Maintenant ils peuvent venir, de Salem Brahimi, a décroché, mercredi soir, le Annab d'or, grand prix, du 2e Festival de Annaba du film méditerranéen. Le film replonge dans les horreurs et les déchirements des années 1990 en Algérie. Le noir traverse le film Maintenant ils peuvent venir, de Salem Brahimi, projeté en avant-première algérienne au 2e Festival de Annaba du film méditerranéen, clôturé mercredi soir. Le noir pour reprendre la couleur dominante d'une décennie qui a marqué l'histoire contemporaine de l'Algérie. Construit à partir du roman d'Arezki Mellal, la première fiction, réalisée par Salem Brahimi, retrace le parcours de personnes happées par la machine broyeuse des dérives politiques et religieuses et des peurs qu'elle provoque. Tout commence en 1989. Année de la fin du régime du parti unique et le début d'une nouvelle époque. Noureddine (Amazigh Kateb) se sépare d'une amie repartie à Paris. Sa mère (Farida Saboundji) le harcèle pour se marier avec Yasmina (Rachida Brakni), une voisine de longue date. «Sinon, tu auras ma mort sur la conscience», lui dit-elle. Avec le syndicaliste Salah (Mohamed Ali Allalou), Noureddine, qui se rend compte que quelque chose bouge dans le pays, parle de questions politiques. Salah fait face à des syndicalistes islamistes qui ne croient pas à son combat ni au socialisme et proposent de créer des souks islamistes. «Les islamistes reviennent d'Afghanistan. Ils sont entraînés, beaux parleurs et tueurs», prévient Salah. Le film évoque, à travers plusieurs scènes, la montée du courant islamiste, mais sans mise en contexte historique et politique. On voit juste des ruelles bloquées à l'heure de la prière. La victoire du FIS lors des élections de juin 1990, puis la démission de Chadli et l'assassinat de Boudiaf ne sont pas évoqués. Le cinéaste préfère s'attarder sur le problème de couple de Noureddine qui part à la recherche de Yasmina. Les événements s'accélèrent et la violence s'installe. L'attaque de Guemmar est évoquée dans le film. Les faux barrages surgissent. Noureddine, qui écrit des textes, parfois en bord de mer, commence à se rendre compte qu'un danger tourne autour de lui et de sa famille. La région où il habite, au sud d'Alger, est considérée comme «un triangle de la mort». Pour dérouler le fil de l'actualité, Salem Brahim s'est appuyé sur les reportages de médias français, alors que pour crédibiliser le propos du film, il fallait, peut-être, se référer aux médias algériens. Des médias qui, à leur manière, avaient surmonté les pressions politiques et les menaces pour faire leur travail d'information. Questionnement Les dialogues en français, très présents dans le film, font parfois oublier que l'histoire se déroule en Algérie. Salem Brahimi a justifié l'usage du français par les conditions contractuelles imposées par les producteurs. Le film est produit par Michèle et Costa Gavras. «Tant qu'on ne peut pas financer un film de ce genre à 100% en Algérie, on est obligés de chercher des financements ailleurs. Ailleurs, on nous impose des choses réglementaires notamment l'usage à 50% de la langue française dans les dialogues», a expliqué Salem Brahimi, souhaitant des solutions pour se débarrasser des règles liées à la production et aux financements extérieurs. Le cinéaste colle à ses personnages dans plusieurs scènes. Il laisse Amazigh Kateb envahir l'écran mettant Rachida Brakni à la marge. Une démarche de documentariste bien visible dans le film. Théoriquement, la retenue voulue par le cinéaste ne devait pas amoindrir la trame fictionnelle du film. Ce n'est pas totalement réussi. Le spectateur non Algérien pourrait être amené à se poser nombre de questions sur des faits qui paraissent inexplicables (comme ce fut le cas pour Le repenti de Merzak Allouache). Salem Brahimi veut que tout vient par déduction, pas besoin d'explication. «C'est l'histoire de Noureddine et Yasmina», dit-il, suggérant qu'il ne faut pas trop charger le film. Or, c'est le propos même du long métrage qui impose les questionnements. La période qu'il couvre est toujours sujette à des interrogations exprimées, parfois, à voix basse. Noureddine et Yasmina, qui semblent s'aimer, ne peuvent pas être isolés d'un contexte marqué par une accélération de particules. Le film remet en cause, dans une discussion de café, la thèse largement présente durant les années 1990 de «qui tue qui». Mais pas plus. Discours idéologique ? C'est certain. Maintenant ils peuvent venir n'est, de toute évidence, pas un long métrage neutre. Le pessimisme qui l'enveloppe laisse penser qu'il n'y a presque aucun espoir. D'où la fin intrigante du film, enveloppée de noir...