La soif de décolonisation est la face inversée de l'expansionnisme sanguinaire qui croit assécher la vitalité des peuples. C'est ce que décrit une série documentaire où se révèle la constance du processus de rébellion dès les premiers jours de la soumission impérialiste. La série Décolonisations inaugure l'année 2020 de fort belle manière sur Arte, mardi 7 janvier 2020. Pour la première fois, sur un créneau télévisuel grand public, à 20h50, les spectateurs se feront une idée de ce qu'est la brutalité coloniale et l'envie instantanée de s'en débarrasser. «Raconter la décolonisation, c'est comprendre comment on en est arrivé là», écrivent Pierre Singaravélou, Marc Ball et Karim Miské, auteur et réalisateurs de la série : Multiculturalisme, intégration, postcolonial, il s'agit de comprendre que «nous sommes tous les héritiers» de la colonisation, «que nos grands-parents aient appartenu aux peuples des colonisateurs, à ceux des colonisés ou aux deux». Avec ce film richement et habilement documenté, «les descendants des dominants » doivent apprendre « à considérer les descendants des dominés comme des humains, au même titre qu'eux-mêmes». Sur l'autre versant, plus agissant, il est suggéré aux «descendants des dominés» de «se libérer du bruit des chaînes». La reconnaissance de la barbarie coloniale : l'exemple kényan Les Algériens gagneront à absolument aller jusqu'au bout des trois fois 52 minutes de la série Décolonisations, que nous avons pu découvrir en avant-première. On y apprend en effet que la reconnaissance occidentale de la brutalité coloniale n'est pas une vue de l'esprit ou une repentance. Le Kenya montre l'exemple. Dans ce pays martyrisé, les derniers des Mau-Mau du Kenya récoltent, en 2012, six mille témoignages de victimes d'une révolte conduite par une femme, Mary Nyanjiru, qui mena le mouvement de protestation contre l'emprisonnement d'Harry Thuku, premier leader indigène du pays au début du XXe siècle. Leurs descendants s'attachent le soutien d'historiens, d'avocats et d'anciens administrateurs coloniaux pour aboutir à un procès contre l'Etat britannique. Avec des éléments tirés des archives officielles anglaises, ils obtiennent gain de cause, avec les excuses du gouvernement britannique. Dans le documentaire, avec des enchaînements brefs et percutants, on croise en Inde la Rani de Jhansi qui rejoint la rébellion des Cipayes dans ce qui sera la première grande révolte anticoloniale de l'histoire. Ou, en 1880 le roi des Batéké, le Makoko, croyant bien faire, cède son territoire à la France en signant un traité dont il ne comprend pas un mot. Réfutation de la suprématie racialiste blanche Partout sur le continent noir s'accélère au XIXe siècle le partage fructueux «du magnifique gâteau africain» par les Européens. Avec en 1885, le fameux découpage lors d'une réunion internationale tenue à Berlin sous l'égide de Bismarck. Et la théorisation de la supériorité de la race blanche, notamment portée par Jules Ferry en France ! Anténor Firmin, Haïtien membre de la Société d'Anthropologie de Paris s'est fixé une mission : utiliser la science pour détruire cette infecte idée. On assiste avec rage à la toute puissance criminelle du roi Léopold de Belgique qui s'est accaparé une partie du Congo pour en faire sa propriété personnelle. Au début du XXe siècle, à l'aide d'une photographie révélatrice, Alice Seely Harris révèle les crimes de ce roi sanguinaire dont le successeur dans les années 50, Baudouin, vantait les valeurs civilisatrices, face à un Patrice Lumumba qui lui répondit vertement. Cela valut au combattant africain d'être assassiné quelques jours après l'indépendance du Congo par Mobutu, vendu à l'ex-puissance coloniale et ses alliés. Des femmes au parcours glorieux On passe aussi par l'Inde, pays de la désobéissance civile qui libéra ce sous-continent de l'emprise britannique. Au passage, la prétendue gestion coloniale britannique «cool» est démentie, comme est prouvée la violence étasunienne lors du partage du Pakistan avec la création du Bangladesh. Cet épisode montre la personnalité d'une femme de pouvoir : Indira Gandhi. Les femmes dont les documentaristes retracent le parcours glorieux, à l'instar de Lalla Fatma N'Soumer. Sans oublier la figure marquante de Sarojini Naidu, poétesse et activiste, auprès de Gandhi. Sa présence aura un rôle pour amener les femmes de son pays à se battre contre l'injustice britannique. Elle prendra la tête de l'Indian National Congress. Chez les hommes, on n'oubliera pas le caractère de Lamine Senghor (homonyme de Léopold Seghar), un Sénégalais devenu tirailleur pendant la Première Guerre mondiale et figure militante de l'essor de l'anticolonialisme avec des gens comme Messali Hadj ou encore, dans les années 30, Nguyen Ai Quoc qui deviendra le célèbre Hô Chin Minh. Et comment ne pas parler dans les années 20, du chef de clan rifain Abdelkrim, à l'origine d'un mouvement d'insurrection qui, en proclamant la République du Rif, fit trembler les puissances coloniales. Les bombardements avec des centaines de morts mirent fin à cette libération qui annonce les soulèvements des années 50 en Tunisie, Maroc et Algérie. Algérie où les massacres du 8 mai 1945 signent le mot fin pour la résignation face à l'abomination coloniale. Au détour des pages visuelles agréablement conçues, on découvre les portraits de Yacine Kateb, de Franz Fanon, qui inspira le révolutionnaire Lumumba. On arpente Alger capitale de la Révolution mondiale dans les années 60 et début 70, avec «le rêve d'une Afrique indépendante, épanouie, sans frontières et sans domination. Un monde possible?» Avec l'envie à la fin du film de lever le poing bien haut avec les spoliés de la vie !