Le 26 janvier 1957, à 20h, l'opération distribution de tracts suivie d'actions de sensibilisation et de mobilisation dans les cafés algériens a eu lieu sur l'ensemble du territoire français en vue de préparer la grève des huit jours solidairement avec toutes les villes d'Algérie. Pour ce qui est de la région dont j'étais responsable, des groupes dépendant de ma structure ont été organisés dans chaque quartier. Le groupe du quartier Clichy chargé de l'organisation de la grève est composé notamment des militants suivants : Rabia Rabie, Makhlouf Lahcene, Belaïd Amar, Abderahmane Ahmed, Bellali Brahim et Cherfaoui Mohamed Tahar. Durant cette campagne qui ne doit pas durer plus de 30 minutes par intervention (consigne stricte donnée par l'Organisation), j'assurais des rondes en moto dans tous les quartiers pour prévenir les militants en cas de descente de police ou de représailles des éléments du MNA. Aussi, lorsque j'arrivais ce 26 janvier 1957 à 20h35 à hauteur de la rue des Bacs d'Asnières, je trouvais, à ma grande surprise, un attroupement, alors que des cars de police encerclaient tout le quartier. J'ai tout de suite compris qu'il s'agissait d'une arrestation de nos éléments du fait que ce quartier est considéré comme le fief du MNA. Bien que préparé au pire, je ne pouvais évacuer toutes mes craintes et angoisses, alors je me renseigne auprès d'un passant français qui m'informa d'un règlement de comptes entre Arabes qui s'est soldé par un mort tué par balle. Sachant que nos militants ne sont pas armés, j'ai alors décidé de suivre le fourgon de police secours à l'hôpital Beaujon pour plus de précisions. Sur les lieux, j'ai vu dans la salle des urgences le frère Rabie Rabia, couvert de sang, atteint par balles à la bouche et au crâne. Il a, hélas, succombé au cours de son transfert. Rabie Rabia est un chef de cellule né le 3 février 1923 à Guenzet Beni Yala. Il est mort pour la patrie à l'âge de 33 ans en accomplissant son devoir et enterré au cimetière parisien de Thiais, le 4 février 1957, le dernier jour de la grève. Rabie Rabia est le premier chahid de la région Nord de Paris (Clichy La Garenne) de la Fédération de France du FLN au cours de la préparation de la grève des huit jours (28 janvier- 4 février 1957). 2- Le retentissement de sa mort Le sacrifice et les conditions de la mort du chahid Rabie Rabia ont été un événement important pour la Fédération de France du FLN, qui a enregistré le renforcement de ses rangs parmi l'émigration algérienne. La levée du corps effectuée au quai de la Rappee et son enterrement ont mobilisé tous les Algériens de Paris et des banlieues qui ont afflué avec une vingtaine de cars loués pour la circonstance et une centaine de voitures particulières, le 4 février, jour de la grève. La police parisienne a été surprise par l'ampleur de l'événement et s'est mobilisée pour encadrer le cortège et éviter les éventuels débordements. L'oraison funèbre prononcée par un responsable de l'Organisation a mis l'accent sur le crime commis par les contre-révolutionnaires du MNA. Ce triste événement a été aussi une occasion pour l'Organisation de dénoncer le crime et faire ainsi prendre conscience à tous les Algériens et Algériennes de la nécessité de rejoindre les rangs du FLN, seul représentant du peuple qui mène le combat libérateur en Algérie et en France. Dans le prolongement de ces actions, les émissaires du FLN mandatés auprès de l'ONU, les frères M'hamed Yazid et Abdelkader Chanderli ont été reçus par le sénateur J. F. Kennedy, auquel ils ont présenté le dossier de la Révolution et les aspirations du peuple algérien au nom du FLN. Dans sa déclaration au Congrès américain, le 12 juillet 1957, Kennedy a demandé au gouvernement français d'engager des négociations avec le FLN sur la base de l'indépendance de l'Algérie. Aujourd'hui, la place d'El Biar, sur les hauteurs d'Alger, porte le nom du président Kennedy, en signe de reconnaissance de l'Etat algérien pour sa prise de position à l'égard de l'indépendance de l'Algérie. Le rapatriement du chahid après plus de 30 ans, fidèle à la mémoire de mon compagnon, j'ai effectué des démarches auprès des autorités concernées : Amicale des Algériens en Europe, ONM, ministère des Moudjahidine pour procéder au transfert des restes du chahid Rabie Rabia afin qu'il repose parmi les martyrs de la nation à l'occasion de la célébration du 25e anniversaire de l'indépendance, le 5 Juillet 1987. Le chahid Rabie Rabia a été réinhumé le 5 juillet 1987 au cimetière des chouhada de la commune de Guenzet Beni Yala sous l'égide des autorités locales et en présence de sa famille, ses amis et compagnons de lutte. Une cité à Guenzet a été baptisée au nom du chahid Rabie Rabia. Un CEM de la commune de Aïn Benian porte son nom.
Par Ghfir Mohamed dit Moh Clichy Ancien membre du FLN à Clichy