Entretien réalisé par Omar Haddadou Fidèle à son humilité ineffable, qu'une aura internationale peine à dissimuler, le stratège et brillantissime milieu offensif algérien, Lakhdar Belloumi, l'enfant de Mascara a fini par nous accorder cet entretien en marge de la manifestation sportive et culturelle initiée par le consulat d'Algérie à Bobigny et l'Association Forum citoyenneté culturelle et mondiale à l'occasion de la célébration de la 3e édition de Yennayer 2969, tenue ce week-end à Montreuil-sous-Bois, en région parisienne. Le Soir d'Algérie : Le football algérien a traversé ces dernières années une zone de turbulences affectant les fondements de sa dynamique. Quel jugement porte l'ancien international sur les contreperformances des Verts ? Lakhdar Belloumi : En toute sincérité, je suis déçu par le niveau actuel du professionnalisme algérien. Je ne vois pas de résultats ! Pas d'ambition tangible chez les jeunes joueurs de puiser dans leurs propres ressources. On a l'impression qu'il s'agit des travailleurs d'entreprise complètement désabusés qui attendent le virement de fin de mois. La notion de défendre les couleurs du pays a perdu toute sa quintessence. Rappelez-vous l'époque où les anciens joueurs, Lalmas, Amirouche, etc. arrivaient à pied au stade pour régaler la galerie ! Il y avait du spectacle, de la créativité sur le terrain. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ? Actuellement, et c'est malheureux de le souligner, une léthargie, un marasme collectif s'est emparé de la famille du football, laissant transparaître des incohérences et des dysfonctionnements déplorables. Quand vous êtes gavé de pognon, vous devenez improductif et vous ne croyez plus aux idéaux. On est plein dedans ! Doit-on en conclure que l'intérêt personnel a supplanté les objectifs du groupe ? Indéniablement ! Il n'y a pas de recette magique pour jouer dans la cour des grands. Quand vous incluez dans votre canevas la persévérance, la discipline et une bonne dose d'intelligence, la réussite est à portée de main. Les médias ont aussi un rôle à jouer. C'est plus facile d'arranger un match que de changer les esprits obtus. Comment remédier à un passage à vide d'une sélection au passé fulgurant ? «Il faut une réforme en profondeur excluant les interférences et la gestion béquillarde de deux poids deux mesures. Le bilan incite aujourd'hui les tenants au pouvoir, les athlètes et l'encadrement à revoir leur copie. Moi, je ne vise personne, mais je ne peux me garder de m'insurger contre la violation des limites des champs de compétence. Le piétinement abusif sur les platebandes de l'autre en vertu de sa position hiérarchique conduit inéluctablement à la faillite. On parle bien de «l'homme qu'il faut à la place qu'il faut». Celui qui vient avec l'argent doit rester à distance. Moi, je n'ai pas vu un président de club assurer sa mission et, dans le même temps, interférer dans la méthodologie et prise de décision du coach. Si demain, on vous fait appel, consentez-vous à prendre cette lourde responsabilité ? Ça ne se refuse pas ! Je suis prêt à prendre les destinées des Verts, ou occuper le poste de conseiller, à condition d'être assisté par un élément compétent agissant, digne de confiance, animé par une volonté de remettre l'équipe nationale à sa juste place et recouvrer son standing sur la scène internationale. Les anciens ont fait des sacrifices pour redorer le blason du Onze dont les sorties aux rendez-vous mondiaux (Espagne 1982 et Mexico 1986) ont été un vrai électrochoc, obligeant l'instance internationale du football à introduire de nouveaux règlements, et ce, grâce à l'Algérie, victime de basses manœuvres. Quel est le secret de la «passe aveugle», plagiée à l'envi, même par les stars actuelles du ballon rond ? «J'étais très jeune. Petit de taille, j'avais attiré l'attention de M. Agha Sadek lequel décelait en moi un potentiel de sémillance frappant. Ce dernier me conseilla de pratiquer du basket-ball pour développer ma corpulence. J'ai suivi son conseil à la lettre et cela m'a permis de maîtriser la technique de feinte, de la diversion par l'orientation de mon regard, le visage, dans le sens opposé de la balle. J'en ai profité et fait de ce geste technique une habitude sur les terrains. La violence sur le terrain et les gradins a terni l'image de cette discipline, ô combien chère aux Algériens. Ça vous afflige ? Je ne trouve pas de mots à ces maux ! Aller supporter son équipe avec un coupe-coupe dissimulé derrière le dos en dit long sur l'éducation d'une population. Notre génération n'a pas connu ce phénomène. Votre implication avec le club fétiche de Mascara ne vous empêche pas de vous projeter dans le futur. Avez-vous des projets en perspective ? Je ne suis pas de ceux qui brûlent les étapes. Effectivement, j'ai à cœur d'organiser des manifestations footballistiques en France afin de rassembler la diaspora et rapprocher les deux communautés. O. H.
Mémento Le «virtuose» poursuit son récital Victime de son rayonnement footballistique, Lakhdar Belloumi, le «chef d'orchestre» du ballon rond algérien, illustre tacticien à l'élégance et lucidité du jeu exceptionnelles, l'homme qui formait le trio déroutant Assad-Madjer-Belloumi, a du mal à échapper aux bains de foule que lui réservent ses fans lors de ses déplacements en Hexagone. Pas d'exultation ostensible quand ses admirateurs (trices) jouent ici des coudes pour l'immortaliser ou lui arracher un autographe, encore moins d'épanchement sur la fertilité de son itinéraire, mais une fierté gravée en caractères d'or «d'avoir accompli un devoir citoyen», avoue-t-il humblement, loin des compromissions, celui de servir et honorer l'Algérie sans céder aux propositions mirobolantes alléchantes. Non ! Belloumi ne regrette rien de son investissement, en tant que lauréat du Ballon d'or africain en 1981 avec plus de 100 sélections à son actif sous le maillot vert, de ses convictions intimes, de ses positions politiques ou sportives, affranchies de toute cupidité, imprégnées de bonheur incommensurable, prodigué à son pays. Oui, il est passé à côté d'une carrière internationale historique au sein d'un club étranger. Il nous l'avoue sans état d'âme, sans remords. Il en rit même, en connaissance de sa dimension personnelle. Plus il est célèbre, moins il s'enorgueillit. Oui une blessure, préméditée, une décision en haut lieu ou pas ont faussé son départ vers d'autres faîtes, compromettant les visées prédatrices des barons de la finance, prêts à vider les viviers nationaux et africains de leur substance. L'Algérie avait le droit d'actionner ses propres leviers pour garder sa pépite sous son aile au moment où le joueur faisait l'objet d'une convoitise effrénée. Approché dans les années 80 par les présidents et les coachs du Barça, de la Juventus et du PSG, Lakhdar Belloumi aurait pu signer les contrats de sa vie et tourner le dos à l'Algérie au grand dam de tout un peuple. Conscients du dessein délétère des chasseurs de talents, une délégation algérienne restreinte s'approchera du génie à l'hôtel El-Aurassi, à Alger, après son retour de stage à Madrid. Elle se chargera du panégyrique patriotique destiné à ramener le Maestro au bercail, au terme de longues et âpres négociations, l'exhortant à jeter son dévolu sur Mascara, le club qui l'a vu grandir. Mission accomplie avec brio par les hommes de l'ombre ! Belloumi, hormis ce p'tit tour et puis s'en va au Qatar qui ne l'a point emballé, préfère rester auprès des siens. Ses amis d'enfance comme Mustapha, la force tranquille qui nous confie en rigolant : «Ana, houa lizaouedjni, ouallah ! Moi, c'est lui qui m'a marié. Je le considère comme un frère. Je n'avais pas les moyens, il m'a tout préparé pour la circonstance au bled. Il est toujours terre à terre, auprès des zaoualias (les indigents). Ici en France, j'étais en galère, il m'a mis en contact avec les services consulaires qui m'ont aussitôt pris en charge. Cet homme ne sait pas dire je vais voir quand la détresse des faibles l'interpelle». Son collaborateur Rachid se rappelle du deuxième but contre l'Allemagne : «Il a fait pleurer de joie tout un peuple. Ses prestations restent intemporelles !» Belloumi s'est-il rendu à l'évidence que la vraie richesse réside dans la relation humaine, la simplicité et l'authenticité. Dépité par les guerres intestines au sein des clubs, la fédération de la corporation journalistique, le clanisme pervers, l'opportunisme fardé, la corruption, les coups de gueule avides de médiatisation, les scandales sur fond de ripostes vindicatives, les déballages télévisés assassins, le sponsoring et le coaching déviants en quête d'enrichissement rapide, Belloumi, l'artisan de l'art et la manière, tout en se vouant à des causes probes et efficientes, plaide pour une réforme agissante et fédératrice apurée de toute influence financière. Il le dit haut et fort. Lui qui a répondu à l'invitation du consul, de l'ambassadeur d'Algérie en Seine-Saint-Denis et de l'association montreuilloise Forum citoyenneté mondiale à l'occasion de la fête de Yennayer. Une circonstance qui se voulait fédératrice, que les acteurs de la communauté algérienne, les représentations diplomatiques, la famille du ballon rond algérien, souhaiteraient inscrire dans la durée. Il suffit d'œuvrer pour des engagements participatifs, à l'image de cette inoubliable rencontre mettant aux prises l'équipe de Son Excellence l'Ambassadeur à celle conduite par le meneur de jeu, le sélectionneur de l'équipe nationale Belmadi, le tandem Belloumi-Djamel Tlemçani. Une belle affiche à laquelle prendront part Moussa Saïb, Hadj Adlène, Youcef Kaboul et Hakim Medane. Le tournoi in door aux couleurs de l'Algérie a scellé les liens des deux rives, sous les youyous et les applaudissements à tout rompre. O. H.