Le verdict est tombé quelque temps après que se soient égrenées les dernières minutes de 2019. Issad Rebrab, homme d'affaires et patron de Cevital, est annoncé libre après plus de huit mois d'incarcération. La journée a été longue, très longue à Sidi-M'hamed où reprenait son procès reporté au 31 décembre mardi dernier. Issad Rebrab est arrivé d'El-Harrach très tôt dans la matinée mais n'en repartira que très tard dans la nuit après près de quinze heures passées au tribunal. Lorsque la juge l'appelle à la barre, il est neuf heures passées. Ses avocats demandent à la cour l'autorisation de projeter une vidéo de la machine de filtration et de purification d'eau, objet de la poursuite. La défense insiste en rappelant que l'affaire en elle-même porte sur l'importation de deux machines par la filiale du Groupe, Evcon Industry. Dans un récent communiqué, Cevital a rappelé qu'il s'agissait de prototypes conçus spécialement pour cette technologie exclusive au groupe. La défense demande également à ce que le tribunal procède à l'audition de l'ingénieur en chef autrichien ayant supervisé la conception des équipements destinés à l'usine Evcon. La demande de projection de la vidéo est rejetée, la juge la qualifie de procédure technique, mais elle se dit cependant prête à écouter le témoignage du constructeur de la machine en question. Etant de nationalité autrichienne, et ne parlant qu'anglais, il se fera assister par un interprète. La séance est levée et ne reprendra que près d'une heure plus tard. Il est alors 11h30. Issad Rebrab prend la parole. Ses propos sont formulés tantôt en français, tantôt en tamazight. La juge à laquelle il avait expliqué son incapacité à utiliser l'arabe pour des explications techniques lui rappelle, comme la première fois, qu'il pouvait se faire aider par un avocat maîtrisant sa langue maternelle (tamazight). Le tribunal énumère les chefs d'accusation pour lesquels il est poursuivi : surfacturation, transfert illicite de devises et falsification de documents. L'homme d'affaires nie en bloc tous les faits qui lui sont reprochés. Selon la juge, l'expertise entreprise conclut que «la valeur de ces équipements est inférieure à celle déclarée». Rebrab déclare que l'affaire, dans son ensemble, fait partie d'une machination ciblant sa personne. «Lors de mon passage chez le juge d'instruction, dit-il, j'ai demandé à ce qu'une contre-expertise soit effectuée, mais ce dernier a refusé.» Il nie l'accusation portant sur «l'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger». «Cevital est un grand groupe, sérieux, connu dans le monde arabe et dans plusieurs pays du monde, c'est le plus grand importateur en Algérie en dehors du secteur des hydrocarbures et ses recettes sont estimées à plusieurs dizaines de millions de dollars, c'est une erreur qu'il ne peut pas commettre.» Les questions de la juge sont nombreuses. Elle interroge Rebrab sur l'absence de factures avec la société sud-coréenne conceptrice des machines utilisées par Evcon. Elle mentionne la différence entre le montant de la facture révélé par les douanes sud-coréennes et celle déclarée en Algérie, puis elle lui demande de s'expliquer sur les différentes procédures utilisées pour introduire des demandes à l'ANDI. A chaque reprise, l'homme d'affaires trouve matière de défense. A la question de savoir pourquoi il a été décidé «d'introduire une demande à l'ANDI au nom d'Evcon, avec des factures surestimées, alors qu'une même demande avait été formulée par le groupe Cevital», il répond : «Je suis le président du conseil d'administration de Cevital, je n'effectue pas ce genre de procédure, elles incombent au directeur général.» Autre question : «Les Douanes algériennes ont adressé des correspondances aux Douanes sud-coréennes qui ont confirmé que le montant de la facture d'achat des machines dépassait les cinq millions d'euros, or, cela ne correspond pas au montant facturé par la société sud-coréenne.» Rebrab répond : «Cette société a procédé à la comparaison entre la facture de fabrication sans inclure le prix (80%) de la recherche et de la conception d'une machine unique au monde.» Il répond également à la première interrogation (la surfacturation) en expliquant que « c'est la société autrichienne qui a coordonné les opérations avec huit sociétés étrangères réalisatrices du projet Evcon. Cette dernière (Evcon), dit-il, a payé la facture des machines livrées et finalisées à la société autrichienne qui, elle, a payé les sous-traitants». Durant son audition, le témoin chargé de l'expertise de la machine en question a maintenu ses propos : «La machine est ancienne et son montant est surfacturé», déclare-t-il à la juge. Les longues explications ont pris tout l'après-midi. Il est un peu plus de dix-sept heures. Le directeur de la société Evcon a été interrogé au sujet d'un bon de livraison concernant un matériel destiné à Cevital puis mis sur le compte d'Evcon. «Le procédé est légal, dit-il, le client est libre de livrer la machine dans l'endroit de son choix (…) il n'y a eu aucune surfacturation ni falsification, les montants sont exacts et toutes les procédures ont été respectées. Evcon détient une facture détaillée de la société suisse le prouvant.» Durant ce procès, il y a eu également audition du représentant de Housing Bank poursuivi pour complicité dans les transferts de fonds illicites. Ce dernier a cependant justifié l'opération en se livrant à de longs détails techniques sur l'acheminement des fonds vers la société suisse. Il est déjà 20h30 lorsque l'audition des témoins prend fin. Le procureur requiert une année de prison. Les plaidoiries vont commencer. Elles durent un long moment. Le verdict tombe peu après minuit. Il est condamné à dix-huit mois de prison dont six mois fermes. Incarcéré le 23 avril dernier, Issad Rebrab a déjà purgé huit mois de prison. En ces premières heures de l'année 2020, il retrouve la liberté. Abla Chérif