Le 9 décembre 2003, une cérémonie particulière se tient dans la ville de Mérida, au Mexique : c'est le lancement solennel des premières signatures de la convention des Nations unies contre la corruption en présence d'une centaine de délégations étrangères, convention qui avait été adoptée 2 mois auparavant à New York lors de l'Assemblée générale annuelle de l'instance onusienne. A Mérida, la délégation algérienne est dirigée par le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz. Au même moment à Alger, des informations circulent sur l'implication de ce ministre dans l'affaire Khalifa, à travers notamment l'agence de la banque du même nom à Koléa, dans la wilaya de Tipasa : il a bénéficié d'un important prêt bancaire — auquel il n'avait pas droit —, prêt qu'il ne remboursera jamais. Non seulement ce ministre indélicat ne sera jamais inquiété dans cette affaire — il ne sera même pas convoqué comme témoin dans le procès Khalifa —, mais plus grave, il sera nommé plus tard ministre de l'Intérieur, puis à 2 reprises président du Conseil… constitutionnel ! Mais il ne sera pas le seul des proches «collaborateurs » et des principaux soutiens de Bouteflika à échapper à la justice — du moins pour le moment —, dans ces trop nombreux scandales de corruption qui ont jalonné les 4 mandats du président déchu. Le système de gouvernance des «élites» dans le règne de Bouteflika reposait essentiellement sur l'allégeance, la servitude volontaire et le culte d'obéissance ; en contrepartie, ces «élites» étaient largement autorisées à baigner dans la prédation sans limites, progéniture en sus. Voici ce que je déclarais tout récemment à un hebdomadaire français en ligne (Le Point Afrique en date du 6 décembre 2019) : «Dès le départ, il (Bouteflika) a mis en place des instruments très efficaces. Le chef de l'Etat a mis la main sur la nomination de tous les commis de l'Etat et à tous les niveaux. Le secrétaire général de la moindre petite commune d'une wilaya éloignée [ville] est nommé par décret présidentiel. Chose qui lui a permis de constituer toute une cour qui lui doit allégeance et obéissance. Il n'a pas cessé aussi de développer la réglementation des marchés publics en faisant du gré à gré une règle, il a été assez machiavélique… Il a laissé, dès le début, la corruption exploser et a permis l'accès aux privilèges. Ayant perdu tout contact avec l'Algérie (NDLR : après sa longue traversée du désert qui aura duré 20 ans, de 1979 à 1999), n'ayant pas de réseau, n'ayant pas de cour, de connaissances, il a fallu recruter. C'est ainsi qu'il a laissé la corruption exploser et facilité l'accès aux privilèges. En une vingtaine d'années, la corruption est devenue une doctrine et une règle qui s'est ancrée à tous les niveaux.» Fin de citation. Bouteflika ratifie en 2004 la convention des Nations unies pour faire croire qu'il allait lutter contre la corruption «L'Algérie est un pays miné par la corruption.» Le propos indigné du président Abdelaziz Bouteflika a été lâché lors d'un meeting tenu le 30 août 1999. Le constat dressé sans complaisance ne paraît pas avoir nettement changé durant les 20 ans qui suivront, tout au long de ses 4 mandats. Pendant ces deux trop longues décennies, l'actualité en Algérie n'a cessé d'être marquée par une explosion sans précédent de la corruption à tous les niveaux et dans tous les secteurs d'activité, sans aucune exception. Cette explosion est étroitement liée aux flux ininterrompus des énormes recettes du pétrole. Elle est alimentée par les budgets faramineux dégagés par les pouvoirs publics sous le couvert de programmes dits de relance économique, budgets sans cesse revus à la hausse à souhait par la seule volonté de l'Exécutif au plus haut niveau de l'Etat. Par ricochet, ces budgets ont permis aux très puissants réseaux mafieux de la grande corruption et de la criminalité transnationale organisée de faire fructifier leurs affaires, réseaux qui ont accéléré la déliquescence des institutions de l'Etat et ont totalement neutralisé – quand ils ne les ont pas contaminés — les organes de contrôle et de répression. La ratification par Bouteflika (la Constitution algérienne attribue au chef de l'Etat l'exclusivité de la ratification des instruments internationaux) en avril 2004 de la convention onusienne contre la corruption n'a pas connu de prolongements qualitatifs, et pour cause, il n'a jamais été réellement question de lutter contre la corruption. D'ailleurs en voici les preuves, si besoin était : la piètre qualité de la transposition de ces conventions en droit interne est particulièrement révélatrice de cette absence de volonté politique ; la loi du 20 février 2006 de prévention et de lutte contre la corruption est très «pauvre» : déclaration de patrimoine vidée de sa substance ; pas de protection des dénonciateurs de la corruption ; pas d'accès à l'information ; exclusion de la société civile ; pas d'indépendance pour l'agence gouvernementale de lutte contre la corruption, etc. Les insuffisances «autorisées» de la loi algérienne anticorruption Le contenu de la loi du 20 février 2006 traduit de manière on ne peut plus claire l'absence de volonté politique à lutter réellement contre la corruption. Elle contient de nombreuses insuffisances et des «omissions» par rapport à la convention des Nations unies. Donnons quelques exemples. Au sujet de la notion de déclaration de patrimoine — il faut rappeler la décision scandaleuse des députés en janvier 2006 de supprimer l'ex-article 7 qui prévoyait la déchéance du mandat ou la fin de fonction pour les agents publics qui ne déclarent pas leur patrimoine dans les délais. L'article 6 de cette loi qui énumère les fonctions et mandats sujets à déclaration ne comprend pas les chefs de l'armée, contrairement à l'ordonnance de 1997 qui le prévoyait. Concernant la participation de la société civile, des associations et des ONG à la lutte contre la corruption, tel que le recommande abondamment la convention des Nations unies, l'article 15 de la loi algérienne est très restrictif à ce sujet et n'évoque pas du tout les associations, article qui reflète d'ailleurs les positions négatives sur cette question de la délégation algérienne lors des négociations de la convention des Nations unies à Vienne de 2001 à 2003. La lutte contre la corruption doit devenir l'affaire de tous : c'est un combat de longue haleine. L'Algérie doit le mener sans plus tarder. Djilali Hadjadj Toujours rien du côté de l'ONPLC... Dans «Le Soir Corruption» de la semaine dernière — lundi 2 décembre 2019 —, nous avions évoqué, dans l'article «Journée internationale contre la corruption, J-7…», la frilosité, pour ne pas dire la forte allergie des pouvoirs publics, à célébrer cette importante journée. Non seulement ils ne la célèbrent pas, mais ils ont interdit encore une fois aux associations de le faire. Nous avons essayé de savoir si, quelque part, l'ONPLC — Organe national ( gouvernemental) de prévention et de lutte contre la corruption —, avait prévu d'organiser ne serait-ce qu'une petite réunion avec quelques officiels : rien à déclarer ! A l'heure où nous sommes tenus d'envoyer cet article à la rédaction du Soir d'Algérie — dimanche 8 décembre 2019 à 8h30 au plus tard —, rien n'a filtré sur une éventuelle initiative de l'ONPLC, ni sur son site web, ni sur le fil de l'APS (agence gouvernementale d'information), ni dans El Moudjahid du 8 décembre 2019. … Ni du côté du bureau des Nations unies à Alger ! Rien non plus du côté de la représentation des Nations unies à Alger où la discrétion est de mise : ne rien faire qui puisse embarrasser les autorités algériennes, alors que ses homologues dans les pays voisins ont inscrit cette célébration dans leurs agendas, de concert avec les organes gouvernementaux de lutte contre la corruption, les associations locales et les médias. Pourtant la représentation onusiennne à Alger reçoit — chaque année à pareille date —, de l'Unodc à Vienne (Agence des Nations unies contre le crime et la drogue), qui pilote la «convention internationale contre la corruption, les matériaux pour célébrer cette journée onusienne ; les représentants locaux, du Pnud plus particulièrement, étant chargés de multiplier les initiatives dans ce sens. D. H.