De la kwitra, de la guitare, des flûtes, des percussions et des voix chanteuses et narratrices, voilà les ingrédients d'un mélodrame musical italien interprété en début de soirée, mardi dernier, au Théâtre régional de Béjaïa. Le spectacle, créé en août 2016, entre dans le cadre du 18e Festival culturel européen, qui a intégré cette année Béjaïa comme seule wilaya aux côtés d'Alger. L'inauguration du programme bougiote a eu lieu, pour rappel, mercredi dernier avec le groupe jazz Jungle by Night. Mardi, la scène s'est reposée du rythme endiablé des Néerlandais pour faire place aux douces notes siciliennes du Shulùq, ensemble à l'esprit des contes et des légendes. Le groupe est aussi algérien par la seule présence de Salim Dada, chercheur ethno-musicologue. Shulùq est le nom arabe du sirocco qui semble souffler sur cette troupe, six ans d'âge, qui a joué des musiques de Salim Dada, (guitare, kwitra et voix) et de Calogero Giallanza, aux flûtes, le tout complété par Simone Pulvano aux percussions. Le trio a accompagné la narration d'une histoire véridique qu'ils racontent à leur façon pour la première fois en Algérie. C'est celle d'une île qui a émergé comme «un miracle des eaux», entre l'Italie et la Tunisie, une première fois au tout début du XVIIIe siècle, avant de disparaître sous les eaux et de réapparaître par deux autres fois au cours du XIXe siècle. Une crise diplomatique était née entre l'Italie, la France, l'Espagne et le Royaume-Uni, qui ont revendiqué chacun cette «île éphémère», dont la disparition en 1832 a mis fin aux tensions entre les quatre Etats. Le spectacle n'a pas plongé dans le tumulte de ces tensions historiques mais, bien au contraire, a donné à vivre des moments de méditation et d'exaltation de l'âme. Les notes ont habillé un dialogue engagé sur la patrie, la nation, entre le roi de l'île, Ferdinandea, et Ibn Hamdis, «le plus grand poète sicilien de l'époque». Musique et dramaturgie se sont alternées et entrecroisées. Francesco Randazzo, auteur du texte et de la mise en scène, a prêté sa voix à la narration dans un mélange de langues, entre italien, sicilien et français, théâtralisé. De la poésie de Ibn Hamdis est déclamée en arabe par Salim Dada appuyant les traits de légende qui se lisent dans le titre de ce mélodrame musical : L'île mystérieuse, ou le vice-roi de l'île Ferdinandea. «La touche de Dada s'entend dans les rythmes du Sud algérien, aux sons du gumbri, des sonorités chaouies ou du raml el maya. Le spectacle met en musique La légende du roi de l'île Ferdinandea comme un symbole d'un monde perdu qui ne vit que dans le désir de ceux qui veulent rêver et écouter des voix lointaines en sorte d'échos perdus et de souvenirs oubliés dans la mer profonde de l'histoire. Une aspiration à un monde meilleur, tant désiré et recherché, quelquefois au prix de la vie des milliers de migrants qui traversent, fuient vers un exil désespéré de la liberté et le salut, mais aussi souvent tragiquement, vers un destin de vies brisées et dispersées», explique le synopsis. Un oiseau qu'aperçoivent des marins de passage par le grand vide bleu, chante sur cette île mystérieuse et représente Ibn Hamdis. La narration en fait l'écho dans un élan poétique qui finit par une belle ballade musicale méditerranéenne. En parallèle, l'invite a été faite pour une autre ballade, romaine celle-ci, dans le hall du théâtre à travers l'exposition photos de Stefano Casadio pour un «Regard éternel sur Rome», un regard amoureux sur le Capitole, symbole de la renaissance romaine et du génie du maître de la perfection, Michel-Ange.