes de confort actuelles, ils comptent encore d'autres qualités. Contrairement aux idées reçues, la construction en terre n'est pas propre aux régions du Sud mais peut tout aussi se faire dans tout le territoire national. A cet effet, Karil El Ghazi rappelle que pratiquement toutes les Casbahs des villes du Nord ont été édifiées en terre. Ce matériau est utilisé depuis très longtemps, des villes entièrement en terre crue ont été bâties, mais ce patrimoine, qui est universel, a été occulté. Par ailleurs, ce sont des matériaux à très forte inertie thermique (non énergivores). «L'épaisseur des murs ainsi que les caractéristiques de ce matériau font de lui un isolant thermique et acoustique et aussi imperméable», explique l'architecte Karim El Ghazi. Et cela grâce à un épais mélange de terre et de végétaux herbacés enracinés qui permet la réalisation des toitures relativement bien isolées, étanches à l'air et à l'eau, résistantes au vent et au feu. Unesco Mais sur quels critères doit-on se baser pour définir la possibilité de construire avec ces types de matériaux ? Selon Karim El Ghazi, à chaque matériau ses propres caractéristiques physiques et ses limites technologiques. «Cela conduit le concepteur à choisir des matériaux adaptés pour son projet. Il est évident qu'on ne peut construire des tours ou des gratte-ciel ou bien même des équipements qui demandent des portées très importantes avec de la terre», explique-t-il. En effet, généralement, les maisons construites en terre ne sont pas réalisées en hauteur, et les portées structurelles ne sont pas importantes, ce qui constitue un volume assez stable pour toute secousse, et généralement même s'il en résulte des fissures, celles-ci s'auto-colmatent après les premières pluies (puisque c'est de la terre crue non cuite). De l'avis de M. Aroua, l'usage de la terre, de la pierre ou tout autre matériau naturel dépend entre autres de l'environnement local (notamment climatique), des activités qui vont se dérouler dans le quartier où le bâtiment et bien entendu des vœux du maître d'ouvrage. «Or, ces matériaux sont peu disponibles sur le marché et les métiers dont ils relèvent se perdent», se désole-elle. Heureusement, avec l'aide de l'Unesco, de nombreux artisans, professionnels et chercheurs tentent de les promouvoir, y compris en Algérie. Finalement, pour réussir dans cette perspective, il est toutefois nécessaire de combiner savoirs populaires et connaissances scientifiques. Pour elle, la promotion des matériaux naturels ou écologiques (à base de matériaux naturels) peut aider à relever les défis environnementaux et climatiques actuels. Mais, «cela procède d'un choix de société pour une stratégie de développement durable et sa mise en œuvre par des personnes qualifiées et conscientes des enjeux socio-économiques et environnementaux qu'ils présentent à l'échelle nationale et mondiale», précise-t-elle. L'urgence Et donc, faut-il rêver de constructions modernes en terre ? Parmi les architectes contemporains qui ont tenté l'expérience, Hassan Fathy fait figure de chef de file en matière d'architecture de terre. «Ses projets en Egypte, en Espagne, en Grèce et aux Etats-Unis prouvent, si besoin est, qu'elle peut s'accommoder des exigences de la modernité en termes de solidité, de confort et d'esthétique», assure M. Aroua. En termes de coût, Karim El Ghazi assure que Tafilalt, à Ghardaïa, constitue un exemple parfait. Tout a été construit en terre crue, une ressource naturelle et locale, 100% recyclable et surtout non polluante. «Plus de 10 ans après avoir été bâti, ce quartier apporte la preuve qu'il est possible d'édifier à moindre coût une architecture de terre avec une faible consommation énergétique et un vrai confort thermique», fait-il savoir. Malgré les nombreux avantages, on n'y a pas recours pour une raison simple : l'urgence. Il s'agit d'ailleurs du mot d'ordre depuis 1962. Loger les citoyens très vite était presque devenu la priorité de l'Etat. Cependant, dans l'urgence, les études sont bâclées et les réalisations pareilles. Et c'est également pour cette raison, entre autres, qu'on n'a pas recours à l'architecture de terre dans les nouvelles constructions telles que les programmes de logements. Autre raison, selon M. El Ghazi : le foncier quasi inexistant qui permet de s'étaler en horizontal. Et enfin, «la rareté des professionnels qui maîtrisent ce genre de mise en œuvre, ce qui a conduit les décideurs dans le secteur à ignorer complètement ce procédé», ajoute-t-il. Finalement, un habitat écologique peut-il voir le jour en Algérie ? Najet Aroua est optimiste, expliquant que l'habitat écologique a déjà existé en Algérie et par conséquent possède un fort potentiel pour s'y développer à nouveau. Balance énergétique Selon elle, il représente un chaînon de la stratégie durable d'aménagement du territoire et engage plusieurs secteurs (construction, eau, énergie, santé, éducation, transport, etc.). Toutefois, sa mise en œuvre est la mission de gens du métier et de professionnels associant leurs compétences, savoirs et savoir faire. «A ce titre, il ne peut plus être traité isolément comme cela s'est fait jusqu'à ce jour avec les résultats déplorables qui nous entourent», explique-t-elle. Selon elle, construire des logements sous la pression de l'urgence, au gré de la vacance de terrains – y compris à risque – est un traitement symptomatique qui calme la douleur sans soigner le mal qui en est à l'origine. De son côté, M. Zidane est plus pessimiste sur la question et estime que parler d'habitat écologique n'a pas de sens en Algérie. «Malheureusement, cela n'existe qu'à travers des travaux de recherches, ateliers d'études et des prototypes qui ne dépassent pas un cercle très restreint», se désole-t-il. Selon lui, nous sommes loin d'une politique d'encouragement de l'efficience énergétique, car à travers la vulgarisation de l'architecture durable, on entre dans l'ère d'un vrai développement durable qui peut changer beaucoup notre balance énergétique pour économiser de beaucoup. «Les experts parlent d'une économie d'au moins 40% de l'énergie utilisée, que ce soit en gaz pour la production de l'électricité ou pour le chauffage et les autres usages domestiques. Ce qui équivaut à une économie de 6 à 8 milliards de dollars», ajoute-t-il. Néanmoins, ce dernier souhaite que l'environnement, l'architecture et le développement durable soient des critères indispensables lors du choix d'une politique de conception et de réalisation des prochains défis immobiliers.