Le père et le fils marchent ensemble Etudiant à l'USTHB (Université des sciences et de la technologie Houari-Boumediène), Yanis est à sa deuxième participation aux manifestations des vendredis. Contrairement aux différentes marches des étudiants auxquelles il avait pris part seul, les marches de vendredi se déroulent toujours en compagnie de son père Mourad. Arrivés tout droit de Bab Ezzouar, le père et son fils marchent côte à côte sur la grande rue Hassiba-Ben-Bouali. Ils se mêlent aux autres manifestants mais ne se séparent pas. A 18 ans, cet étudiant semble bien imprégné de l'actualité du pays et assez politisé. «Nous marchons pour un changement du régime et du système en place. Leurs récentes décisions ne répondent pas aux exigences du peuple. Qu'ils s'en aillent», dit-il. Mourad semble fier de son fils. «Il est temps de passer le flambeau aux jeunes. Ce système doit dégager et c'est à la jeunesse de le faire», ajoute-t-il pour sa part. Les enfants sont de la partie «Ya serrakine, klitou lebled» (Voleurs, vous avez pillé le pays) ne cesse de répéter le petit Farouk avec sa frêle voix qui se distinguait de celles des autres manifestants sur le boulevard Amirouche. Âgé de 8 ans, l'enfant scandait les mêmes slogans des jeunes autour de lui et les répétait fièrement. Il marchait au même rythme qu'eux et agitait le drapeau algérien. Son frère, la vingtaine, ne le perd pas de vue. «On demande au pouvoir de dégager sinon le peuple ne va pas se taire», dira innocemment cet élève de 3e année primaire. Le garçonnet ne vient pas de loin, il habite les alentours de la salle Harcha dans la commune de Belouizdad. Seulement, sortir manifester avec son frère n'a pas été facile. «Il a pleuré avant qu'il ne soit autorisé à m'accompagner», raconte son frangin. «Son grand-père a combattu pour l'indépendance de l'Algérie c'est normal que ses petits-fils sortent eux aussi pour l'Algérie», souligne le grand frère. Sa première marche, Farouk n'est pas près de l'oublier. Elle restera gravée à jamais dans sa tête. Handicapé mais déterminé Sur une chaise roulante à laquelle est accroché l'emblème national, Abdelghani est sorti manifester avec les autres algériens. Il vient de Draria. Ni l'éloignement, ni le manque de transport, encore moins son handicap moteur ne l'ont empêché de répondre à l'appel de la manifestation de ce vendredi 15 mars 2019. En compagnie de son ami Amine, le quadragénaire Addelgahni est à sa 3e marche. «La première fois, nous sommes venus à pied de Dely Ibrahim jusqu'à Alger-Centre mais les deux suivantes, des amis nous ont déposés», précise-t-il. Depuis le début de toutes ces manifs, Abdelghani avoue avoir oublié toutes les galères liées à son handicap qu'il rencontre au quotidien. «Aujourd'hui, mes problèmes sont les mêmes que ceux de tous les Algériens», dit-il, avant de poursuivre : «Nous n'allons pas nous arrêter. Même si tout le peuple algérien abandonne, je sortirai seul pour le pays.» Pour les deux amis, ces jours-ci sont synonyme d'«une vraie indépendance de l'Algérie». Alors que Amine «remercie», de son côté, le pouvoir en place d'avoir «réuni les Algériens une nouvelle fois», Abdelghani, lui, s'est contenté de s'interroger : «Si le président de la République est vraiment un moudjahed comme il le dit, comment va-t-il rencontrer dans l'au-delà tous les martyrs qui sont tombés pour que l'Algérie soit libre et indépendante ?» L'octogénaire Fatma A 83 ans, Fatma n'a pas hésité à sortir dans la rue. Assise sur une chaise roulante, elle a tenu à marquer de sa présence la manifestation du vendredi 15 mars. C'est devant la porte de l'immeuble où elle habite, rue Didouche-Mourad, que la vieille femme a choisi de prendre place, enveloppée du drapeau algérien. «Je suis sortie pour la justice et contre la hogra. Ils nous ont privés de nos droits depuis des années», dit-elle avec une voix à peine audible. Occupant une cave depuis 56 ans, Fatma assure que tous ses droits ont été bafoués. «Mon dossier de moudjahida a été refusé sans aucune explication, moi qui suis issue d'une famille révolutionnaire et mon mari a aussi travaillé pour la révolution en France. Après 32 ans de service, ma retraite est très réduite et ne suffit même pas pour couvrir mes séances de kinésithérapie», se plaint-elle. Ravagée par plusieurs maladies chroniques, notamment l'arthrose et l'hernie discale, l'octogénaire est aujourd'hui réduite à se déplacer sur une chaise roulante. Toujours est-il, elle espère des jours meilleurs pour ses cinq enfants et pour tout le peuple algérien. Une éditrice contre le néolibéralisme Munie d'un t'bal (tambour), Samia patiente sur le trottoir de la rue Didouche-Mourad. En compagnie de son mari et de quelques amis, elle attend l'arrivée de sa fille. «Nous sommes sortis marcher en famille», lance-t-elle en souriant. Cette éditrice de livres marche ainsi pour la seconde fois depuis le début des manifestations contre le pouvoir en place le 22 février dernier. «J'ai raté la marche du 8 mars car j'étais en déplacement à l'étranger», explique-t-elle. Rentrée ce jeudi, Samia a vite renoué avec les manifestations. Le lendemain, elle est descendue à Didouche-Mourad participer à la marche avec les jeunes et les moins jeunes. «Il faut écouter le peuple. Il faut revoir la politique néolibérale qui a creusé un fossé dans la société et créé une injustice», dit-elle. L'éditrice plaide ainsi pour la reprise du chemin de l'Algérie des années 1970 où l'on construisait le pays, éduquait les générations et respectait le peuple. La longue marche d'une femme enceinte Rym est enceinte. Sa grossesse qui touche à son huitième mois est visible de loin. Pourtant, cette mère de deux filles n'a pas hésité à sortir participer à la marche du 15 mars 2019. Dès le début de l'après-midi, elle confie ses fillettes à sa mère et prend la destination d'Alger-Centre. «J'ai raté la marche du 8 mars dernier et je l'ai regretté. J'ai senti que j'étais passée à côté de quelque chose d'historique. Cette fois-ci, j'ai décidé de ne pas manquer ce rendez-vous», dit-elle. Drapeau à la main, Rym a, en effet, pris part à la manifestation de ce vendredi. En compagnie de son mari, elle a marché doucement mais sûrement. De Sidi M'hamed passant par la rue Hassiba-Ben Bouali, empruntant la pénible montée de la rue Victor-Hugo avant de déboucher sur la rue Didouche-Mourad, elle a décidé d'atteindre la place Maurice-Audin. La dense foule ne l'a aucunement dissuadée à réaliser sa longue marche. Ry. N.