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Symptômes inquiétants du syndrome de l'indigence scientifique (2e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 12 - 11 - 2018

Par Iddir Ahmed Zaid, géophysicien, université Mouloud-Mammeri
Il est vrai que dans notre référentiel budgétaire, il y a un effort d'investissement et un intérêt, du moins formel, pour les activités de recherche qui accompagnent tant bien que mal la dynamique discursive. Mais pour le commun des laboratoires cela demeure insuffisant et constitue des miettes, comme on le verra ci-après. En effet, il est admis qu'il y a un financement derrière chaque laboratoire qui ne peut être occulté et ce serait près de 20 milliards de DA par an qui seront désormais consacrés à la recherche, soit, par conversion au taux de change officiel, l'équivalent de 145 millions d'euros. Cela paraît énorme dans notre référentiel financier, mais dérisoire comparé aux budgets alloués à la recherche multiforme dans de nombreux autres pays comme la France qui a consacré 48,9 milliards d'euros en 2015 (2,27% du PIB) au titre des dépenses intérieures de recherche et développement tous secteurs confondus, soit 337 fois plus, pour un effectif de 277 600 chercheurs sur un total de 607 400 personnes participant aux activités de recherche. Pour la même année, ces dépenses atteignaient 463 milliards de dollars aux USA ! Ces chiffres sont donnés à titre d'éclairage pour ramener les choses à la réalité et comparer ce qui peut être comparable, que ce soit en termes de dépenses, d'ambitions et de résultats, mais aussi en termes d'expérience et de tradition dans la formation, la recherche et la puissance du secteur économique dans sa diversité, appelé à converser avec le champ de la recherche. Savoir à qui se mesurer et dans quelle mesure justement.
C'est bien de se toiser aux autres et de tenter de rivaliser avec eux, surtout les meilleurs. Mais faut-il avoir leur expérience et les moyens de sa politique aux plans matériel, financier et humain, en sus de la détention de la paternité des fondamentaux scientifiques, sinon c'est peine perdue et s'amuser à donner des coups d'épée dans l'eau.
Souvent, on oublie que chez nous l'enseignement supérieur et la recherche scientifique relèvent quasiment d'un financement public. Se comparer aux pays où le système de financement est bicéphale avec des investissements publics et privés à la fois, c'est hasardeux. Se comparer à ce type de contrées aux systèmes économiques puissants dominés par l'entreprise et aux systèmes de recherche aguerris est un leurre, s'agissant, évidemment, de deux réalités totalement différentes et aux antipodes étant donné que notre système de formation supérieure et de recherche est en cours de formalisation. Appliquer leur standard rigoriste d'habilitation et d'évaluation à un système de recherche qui se cherche et s'essaie, au nom de la recherche de l'excellence et de l'innovation immédiates, est une erreur qui ne peut conduire qu'à la fermeture de laboratoires naissants. Notre système économique, surtout dans sa composante privé, est loin de consentir des investissements conséquents dans la recherche en général et la recherche-développement en particulier, ses préoccupations et sa culture d'entreprise étant autres. Quelques rares cas ne peuvent inverser la tendance actuelle et suppléer l'intervention de l'Etat dans la politique et le financement de la recherche.
La petite arithmétique permet de nous ramener à la réalité, triste pour nous autres. Rapporté à l'effectif global des chercheurs tel que proclamé par la DGRSDT, soit 53 587 personnes exerçant des activités de recherche dont 18 861 doctorants, les dépenses théoriques allouées annuellement par chercheur atteignent 370 000 DA, soit l'équivalent de 2 645 € tout compris ou, si l'on tient compte des chercheurs stricto sensu, au nombre de 34 726, ce sera 575 940 DA ou 4 114 €, bien loin de la moyenne de 176 000 € par chercheur et par an consentis en France, soit 43 fois moins ! Le niveau des dépenses est très modeste, voire ridicule, d'autant plus que l'investissement dans la recherche est essentiellement public. On peut aussi ramener ces dépenses annuelles par laboratoire, cela donnera 14 millions de DA environ, ou l'équivalent de 100 000 € par an, le nombre de laboratoires étant de 1 440, soit donc un peu plus de la moitié de l'investissement consenti par chercheur en France ! Un montant de 100 000 €, c'est juste le coût d'un bon appareil d'analyse ou d'essais ! Alors faire fonctionner un laboratoire ou acquérir un appareil ? tel est le dilemme de la recherche.
Par ailleurs, comparé au coût annuel d'un étudiant tel que déclaré par le ministre de tutelle, soit 700 000 DA, ou l'équivalent de 5 000 € environ, le montant alloué par chercheur n'en est que la moitié. Quant à l'étudiant français, il coûtait déjà en 2016 au Trésor public 13 873 €, soit 5 fois la dépense annuelle par chercheur algérien et 2,5 fois le montant du coût moyen annuel par étudiant algérien ! On ne peut donc s'étonner de la modestie des résultats de nos laboratoires et de la qualité du produit de la formation supérieure de notre université aussi sensible, nationaliste et patriote que l'on puisse être !
De plus, les ressources allouées restent théoriques ou prévisionnelles alors que les dépenses effectives, celles qui sont réellement exécutées, dépassent rarement et, dans le meilleur des cas, la moyenne de quelques pour cent à 50% du montant prévisionnel pour des raisons de bureaucratie dans les étapes et procédures de l'accomplissement des actes de gestion et de dépense, y compris lorsque le contrôle s'exerce a posteriori, mécanisme prévu pour alléger la procédure et accélérer l'acquisition de petits équipements au profit des laboratoires de recherche. Ainsi, les montants des dépenses annuelles effectives par laboratoire et par chercheur se trouvent drastiquement affectés et réduits par de lourdes procédures d'accès aux crédits et de l'exécution du budget.
Dans ces conditions, on conçoit d'exiger des résultats à la hauteur aux laboratoires d'envergure qui ont bénéficié à leurs débuts de lourds équipements et donc, de financements conséquents dépassant quelques centaines de millions de DA, mais ne demandons pas trop à un jeune laboratoire doté de 14 millions de DA. On sait tous quel est le temps nécessaire pour mâturer une publication de haut rang ou produire une thèse de doctorat dans des conditions déjà idéales, surtout s'agissant des domaines des sciences fondamentales, des technologies et des sciences naturelles. On conçoit aussi d'établir la typologie des laboratoires de recherche en fonction de leurs potentialités, résultats, moyens matériels et financiers, ancrage dans le champ économique et les financer en conséquence.
Dès lors, s'il y a des fabriques à produire des publications de renommée établie, d'excellentes thèses de doctorat et des résultats transférables et valorisables dans le champ économique, on ne peut être que satisfait et il est naturel de les doter de moyens nécessaires et de les élever au rang d'unités d'excellence et de levier d'action pour les autres, sans brimer le restant.
Quant aux petits laboratoires, ils sont toujours utiles à la formation par la recherche, comme on a souvent besoin d'un plus petit que soi… comme le veut la morale de la fable de La Fontaine, Le lion et le rat, ou encore ce conte bien de chez nous, Le lion, le chacal et la perdrix. Dans chacun des cas, le lion, roi des animaux, a recouru à plus petit et plus modeste que soi pour se tirer d'embarras. Leçon ou morale à méditer de part et d'autre, avant de prononcer une sanction extrême contre un laboratoire de recherche, aussi modestes soient son envergure et ses résultats. Qui sait ? Peut-être d'un laboratoire modeste peut émerger une idée-éclair ou un résultat extraordinaire ? Donc, il ne faut pas aller vite en besogne en prenant des décisions hâtives.
Cela étant, à titre de mesures coercitives, on peut suspendre temporairement ce maigre financement, le réduire ou le différer dans le temps. Mais sacrifier des entités de recherche qui ont formé et qui ont eu des résultats jugés modestes, sans même tenir compte de l'environnement dans lequel elles évoluent, des contraintes diverses rencontrées, c'est attenter à l'acte de recherche lui-même et blâmer les efforts accomplis ne serait-ce qu'à travers les projets de fin d'études des masters accueillis et encadrés par ces laboratoires. Pourtant, un laboratoire ce n'est pas uniquement des publications et, dans bon nombre de cas, on sait de quelles publications il s'agit, ou des soutenances de mémoires et de thèses et on sait éminemment de quelle qualité de mémoires et de thèses il s'agit aussi. Il suffit de lire les contenus des nombreuses revues nationales et de ces chefs-d'œuvre stockés dans les bibliothèques universitaires et maintenant mis en ligne pour réaliser qu'il n'y a ni lecture critique au sens académique et scientifique du terme, ni correction de ces revues, thèses et mémoires, ni souci de la qualité. Souvent, ce sont des documents livrés à l'état brut tels des champs en jachère édulcorés de dédicaces, de remerciements et formules religieuses où la science et la contribution propre de l'auteur sont égarées et difficilement identifiables entre les erreurs, les copier-coller, les distorsions de style et les fautes d'orthographe. Ce laisser-aller qui dévalorise et discrédite de plus en plus, non seulement la qualité de ces documents qui consacrent au final des diplômes, mais la science d'une manière générale, est largement toléré et s'intensifie de plus en plus. Encore un autre mal à prendre en charge si l'on veut endosser le facteur qualité à l'université et son système de recherche au lieu de prononcer des sentences qui leur seraient encore plus fatales en la fermeture de laboratoires de recherche.
Faut-il rappeler que le laboratoire est un espace d'entraînement, d'expérimentation et d'apprentissage de l'art d'exercer la recherche en tant que structure d'appui aux formations de master et de doctorat. Il est tout de même paradoxal et inquiétant devant la situation fortement délétère de l'université et la gestion approximative des questions pédagogiques et de l'indigence du volet de la recherche qui suscitent moult inquiétudes, en tous cas chez les rares universitaires encore conscients de la responsabilité sociétale de leurs actes, que l'on se préoccupe tant de la fermeture des laboratoires de recherche. Forcément, dans de telles conditions, on ne peut que prendre en dérision et cracher sur la noblesse et la notoriété établies du prix Nobel. Significatifs sont alors les propos du chacal aux entrailles prises en tenailles par la faim et bavant devant des grappes de raisin rayonnantes et transparentes à la lumière de maturité mais inaccessibles : «de toute manière, ils sont âcres, ces raisins.» Dans le désert généré par des décennies de mise en coquille forcée de la science et de l'intellect, la médiocrité rampante et bavante ne peut qu'avoir en horreur la lumière et la noblesse de l'extraordinaire dimension scientifique et honorifique du prix Nobel ou de la médaille Fields et autres distinctions de renommée internationale.
Du coup, il n'est pas étrange du tout que l'on continue à se focaliser sur des déterminants usés et instables dans l'appréciation et l'évaluation du champ de la recherche, telle cette course effrénée aux publications et aux soutenances de thèses considérées comme métriques incontournables de la réussite, sans avoir à l'esprit ce qu'il en est de leur valeur intrinsèque et de leur qualité relativement aux réels apports à la science et à la qualité de cette science même, pendant qu'ailleurs on s'interroge justement sur le malaise qui mine et secoue sérieusement le champ de la recherche.
On s'intéresse de plus en plus à des questions pertinentes et fondamentales sous-tendues par cette concurrence atroce telle que la paternité scientifique des publications et la contribution réelle des auteurs, le rapport entre le profit et l'acte de publier, cette avidité à publier, et incidemment la prolixité chez certains auteurs, la maîtrise réelle de la science et le rapport à la qualité de la science objet des publications dans divers domaines scientifiques [Nature du 13 sept. 2018, Vol. 561, The scientist who publish paper every five days, J.P.A. Ioannidis & al.]. On a cherché ainsi à identifier la catégorie des auteurs hyper-prolixes, à comprendre leur environnement scientifique et les facteurs déterminant cette prolixité, et à donner un sens au concept de la paternité scientifique dans les publications tout en s'interrogeant sur la qualité de la science qui y est distillée, c'est l'objet de ce qui a été baptisé la méta-recherche [Science du 21 sept. 2018, vol. 361, Metaresearchers study : how research is done — and why it goes wrong, M. Enserink], champ disciplinaire qui analyse l'objet «recherche» lui-même, ou recherche sur la recherche, et la qualité de la science objet des travaux de recherche. Il a été montré justement que la qualité de cette «science pressée» n'était pas toujours appréciable, ou tout au moins, il est des auteurs qui ne maîtrisent pas les fondamentaux du domaine scientifique dans lequel ils opèrent leurs travaux, et de conclure que la recherche va
mal !
Il en est ainsi du domaine des sciences médicales, l'un des plus prolixes en publications, mais dont la qualité est de plus en plus piètre et critiquée au motif que nombre d'auteurs ne maîtrisent pas fondamentalement leur sujet, surtout devant le nombre de résultats d'expériences non reproductibles et objet de sérieuses controverses, voire carrément de rétraction d'articles. De ce fait, la course effrénée à la prolixité des publications a son revers en érodant en conséquence les comportements des scientifiques et leur conduite éthique. Enfin, d'autres récusent le concept de paternité scientifique dans les publications en ciblant la désuétude de la notion de rang des auteurs en explorant l'investissement et l'implication réels des divers auteurs dans la confection d'un article et la notion d'esprit d'équipe, notamment dans les champs pluridisciplinaires [Nature du 27 sept. 2018, Vol. 561, No more first authors, no more last authors, I.K. Gretchen].
Ainsi donc, même là où la recherche semble étroitement surveillée, les articles et les résultats publiés sont passés au peigne fin, il subsiste des failles et des inconsistances, voire de la malhonnêteté et de l'inconduite scientifiques de haut niveau, à l'image de ce chercheur, nutritionniste de spécialité, de la Cornell University, qui a vu six de ses articles récusés et rétractés par des revues reconnues, de nombreux résultats de ses travaux non vérifiés ou désapprouvés et de sérieuses failles dans les méthodes statistiques utilisées dans le traitement des données. L'auteur, Brian Wansink, est mis au ban des chercheurs indélicats, sanctionné puis poussé à la démission [Science du 21 sep. 2018, Vol. 361, Cornell nutrition scientist resigns after retractions and research misconduct finding, K. Servick]. Il en est de même de cette fulgurance scientifique du Dr Piero Anversa de la Harvard Medical School et de Brigham and Women's Hospital de Boston dont les travaux portent sur de prétendues cellules souches contenues dans le cœur, susceptibles d'en régénérer les tissus.
A la mi-octobre 2018, ce chercheur a fait l'objet d'une demande de rétraction de 31 articles publiés dans des revues prestigieuses dont le New England Journal of Medicine, de la part des deux institutions auxquelles il est affilié. Ses supposées découvertes lui ont valu un bond prodigieux en termes de notoriété tandis que des subventions publiques d'un montant de 10 millions de dollars sont venues garnir l'escarcelle du laboratoire qu'il dirige. Au final, il est apparu que les résultats publiés sont non seulement non reproductibles mais fondés sur des données fabriquées et falsifiées, lui valant ainsi une mise à l'index par ces deux institutions [https://www.statnews.com] ! Enfin, on peut ajouter à cette série noire de la recherche pressée» tirée par une prolixité à la dérive accrochée à l'hilarité égotique le cas du chercheur Olivier Voinnet, désigné membre de l'Académie des sciences, médaillé d'argent du CNRS, affilié à l'IBMP-Strasbourg, puis à l'ETH de Zurich, qui est accusé d'inconduite scientifique et de manquements graves à l'intégrité scientifique dans le domaine de la biologie végétale au point d'être qualifié à l'origine du plus grand scandale de la fraude en tant que «génie distrait souffrant d'une forme de syndrome d'automutilation». Il semblerait que l'essentiel de ses publications, dont huit articles ont déjà fait l'objet de rétraction, repose sur des résultats falsifiés non reproductibles et la manipulation de données et d'images, malgré de récentes tentatives de réhabilitation mitigées par le CNRS et l'ETHZ [https://forbetterscience.com].
Alors, dans cette atmosphère à la science frelatée où le vice est ennobli par l'action, mieux vaut faire et acter de la recherche saine, y compris avec des résultats modestes que de s'arrimer inconsciemment à l'onde de l'hystérisation de la recherche scientifique qui a affecté des organes et institutions de recherche des plus prestigieux dans les pays développés, ou de s'inscrire dans la rapacité pécuniaire, le plagiat et le pillage des efforts d'autrui, ou encore à semer à tout vent des publications aux résultats douteux, fragiles ou infondés qui n'ont de sens que dans le référentiel de la voracité de leurs prétendus auteurs. C'est là que se pose la problématique de la paternité scientifique et de la tendance à la recherche de la prolixité quels qu'en soient le prix, la morale et les moyens utilisés.
Dans notre référentiel académique, cette forme de voracité a été consacrée d'une certaine manière par des textes de loi qui accordent des primes aux actes de soutenance de thèse accomplis tant pour le directeur de thèse que pour les membres du jury. Pour rappel, ces primes sont évaluées et rémunérées au prorata du nombre de pages de la thèse alors qu'il fut un temps, figurer dans un jury était une marque d'honneur et de compétence ! Pendant qu'on y est, pourquoi ne pas les rémunérer au prorata du poids du document rédigé, à voir tous ces mémoires volumineux de 2 ou 3 tomes occasionnant des difficultés de transport et des soucis de manipulation aux examinateurs !
Par ailleurs, dans cette approche méta-analytique de la recherche, pas moins de 265 auteurs hyper-prolifiques ont été répertoriés après filtrage et exclusion d'auteurs prêtant à confusion. Chacun compte au moins 72 publications par an, soit une publication tous les 5 jours — pour rappel, chez nous, la moyenne annuelle est inférieure à 5 publications par laboratoire et par an ou de 0.33 publication par chercheur et par an [c'est le quinzième de ce que produit un de ces auteurs hyper-prolixes : de quoi rester perplexe !].
Dans cette investigation, prolixité et paternité scientifique semblent justifiées, mais certains méta-analystes arrivent à conclure que ce n'est pas tant le nombre de publications qui importe, mais leur qualité intrinsèque surtout s'agissant de travaux à caractère pluridisciplinaire. On peut publier un article couronnant une longue et pénible recherche qui bouleverse le cours des idées ou des admis dans un domaine scientifique, c'est une publication-diamant sous-tendue par un travail de joailler, comme on peut produire trente- six articles en l'espace d'une année sans incidence scientifique appréciable, si ce n'est allonger la liste des publications dans les curriculum vitæ pour la promotion administrative, c'est la publication-petits-pains sous-tendue par un travail de boulanger. A la différence que dans ce dernier cas, rend-on vraiment service à la science et à la collectivité ou reste-t-on dans la satisfaction de ses propres intérêts et d'une dynamique productive quasi stérile d'une entité de recherche ? On peut faire le même constat et tirer un verdict identique relativement aux thèses, mémoires expéditifs et toutes ces distinctions et reconnaissances distribuées à gauche et à droite, souvent dans des cadres échappant à l'ordre scientifique. Dans la configuration actuelle de notre champ de la recherche, nous rejoignons malheureusement ce cas de figure et l'on encourage, au grand dam de la science et sans le réaliser, la propagation de la culture de la reproduction de l'inconduite scientifique ! En fin de compte, la tendance à négliger la rigueur et à déprécier la chose scientifique, et le traitement délétère réservé aux laboratoires de recherche corroborent le climat de violence inouïe en émergence continue dans une société en proie au profit et à la capture de la rente, à l'égard de l'intellect, la science, la connaissance et la chose culturelle d'une manière générale, dégradés de l'échelle des valeurs sociétales.
Ce sentiment est incarné par la dernière anecdote en date, en cette histoire de scorpion et du ministre de la Santé qui faisait naïvement état du rapport de l'homme à la nature et qui expliquait la singularité des liens entre l'homme et la diversité faunistique à travers la perturbation des biotopes par l'urbanisation et autres aménagements qui ont induit sans doute une plus grande réactivité et agressivité de ces espèces coriaces et irrédentistes que sont les scorpions, particulièrement les espèces les plus virulentes. Voulant se situer sur la bande académique et faire dans la pédagogie explicative, le discours scientifique du ministre a été pris à partie et tourné en dérision par le discours agressif et invasif de médias télévisuels dont l'indécence et l'indigence défient le minimum éthique et déontologique et versent dans l'hystérisation de la vie publique.
Cette tendance à la dénonciation et au défi tous azimuts est, hélas, le fait d'animateurs-reporters dont le niveau laisse à désirer quant aux jugements sans retenue qu'ils portent sur tout et tous au mépris de toute forme de respect. Ce type de comportement est même versé sur le compte de l'analyse et défie raison et logique médiatiques et partant, intellectuelles. C'est à s'interroger sur la responsabilité et le rôle des organes en charge de ce type de questions et de dépassements, en l'occurrence ces agences et autorités de régulation et autres conseils d'éthique et déontologie que l'on entend et voit rarement s'exprimer quand excès il y a, et pourtant, leurs membres émargent au budget de la République.
Alors, on ne sait plus où pourrait mener ce syndrome chronique de l'indigence scientifique et de la décadence de l'intellect induits par la mise au ban de plus en plus tolérée et cultivée de l'esprit scientifique, dont les symptômes inquiétants sont perceptibles. Et de nous interroger naturellement : sommes-nous là pour exalter les hommes et les passionner par l'art de cultiver la science ou pour fermer des espaces où s'exerce cette passion pour sa noblesse et sa culture ? Il devient difficile de se distinguer ou de s'illustrer dans ces espaces enclins à une dualité au solde négatif, à moins d'être un mouton, pour paraphraser A. Einstein dans l'un de ses aphorismes cinglants qui avait écrit : «Pour être irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton.» Image on ne peut plus claire de la tendance au nivellement par le bas et à l'uniformisme anesthésiant en cours. Si l'on veut avancer, la dure réalité exige de réinitialiser le logiciel du système de recherche actuel en l'adaptant à des objectifs et des ambitions réalistes à la mesure de ses potentialités et capacités intrinsèques en le ré-aiguillonnant sur l'orbite d'une voie qui mène en l'extrayant aux charmes de l'utopie et de la démesure.
Pour cela, il est capital d'actionner d'abord le levier du rehaussement du niveau fondamental exigible pour l'exercice de la recherche en investissant davantage dans le champ de la recherche-formation, matière primordiale et préalable à la mise en œuvre de tout autre forme de recherche.
I. A. Z.


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