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Ce que m'a révélé El-Baidha, mon Algérie
Publié dans Le Soir d'Algérie le 31 - 03 - 2019


Par Abdelkader Kelkel
Comme dans la représentation d'une tragédie grecque, j'entendais fuser du chœur des cadets qui vocalisaient sourdement. Mais avec tout ce qu'une voix humaine peut restituer comme force probante et démonstrative. Ils déclamaient battant la mesure : «Ils voulaient tous figer, conserver et immobiliser. Ce qui change, se déplace, se fait, se défait, évolue ou bien régresse. Ils s'acharnaient à pétrifier tout ce qui se métamorphosait, se laissait pousser la barbe, tournait la veste ou bien changeait casaque, au nom d'une permanence qui n'existe plus. Ils nous ont fait du mal, ils nous tourmentent.»
Lors d'une soirée bien arrosée à la table du commandant du navire, dans le carré des officiers, le second capitaine, aidé dans son courage par les vapeurs de l'alcool, agressa verbalement le pacha du vaisseau. Il lui reprocha d'être saoul, alors qu'il devrait piloter le bâtiment en demeurant en tous temps et toutes circonstances lucide. Finissant son verre, le commandant lui répliqua : «Je suis saoul présentement, et demain je serai dégrisé. Je redeviendrai moi-même et piloterai ce bateau jusqu'à bon port, où d'ailleurs, j'ai décidé, dès maintenant, de débarquer et ne plus jamais piloter d'autres navires marchands. Mais vous, mon capitaine, vous êtes ce soir et comme vous l'étiez avant, inélégant, discourtois, grossier et stupide. Demain, comme moi, vous vous serez dessaoulé. Cependant, la différence entre nous deux, c'est que vous resterez, votre vie durant, indécent, insolent, irrespectueux et crétin.
Monsieur l'officier en second, vous serez alors le commandant de ce bateau. Je vous l'annonce poliment monsieur le futur chef, je plains votre dame, vous êtes et vous serez son malheur.» Il se leva et regagna sa cabine. Ce faisant, l'interpellation s'adressait à tous ceux qui étaient autour de la table. Toutefois, tous focalisaient sur les malheurs présents et à venir de la dame du second capitaine. La scène se déroulait en rade de Tripoli, en Libye, une nuit de juin 1962.
Cette dame serait-elle El Baïdha, mon Algérie, ou bien Antigone, le prénom de la rébellion ?
Après qu'Œdipe roi se fut crevé les yeux à l'aide de la broche qui agrafait la robe de Jocaste, sa femme, mais aussi, pour son malheur, sa mère.
Il se punit ainsi, faute de ne pas avoir vu. Pour ne pas avoir été perspicace et clairvoyant, en épousant sa propre mère Jocaste. Quant à cette dernière, elle se pendit pour en finir avec ses tourments et ses souffrances, quand elle découvrit sa malédiction. Le roi Œdipe, affligé, et pour se fuir, entama son errance. Œdipe, aveugle, se fit conduire par sa fille et en même temps sa sœur Antigone. Œdipe est le frère de ses enfants et le père de ses frères. Donc Antigone, sa fille, fidèle, guida son père, elle errera avec lui, selon Sophocle, jusqu'à sa mort.
Quand son père, non-voyant, lui disait : «Qui voudra en ce jour accueillir avec les dons de la pitié l'errant Œdipe, demandant peu, obtenant moins qu'il ne demande, et encore satisfait ?» Elle lui répondait : «suis-moi, mon père, laisse-moi guider tes pas incertains.» Une fois son père mort, ses deux frères, Etéocle et Polynice, s'entretuèrent pour le trône et tous les deux périrent. Créon, le nouveau roi de Thèbes et frère de Jocaste, décréta des funérailles solennelles et princières pour Etéocle, mais interdit que l'on fasse ensevelir son autre neveu, Polynice, considéré comme traître à la cité. Seule Antigone s'opposa à cette sentence et refusa de s'y soumettre. Ayant fait donner une sépulture à Polynice, elle est condamnée par Créon à être enterrée vivante. Vigoureux et éloquent, le mythe dure et se renouvelle.
Le second capitaine devint commandant et le navire prit le large. Il vogua jusqu'en Egypte. Puis le nouveau commandant décida avec ce qui lui restait comme équipage de traverser le canal de Suez pour aller voir vivre ceux qui avaient fait la révolution avant lui. Sur le chenal égyptien, giboyaient des meutes affamées, de camelots baratineurs, qui abordent et souvent montent à bord pour faire de la réclame et fourguer divers produits de bas de gamme et proposer moult services. Comme la coiffure ou bien le cirage de pompes, par exemple. Le commandant demanda justement à être bien coiffé. On lui proposa le plus habile des coiffeurs navigants, il s'appelait le Loup. Le Dhib, coiffeur, était un futé hâbleur et aussi apprenti psy à ses heures perdues. Durant la séance de capilliculture sur mer, Dhib se proposa pour être recruté comme marin coiffeur du bord. Et pour confirmer qu'il en était capable, il convainquit le nouveau commandant de le mettre à l'essai durant son voyage en Chine. Le pacha ordonna à son lieutenant de quart de mettre le cap sur l'Empire du Milieu, devenu une grande puissance populaire. Le voyage dura son temps. Dhib révéla ses talents de coiffeur et d'analyste directeur de conscience. Le retour se décida quand Dhib eut la nostalgie d'écouter et de se délecter, insouciant, les mélopées d'Essete, la grande dame, Oum Kalthoum, au bord du canal, le soir, en tirant sur sa chicha.
De son voyage de Chine, le commandant nouveau ramena une cargaison de chemises col Mao, pour perpétuer le souvenir du grand timonier. Il en avait habillé tout son équipage.
Le Loup coiffeur débarqua comme prévu au pays des Pyramides et se gava de chansons de l'astre de l'Orient, en fumant son narguilé, sur les rives du détroit, œuvre de Ferdinand de Lesseps, le soir, contemplant ses eaux miroitantes. Cependant, pour chaque coupe de cheveux, le commandant, restant fidèle, lui demandait son avis.
Dommage, lui répondait, à chaque coup de fil, Dhib, qu'il n'avait pas de moustaches, sinon les soins auraient été complets.
Rentré à bon port début juillet 1962, le nouveau commandant se précipita pour annoncer à sa dame, qui se prénommait El-Baïdha et dont il était, selon le flair de son ancien chef, vieux loup des mers, le malheur, qu'il était désormais le seul et l'unique commandant du vaisseau. Et pareille à Eve pour les créationnistes, elle lui raconta que seule au monde durant son absence, abandonnée, elle donna le sein à tous ses enfants, même en période de diète, de dèche et de pénuries. Quand elle n'avait rien à manger. Qu'elle puisait sur elle-même pour allaiter, mais tous avaient eu tous les jours leurs rations. Néanmoins, cela ne se passa jamais dans le calme. Ses aînés monopoleurs, lui confia-t-elle, prenaient par la force quasiment tout le lait et affamaient ses cadets. Et qu'affaiblie et de guère lasse, elle ne pouvait plus mettre de l'ordre dans la maison.
Le commandant commença, en souvenir de la soirée bachique, où son ancien commandant le traita de ce qu'il était. Il prit le 23 décembre 1962, c'est-à-dire à la veille de la première fête du premier jour de l'an du pays indépendant, un décret portant interdiction à bord, de la consommation d'alcool et de boissons alcoolisées.
Ensuite il s'acharna à sévir contre tous ceux qui avaient quitté le navire à son appareillage à Tripoli.
Car, pensait-il, ces derniers ne reconnaissaient pas son autorité. Certains furent mis aux fers dans les cales du bateau, d'autres résistèrent, et qu'au final, tous s'exilèrent.
Dès lors, et pour prouver qu'il est bon marin et se faire applaudir, il annonça son programme : une cure d'amaigrissement dans les hammams nationalisés de la république pour tous les grassouillets et les bedonnants. Il vogua ensuite à travers tout le pays.
Il voulut même visiter Orléansville (El Asnam), en remontant le Cheliff à partir de Ténès, et aussi voyager à Guelma en remontant la Seybouse à partir de son embouchure sur la Méditerranée à Bône (Annaba). Quand ses officiers de bord lui expliquèrent que l'opération était impossible, parce qu'il n'y avait pas assez de tirant d'eau, il se fâcha, les réprimanda et les fit débarquer. Plusieurs lieutenants goûtèrent à l'amère humiliation, et bien des équipages furent révoqués, jusqu'au jour où, fortement malmené et violemment acculé, son second se mutina, prit le commandement de nuit, le débarqua en pyjama et l'envoya se reposer, dans un château colonial qui domine Boufarik, à l'ouest de la grande ville.
Le second, devenu chef, recruta une nouvelle équipe, baptisée le Cénacle de la Rotation, et cingla toutes voiles dehors et cabota tous azimuts. Il alla tranquilliser El-Baïdha, qui ne reconnut pas le personnage tout de suite, parce que moustachu. Mais rassurée par l'uniforme à quatre barrettes de commandant, elle l'adopta. Il sortit le lendemain et commença par arracher tout le vignoble de vinification, pour le replanter en vignes de raisin de table.
Toutefois, El-Baïdha, depuis, n'eut ni le vin ni le raisin. Il fabriqua trois révolutions. Une pour l'industrie, qui fit naître le fleuron du fer, que les aînés monopoleurs d'El-Baïda bradèrent un jour d'infortune à des gens venus d'Asie les mains vides et la tête pleine. Une autre pour l'agriculture, qui distribua des titres d'exploitation des terres les plus fertiles d'El-Baïdha, mais quand sa dame eut besoin d'oignon, d'ail ou de citron, le commandant envoyait son équipage en acheter à d'autres fellahs, de France, d'Espagne, d'Italie ou bien de Hollande, une entière cargaison ramenée fièrement sur son navire amiral.
Sa troisième et dernière révolution prit en charge la culture. Elle produisit des festivals sans lendemain et tant d'artistes esseulés. A côté, il mit au pas certains des aînés monopoleurs et interdit que l'excédent de lait ne soit désormais déversé dans la mer.
Un soir, il fit une confidence à El-Baïdha et lui dit : «Et si nous domestiquions des vaches pour donner plus de lait à tous nos enfants, au lieu de t'éreinter à les allaiter.» Elle accepta, et dès qu'elle sut apprivoiser la vache, le lait coula à flots. Aimante et généreuse, El-Baïdha laissa les aînés monopoleurs se servir les premiers. Ils burent à tire-larigot, gaspillèrent, gâtèrent et jetèrent aussi. Les moins âgés, qui sont venus après, léchèrent les gouttes, quand il en restait. Ils étaient même parfois battus par les plus grands.
Quelle légitimité donne le droit d'aînesse, en république démocratique et populaire ? Pourquoi être premier-né confère-t-il des pouvoirs dont tous les cadets et tous les benjamins en sont privés ? Choisit-on son heure de naissance ou bien son ordre de venir au monde ?
El-Baïdha regardait encore une fois ses aînés monopoleurs tout faire pour que rien ne change. Ils grossissaient, prenaient du poids, de l'embonpoint et de l'espace à tel point que son commandant à la rousse moustache étouffé s'asphyxia et mourut lentement dans un pays froid et lointain.
La vache avait donné des petits et le lait coulait de plus en plus. El-Baïdha, mesurant l'ampleur de la gabegie, interpellait souvent ses aînés monopoleurs et leur disait : «Le lait que vous jetez à la rivière, depuis que le rouquin commandant, haut en couleur, avait interdit de le déverser à la mer, vos cadets ont en plus besoin et en sont prioritaires.» Mais autistes et indifférents dans leur curée, les aînés ne redoutaient pas d'être confrontés à aucune des valeurs qui font l'être humain. Ils choisirent un nouveau commandant, qui avait lors des funérailles de son prédécesseur éclaté en sanglots. De la rivière sortirent alors des créatures glauques et visqueuses, nourries au lait de vache d'El-Baïdha qui s'y était déversé. Ils se sont proclamés frères de lait des enfants aînés monopoleurs, qui se sont empressés de les reconnaître. Ils s'imposèrent alors à El-Baïdha, usurpant la qualité de fils. La dame en souffrit, mais supportait en silence. Antigone transgressa l'édit de Créon, parce que le roi refusait une sépulture digne à son frère pour, déclarait-il, laisser son cadavre aux chiens et aux oiseaux. Elle fut une révoltée, jusqu'à l'ultime seconde de sa vie, puisqu'elle se suicida, quand son oncle, Créon, l'emprisonna, avant de la mettre à mort. Elle le priva ainsi de ce plaisir. El-Baïdha, fatiguée, se résigna. Comme Antigone, par un côté, qui se révoltait pour signifier qu'elle avait et défendait l'esprit de sa propre famille, et qu'importait ce qui lui en coûterait.
Par un autre, contrairement à Antigone, El-Baïdha rappelait souvent à tous, qu'elle fut la mère et demeurait la mère de tous les révoltés du monde, auxquels elle apportait du secours et de l'affection dans leur combat, comme seule une mère peut être capable de le faire. Sans questionner sur la couleur de la peau, ni sur la religion, encore moins sur la race. Et même si certains l'avaient en fin de compte reniée, elle gardait d'eux le souvenir d'hommes et de femmes qui croyaient en de nobles idéaux humains. Maintenant que ses aînés monopoleurs et leurs frères de lait corrompus et frelatés, sortis de la rivière, ne lui procuraient que des maux au lieu de la reconnaissance, c'est aussi le fait de la torpeur et de l'engourdissement dans lequel naviguait le commandant, qui avait un jour sangloté. Les aînés et leurs frères de lait l'avaient acculé, jusqu'à ce qu'il leur promette, une Vie Meilleure.
En vrai, c'était un emballage qui sentait la banane et le gruyère. C'était aussi un tube du groupe londonien, Imagination, lors d'un concert à la salle blanche du complexe sportif, pour la tchi-tchi «Illusion», le tout prononcé en anglais. Mais pas pour El-Baïdha qui ne manquait jamais de rassembler tous ses enfants, les aînés et les cadets, et aussi depuis peu, ceux qui avaient jailli de la rivière, le jour de l'Aïd El Adha. Le commandant envoya, cette année-là, son navire jusqu'en Australie pour lui offrir un beau bélier australoïde, que la révolution de l'agriculture n'avait pu fournir. Et quand la nef entra au port avec le bélier, tous se congratulaient de l'exploit d'avoir ramené un bélier vivant de l'hémisphère Sud, jusqu'au pays du mouton. Sauf El-Baïdha. Elle refusa l'offrande, ne fêta pas cette année-là l'Aïd et ne réunit pas ses enfants. Elle trouvait l'allure du bélier du Sud ultra-marin moche.
Sa tête ressemblait à celle d'un chien, peut-être avait-il un même patrimoine génétique avec le dingo, ce chien sauvage d'Australie ? Ce bélier n'avait pas de queue. Il était trop gras et sa laine rugueuse. Elle repoussa la bête répugnante, quand même le commandant, déçu et ébranlé, accourra pour lui exposer lui-même le certificat authentiquement halal du bélier à face de chien.
Quand le lait vint encore une fois à manquer, ce fut un cortège de contrariétés, de colères, de désagréments et d'exaspération qui s'installèrent.
Les pénuries entraînèrent l'affrontement de tous contre tous. Des alliances contre- nature vinrent à naître, et l'on s'entretua par brochettes pour un oui, pour un non, yadjouz, la yadjouz. Le vaisseau ivre du commandant en détresse fit naufrage. Certains de ceux de la rivière, qui désormais regroupait toutes sortes d'accoutrements, ramenés d'ailleurs, lors de la vadrouille, pour une vie meilleure, habillèrent le commandant du vraquier d'un étrange drap blanc, appelé kamis. D'autres de la même rivière ramenèrent également de leurs pérégrinations à la recherche de la vie meilleure, mais ailleurs, des idées et des objets tueurs, pour recréer la vie meilleure d'ailleurs chez El-Baïdha. Ils donnèrent maints conseils au pacha, pour changer de cap, sur sa carte de navigation. Il allait approuver le nouveau plan de navigation, qui menait fatalement vers un échouage, quand certains des cadets d'El-Baïdha chahutèrent et débarquèrent le commandant aventureux et malavisé. Cependant, à bord, l'aventure persistait.
L'absence du commandant affolait sa dame, qui avait encore une fois du mal à se retrouver dans cette vacuité au poste de pilotage. On s'arrangea, et on fit quand même voguer le navire, avec plusieurs commandants à la fois, alors même qu'une sagesse populaire bien d'ici, souvent réitérée par El-Baïdha, affirmait que pareille façon de manœuvrer conduisait à coup sûr vers une fortune de mer des plus catastrophiques. Durant cette hasardeuse traversée, on fit appel à des sages, à des courageux, à des poltrons, à des forts en gueules, aussi à des hommes sans aveu, et quelques pantouflards. Pas une femme.
On arriva tant mal que bien à dénicher l'amiral idoine. El-Baïdha, longtemps lointaine et songeuse, reconnut dans le timbre de la voix de ce commandant de bord l'intonation du commandant à la rousse moustache.
Elle se mit debout, reprit des forces et fouetta ses vaches. Le lait re-gicla et tous pompèrent par ordre de préséance, les aînés monopoleurs, ceux de la rivière et enfin les cadets. Ces derniers, comme Œdipe, demandant toujours peu, obtenant moins et encore satisfaits.
Le nouvel amiral retraça une nouvelle carte de navigation et le bâtiment se stabilisa. Cependant, pour commencer à fendre les flots, il inscrivit sur le livre de bord du vaisseau à l'encre indélébile, qu'il resterait à la barre tenant le gouvernail durant beaucoup de traversées, et que les ordres du pacha ne sont pas discutables. Tout l'équipage garda le silence et même certains applaudirent. Il y eut beaucoup de périples durant lesquels se produisirent de durs tacles et moult des tirages de maillots, dans la surface de réparation, mais aussi de beaux buts, jusqu'au jour où un hooligan, lors d'une partie qui se jouait du côté des Aurès, lança un fumigène létal, qui fit des dégâts. Le navire de l'amiral resta au mouillage assez longtemps. Triste, El-Baïdha appréhendait quelques malheurs, dont l'origine serait le désœuvrement de l'équipage qui ne ferait pas attention à une soudaine tempête nord-ouest. Elle n'avait pas tort dans sa prémonition, mais au lieu du nord-ouest, le vent, contre toute attente, se leva à l'est, au pays du Jasmin et de la régente de Carthage.
Il atteignit ensuite le pays de la mythique fleur de lotus et de celui de l'ancien coiffeur conseiller du tout premier commandant du navire.
Les amarres faillirent lâcher et la nef de l'amiral tanga, c'était en janvier, au début de l'hiver. Le commandant, habitué aux revers de la haute mer par gros temps, ne se fit pas démonté par le déchaînement des éléments. Il avait depuis fort longtemps apprivoisé les frayeurs de la houle, du ressac et du remous. Attentif, il restait à l'écoute et aux aguets. Dès l'accalmie et à partir des premières éclaircies qui préludaient le printemps, l'amiral donna l'ordre de lever l'ancre. Il désigna alors son second, le commissaire de bord et l'aumônier.
Il les missionna pour entreprendre des consultations en vue de réformes profondes à même de rassurer El-Baïdha, de moraliser la vie à bord et conférer une crédibilité aux prochains périples. Par cette démarche, il cherchait à doter le navire au niveau du pont et des machines de commandement dont la légitimité et la légalité ne sauraient être contestés, ni remises en causes à l'avenir, lors des voyages futurs. La troïka reçut quelques aînés monopoleurs et beaucoup de ceux de la rivière, eux-mêmes, ou bien par personnes interposées, mais tous étaient attirés par l'odeur fraîche du lait de première traite. Comment ces derniers avaient-ils fait pour ainsi être reçus ? Tous l'ignoraient. Ils ne figurent sur aucun rôle du bord. Certains des cadets-adultes, ou bien adultes-cadets avaient été reçus, pour dire qu'ils n'avaient rien à proposer et d'autres avaient décliné l'invitation. Ceux qui avaient accepté la convocation reprochaient après les auditions l'opacité dans le choix des invités, comme dans un mariage arrangé, que l'on sait, par avance, raté. D'autres sont venus sans qu'on les invite et sont arrivés avec des propositions de maintien du navire à flot en guise de cadeaux de l'invité de dernière minute. Au final, il y eut tellement de propositions d'itinéraire, que la carte de navigation, surchargée,# n'indiqua plus jusqu'à aujourd'hui clairement aucun. L'amiral décidé contre vents et marées recevra tous ceux qui voudront venir et il écoutera même ceux qui ne voudront pas venir. Par nuit calme, qui n'annonçait aucune rumeur, ni aucun murmure, dans son sommeil, l'amiral reconnut la voix d'El-Baïdha lui susurrant : «Tu n'es pas Créon et je ne suis pas Antigone, je me révèle à toi. Antigone avait choisi d'outrepasser les lois de sa Cité-Etat, pour défendre sa famille, la mémoire de son frère et les liens du sang. Moi, j'ai même accepté les frères de lait de vache de mes fils aînés monopoleurs, ceux glauques et visqueux de la rivière. Mais de quelle façon m'ont-ils restitué cet amour ? Ils ont enfrein, au nom de la loi du lien du sang, les lois de notre société, celles de l'Etat et celles de la République. Ils ne connaissent pas la modération, ni la mesure. Ils ignorent tous les attributs de la sagesse, se moquent de la retenue et des convenances dues au respect de la personne humaine. Ils ont utilisé des armes contre moi.
Amiral, si tu navigues tranquille dès maintenant, et qu'El-Baïdha embellisse, et qu'elle soit heureuse sur le quai à chaque retour du navire, sanctifie toutes ces lois républicaines, puisque l'occasion est là, mais seulement celle-là. Je te le dis avec mon cœur et le chœur de mes cadets qui fuse chaque vendredi, à travers tout le pays. Je n'ai et il ne m'en reste que ceux-là.
A. K.


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