La part d'utopie et de rêve du colonisateur français s'est évanouie avec le déclenchement des manifestations du 11 Décembre 1960. Le peuple entre avec panache et fracas. Il s'emparera des rues du Grand-Alger pour revendiquer son indépendance totale. Le gouvernement français d'Algérie, pris de court, traite cette manifestation avec dédain quand il pense que ce n'est qu'un élan fougueux, facile à briser alors qu'il va s'étendre à l'ensemble du pays. Ce mouvement né des clivages sociaux et de disparité d'opinions suscita notre ras-le-bol nous les indigènes, cette appellation, que le colonisateur a donné une connotation péjorative. Cette manifestation pour l'indépendance constitue cette détermination qui l'emporte sur le vague à l'âme sans concession. Les Algériens de souche découvrent qu'ils vivent un moment exceptionnel. Ils se sont fixé le but d'aller jusqu'au bout de leur ferme détermination pour l'indépendance totale sans contrepartie. Bravant les territoriaux, bérets rouges et verts dont on connaissait les crises clastiques, ne sont pas allés de main morte pour tirer sans sommation sur femmes et enfants, infligeant, par là, des traumatismes psychiques aux familles. Dans le livre du regretté Frantz Fanon, L'an V de la révolution algérienne, Christina Lilliestierna, journaliste suédoise, s'est entretenue dans un camp avec quelques-uns des Algériens réfugiés, dont voici un extrait à donner un frisson d'horreur : «Le suivant de la chaîne est un garçon de sept ans marqué de profondes blessures faites par un fil d'acier avec lequel il fut attaché pendant que des soldats français maltraitaient et tuaient ses parents et ses sœurs. Un lieutenant avait tenu de force ses yeux ouverts, afin qu'il vit et se souvînt de cela longtemps... Cet enfant fut porté par son grand-père pendant cinq jours et cinq nuits avant d'atteindre le camp. L'enfant dit : «Je ne désire qu'une chose : pouvoir découper un soldat français en petits morceaux, tout petits morceaux.» Le peuple souillé par les exactions sur la personne se reconstruit au fil de la lutte livrée par l'ALN dans les djebels et le fidaïsme (un néologisme) de la lutte armée dans les villes de l'ensemble du territoire. Le militantisme soudé et homogène s'étendra jusqu'aux confins du pays. Cette date historique du 11 Décembre 1960 est, sans conteste, un acte de volontarisme politique destiné à recouvrer notre indépendance sans obédience à un quelconque pays étranger. Fils de chahid, tombé au champ d'honneur en 1957, moi son fils, l'aînée de la fratrie ainsi que ma défunte mère et frère, nous ne savons même pas où il fut enterré par ses pairs. Sans être enclin à jouer le héros, alors âgé de 13 ans, je n'y suis pas allé par quatre chemins, pour crier mon désarroi à la face de l'occupant : «Tahia El Djazaïr ! Cet acte d'audace m'a valu deux jours d'emprisonnement dans un cachot de la caserne de Sakina, Belcourt. Soudani Achour