Une histoire pleine d'exactions les plus inimaginables, dont le viol des corps frêles de nos sœurs, de nos mères et grands-mères, dont le seul « tort » est d'avoir enfanté des hommes qui ont dit non à la domination, au mépris de l'homme. Pourtant, la quatrième convention de Genève de 1949 parlait déjà de protection des civils. Pour les femmes, l'article 27 précise qu'elles seront « spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur. » Si toutes les victimes de nos villes et villages, de nos mechtas pouvaient en parler. Dans un village en Kabylie, il y aurait eu 56 enfants issus de viols commis par l'armée française. C'est le côté visible de l'iceberg. Le viol, plus pernicieux en ce qu'il détruit la personne humaine, tout en portant des séquelles, est malheureusement un sujet tabou chez nous, à l'exception de quelques cas, à l'image de Louisette Ighilhariz tout récemment et Djamila Boupacha, qui échappa à la guillotine et réussit à reconnaître ses tortionnaires. La grande partie de cet article se réfère donc à des témoignages de soldats français rendus publics. Leurs aveux, puisqu'ils viennent d'acteurs directs du drame, seront d'autant plus compromettants pour la France, son armée et ses responsables qu'ils ne laissent plus de place au doute sur une pratique courante, sur sa tolérance complice. Car il serait naïf de croire, comme pour la torture, que ces viols aient eu besoin de documents d'une quelconque autorité. En 2001, le quotidien Le Monde est allé interroger des anciens appelés de la guerre d'Algérie dont l'un d'eux n'hésitait pas à dire que les détenues subissaient ce sort, le viol, « en moyenne neuf fois sur dix ». Récemment, un enfant issu de ce viol abject est venu témoigner devant l'opinion publique ce qu'avait subi, en 1960, sa mère, une Algérienne de la part des soldats français. Mohamed Garne est né d'un viol collectif de sa mère alors qu'elle n'était âgée que de quinze ans. Le Monde reconnaît que « loin d'avoir constitué de simples dépassements (comme le soutiennent les officiels), les viols sur les femmes ont eu un caractère massif en Algérie entre 1954 et 1962, dans les villes mais surtout dans les campagnes, et plus encore vers la fin de la guerre, en particulier au cours de « l'opération Challe » menée en 1959 et 1960 ». Et ces témoignages ne donnent, selon Le Monde, qu'une très petite idée de l'ampleur du phénomène, pour différentes raisons dont l'inexistence de traces écrites (des plaintes par exemple). LE VIOL, UN MOYEN DE « DEFOULEMENT DE LA SOLDATESQUE » La complicité du chef peut pousser à cette « bavure », en donnant l'ordre, par exemple, « de toucher le sexe des femmes pour vérifier leur identité », témoigne un appelé, ce qui ouvre, selon des historiens, « la porte au viol ». Dans les opérations de contrôle et de ratissage, les viols étaient tout à fait courants. « Avant les descentes dans les mechtas, l'officier nous disait : violez, mais faites cela discrètement », ajoute encore un soldat qui avoue ne se poser « aucune question morale sur ce sujet. » « Les prisonniers qu'on torturait dans ma compagnie, c'étaient presque toujours des femmes », raconte de son côté un sous-officier appelé en octobre 1960 dans le secteur de Constantine. « Les hommes, eux, étaient partis au maquis, ou bien envoyés dans un camp de regroupement. En mars 1961, j'ai vu quatre femmes agoniser dans une cave pendant huit jours, torturées quotidiennement à l'eau salée et à coups de pioche dans les seins. Les cadavres nus de trois d'entre elles ont ensuite été balancés sur un talus, au bord de la route de Collo . » D'autres témoignages viennent cette fois de la sinistre Villa Susini d'Alger, connue pour être le plus célèbre centre d'interrogatoire et de torture de l'armée française. « Les femmes étaient violées en fonction de leur âge et de leur physique ». Des fois, leur arrestation n'avait aucun rapport avec des opérations policières puisque les soldats « s'arrangeaient, lors des rafles, pour en capturer une ou deux uniquement pour les besoins de la troupe ». Elles pouvaient rester un, deux ou trois jours, parfois plus. Selon ce soldat, les viols n'étaient pas destinés « pour faire parler », mais servaient au « confort, au défoulement » des soldats, et les hommes affectés à la Villa Susini avaient « une liberté totale » dans ce domaine. Ils savaient que ces pratiques détruisaient psychologiquement ces femmes pour la vie. L'avocate Gisèle Halimi, l'une des premières à avoir dénoncé, à l'occasion de la défense de Djamila Boupacha, ces multiples viols - dans un livre écrit avec Simone de Beauvoir, estime elle aussi que « neuf femmes sur dix étaient violées quand elles étaient interrogées par l'armée française ». Dans les campagnes, ces viols avaient pour objectif principal « le défoulement de la soldatesque ». Gisèle Halimi révèle que les femmes qu'elle a interrogées avaient subi successivement tous les types de viols, jusqu'aux plus « classiques », mais que leur honte était telle qu'elles l'avaient suppliée de cacher la vérité. On ne saura donc jamais combien de viols ont eu lieu.