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Les non-dits de la fouille franco-américaine du monument d'Abalessa (2e partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 06 - 2020


Par Dr Mourad Betrouni
Louis Chapuis : le maître d'œuvre
«Trouve le tombeau de Tin Hinan», ainsi se serait exclamé S. Gsell. C'est le libellé même de la commande, l'objectif de la fouille d'Abalessa. Comment S. Gsell, qui n'a pas fait l'extrême sud saharien, était-il au courant de l'existence d'une sépulture féminine dans le tombeau d'Abalessa ? S'il n'avait rien vu, par lui-même, il était, par contre, bien informé par un personnage-clé, que la littérature scientifique n'a jamais exposé au grand jour, alors qu'il est le véritable maître d'œuvre des opérations, sur le tronçon In Salah-Tamanrasset. C'est l'adjudant des compagnies sahariennes, Louis Chapuis (1887-1944), le bâtisseur des bordjs et balises de la route transsaharienne. Il a été le promu directeur des constructions de bordjs et routes transsahariennes. Il faut reconnaître aux «chantiers Louis Chapuis» d'avoir ouvert l'axe du Hoggar, qui présida à la conquête automobile du Sahara. Sa présence permanente sur le terrain lui a permis, en marge des travaux laborieux et surtout ingrats de terrassements, de répertorier et cartographier de nombreux sites archéologiques de surface et même parfois de les fouiller. Par l'importance de ses trouvailles et du corpus d'informations collectées, il deviendra, en 1922, membre de la Société préhistorique française, sur proposition de M. Reygasse. Il était au Sud depuis fort longtemps (13 ans avant la première fouille d'Abalessa), d'abord au titre de sa fonction militaire. Il quittera l'armée en 1923 avec le grade de capitaine mais retournera au Sahara en 1926, comme employé civil du Service des travaux publics des Territoires du Sud.
M. Reygasse et S. Gsell connaissaient bien Louis Chapuis et ses qualités sahariennes. Sur le tronçon In Salah-Tamanrasset, il était la pièce maîtresse. C'est lui qui conduira le comte de Prorok au tombeau d'Abalessa et encadrera ses recherches et investigations, entre In Salah et Abalessa. Personne, en dehors de Louis Chapuis, n'avait connaissance du terrain, du lieu et du contexte.
L'expédition franco-américaine Logan-Saharan Expedition
Comment concilier deux missions conjointes, l'une, ethnographique, convenue entre Reygasse et Pond, et l'autre, archéologique, concoctée par S. Gsell, L. Chapuis et le Comte Prorok ? (Ce dernier ne maîtrisait rien du sujet, il allait à l'aventure). Cette seconde mission, qui deviendra la MISSION, ne s'est jamais déclarée comme étant une entreprise de fouille archéologique, au risque de ne pas être autorisée par les pouvoirs civils et militaires. Elle s'est inscrite, subtilement, dans les termes de référence de la mission Reygasse-Pond.
De l'expédition
Par expédition, nous entendons l'idée d'un voyage scientifique, qui mobilise une équipe et une logistique, pour traverser ou accéder à un lieu, dans un but d'exploration, du genre des expéditions polaires. Il s'agit, ici, de la traversée du désert algérien, sur un trajet Alger-Tamanrasset, d'environ 2 000 km. Cette expédition ou aventure scientifique saharienne et au-delà de l'objectif spécifique, «fouille du tombeau d'Abalessa» qui, par certains aspects, ne serait qu'un simple prétexte, peut couvrir des sujets non annoncés, tels l'espionnage économique ou l'expérimentation des performances de matériels et d'instruments (pneus de véhicules, tractions, lubrifiants, appareils photos et cinématographiques, moyens de communication…) dans les conditions de contraintes climatiques et topographiques sahariennes. C'est cette caractéristique de l'exploration, qui intéresse, parfois en arrière-fond, les bailleurs de fonds et provoque le sens de l'aventure et l'engouement de ceux qui sont en quête d'exploits et de célébrité.
En tout état de cause, et selon le journal de Bradley Tyrrell, ce n'est qu'une fois arrivés à Ouargla, après six jours de route depuis Constantine, que le Comte de Prorok met au courant son équipage de son intention de «trouver une ville mystérieuse dont il aurait entendu parler, cachée à 400 km au sud de Tamanrasset». Lui emboîtant le pas, L. Chapuis laisse entendre qu'il connaît une colline dans le Hoggar où se trouvent des tombeaux non encore fouillés. C'est là une information de taille, puisqu'il s'agit du tombeau d'Abalessa, qu'il avait lui-même fouillé en 1921, probablement sans aboutir à son essentiel.
Ainsi, en dehors de S. Gsell, du Comte de Prorok et de L. Chapuis, personne d'autre ne semblait être au courant des intentions du Comte de Prorok, y compris les autorités militaires de Ouargla, qui avaient refusé de garantir la sécurité d'une opération non mentionnée dans le titre de mission, en s'engageant à ne déployer que des méharistes pour intervenir en cas de difficultés.
Nous verrons, plus loin, le rôle ambivalent des autorités militaires des Territoires du Sud qui, tout en encadrant discrètement l'expédition, ne se sont jamais impliquées d'une manière officielle dans les opérations.
Les membres de l'expédition
Dans cette expédition saharienne, nous distinguerons deux catégories de personnes, la première (A) comprenait des scientifiques ès qualités et la seconde (B) un effectif de techniciens qui fait plutôt penser à une équipe de tournage cinématographique.
Catégorie A : M. Reygasse, préhistorien et en même temps autorité administrative au titre du Gouvernement général ­— Alonzo Pond, anthropologue du Beloit College ­— Louis Chapuis, militaire, membre de la Société préhistorique française.
Catégorie B : Le Comte de Prorok, tête de file, principal argentier et tutelle de l'essentiel des moyens et équipements — Bradley Tyrrell, administrateur du Beloit College, chargé de couvrir le déroulement de toute l'expédition au travers d'un journal et de supports photographiques.
Il est la mémoire de l'expédition — Harold Denny, correspondant du New York Times, chargé de publier dans la presse américaine les évènements-phares de l'expédition, par envoi régulier de télégrammes — H. Barth, cinéaste suisse, chargé de filmer les faits et gestes du Comte de Prorok — Belaïd, interprète «indigène» du Nord, ayant vécu de nombreuses années au Hoggar, parlant le tamasheq, l'arabe et le français : il était traducteur officiel dans l'armée française, Martini, mécanicien, recruté à Tébessa, ayant une expérience des routes sahariennes.
Il conduisait le véhicule Lucky Strike, Chaix et Soublin, chauffeurs travaillant chez Renault, conduisant, le premier la Sandy et le second la Hot Dog (les deux sans expérience saharienne).
Le trajet Constantine-Tamanrasset (12-31 octobre 1925)
Le départ de l'expédition s'est fait depuis Constantine, le 12 octobre 1925, à bord des trois véhicules Renault, la Sandy, pilotée par Chaix, transportant Prorok, Denny et Barth ; la Hot Dog, conduite par Soublin, transportait Reygasse, Chapuis et Belaïd et la Lucky Strike, pilotée par Martini, avec à son bord Tyrell et Pond. Le convoi passe par Batna, rejoint Biskra le 14 octobre, pour récupérer L. Chapuis, ensuite Touggourt, le 15 octobre, pour arriver enfin à Ouargla le 17 octobre.
Les missionnaires sont reçus par le chef de bataillon Belandou, commandant militaire du Territoire des Oasis.
Pour l'autorité militaire, qui va assurer l'accueil, la sécurité et l'approvisionnement de cette équipe, il n'y a qu'une seule mission scientifique, dont M. Reygasse est le chef officiel et l'unique représentant de l'autorité civile. Mais dans la réalité, le constat est vite fait de la gigantesque machinerie américaine (finances, voitures motorisées, logistique, support médiatique) et du rôle prédominant joué par le Comte de Prorok, qui ne s'en cachait pas, d'ailleurs.
Le convoi arrive à In Salah le 24 octobre, où il est reçu par les autorités militaires, notamment le commandant Triolet, le lieutenant Darouy et le capitaine Pinon, chef de l'Annexe du Tidikelt-Hoggar.
Le 31 octobre, encadré par un détachement militaire, la «Franco-American Logan-Saharan Expedition» arrive à Tamanrasset, où elle est accueillie au Bordj Laperrine par le lieutenant de Beaumont, commandant du Groupe mobile du Hoggar et une «garnison militaire en tenue alignée sur trois files».
Tamanrasset et les recompositions tactiques
C'est à Tamanrasset que vont s'élaborer des recompositions tactiques, sorte de compromis tacite entre les membres de l'expédition, qui va déterminer la position de chacun face à une entreprise risquée, l'ouverture des tombes. Les Français n'auraient pas attendu un Américain pour se risquer dans cette besogne, s'il n'y avait pas cette crainte d'affecter la sensibilité des Touareg et donc de déranger un équilibre chancelant.
Deux groupes vont se former : — le premier, mobile, comprenant Prorok, Chapuis et Tyrrell, dont le programme consiste à exécuter, dans un rayon de moins 100 km de Tamanrasset, des opérations d'ouverture de tombeau (qui seront appelées fouilles archéologiques); — le second, fixe, comprenant Reygasse, Pond, Denny, Barth et Belaïd, établi dans le camp touareg. Son programme consistait en la collecte des récits et légendes, et la réalisation d'enquêtes et de films ethnographiques, sur le mode de vie des Touareg.
Un programme qui rentrait dans les termes de référence de la mission Reygasse-Pond. Nous ne savons pas comment ces deux groupes, l'un mobile et l'autre fixe, se sont constitués. Il y a lieu de retenir, surtout, que le groupe fixe n'a participé à aucune opération de fouille. Il ne saurait donc en être témoin, tout particulièrement Reygasse et Pond qui, paradoxalement, sont les deux seuls archéologues habilités à fouiller.
De l'ouverture des tombeaux par le groupe mobile
Le groupe mobile se déplaçait sur un seul véhicule, la Lucky Strike, conduite par le chauffeur-mécanicien Martini.
Il n'avait ni escorte militaire ni des représentants touareg. Il s'est déployé sur un itinéraire dont seul L. Chapuis en avait les repérages.
L'ouverture du tombeau de l'oued Tadent
Le 5 novembre, le groupe mobile se dirige vers un site, situé à une heure de piste de Tamanrasset, dans l'oued Tadent, à proximité de la célèbre «brèche géologique de l'Hadrian», là où se trouvait un tumulus de «120 m de circonférence». Il a été convenu de le fouiller, mais avec quels moyens ? C'est au hasard du parcours que quatre «autochtones noirs», de passage, sont recrutés pour dégager le tombeau, c'est-à-dire soulever les grosses pierres.
L'indigence des moyens est significative du caractère aléatoire, d'improvisation et surtout de clandestinité d'une opération qui durera, tout de même, quatre jours, du 5 au 8 novembre.
Des indications et informations livrées (par le journal de Tyrrel), font état du processus d'ouverture du tombeau et du matériel retiré : parmi les ossements, deux crânes, des mâchoires, des dents, des os de membres, associés à un mobilier comprenant notamment, des perles dont l'une en en jade et l'autre en œuf d'autruche, trois bagues en «fer». Nous ne savons rien de l'inventaire de ce matériel et de sa destinée.
L'ouverture du tombeau d'Abalessa
Le 9 novembre, le groupe mobile, à bord de la Lucky Strike, prend la route d'Abalessa en passant par Tit. Il y établit un campement de fortune et se prépare à l'ouverture du monument d'Abalessa. À partir de ce moment, Tyrrell sera mobilisé pour suivre dans les détails l'opération de dégagement du monument et ce sont ses notes, son journal et ses photos qui feront office de rapport d'inventaire du mobilier retiré.
Le dégagement des petites sépultures
L'ouverture des sépultures prendra cinq jours, du 10 au 14 novembre. Là aussi, une vingtaine «d'autochtones noirs» participeront au déblayage et au dégagement des grosses pierres. La description fait état d'un grand tombeau central, entouré de petites sépultures, avec, dans sa partie sud-est, un tombeau d'une plus petite dimension. De nombreux blocs portaient des inscriptions en tifinagh.
Après les premiers dégagements apparaît un ensemble de pièces avec deux ou trois portes. Des fouilles sont, d'abord, effectuées dans les petites tombes, en contrebas de la tombe principale et des ossements y étaient retirés, dont un «crâne très bien conservé». Tous les efforts sont concentrés sur la chambre centrale. Du mobilier d'importance commence à apparaître, des perles taillées, des nattes, un entrepôt, faisant penser à un lieu de sacrifice, un morceau de poterie décorée. Il faut souligner que, pour la circonstance, Tyrell avait fabriqué une table et un tamis de fortune pour tamiser les sédiments et récupérer le petit mobilier dont des perles et des petits fragments de poterie. Une preuve encore du caractère improvisé de la fouille.
Le 14 novembre, arrivés à la grosse dalle qui fermait la tombe principale, la fouille est interrompue pour reprendre le lendemain, le 15 novembre. Ce détail est d'une grande importance, puisque Tyrrell et le mécanicien-chauffeur Martini rentreront à Tamanrasset et ne laisseront sur la fouille que Prorok et Chapuis. Il est tout de même curieux que Tyrell, le chargé de suivi du processus de fouille, ne soit pas présent «au stade décisif de la fouille» (propos de Tyrell).
Pour la première opération d'ouverture des petites sépultures, nous avons un témoignage d'importance, le contenu d'un télégramme rédigé par Prorok, que Tyrell devait remettre à Denny pour l'expédier au journal le New York Times. Ce message se décline ainsi :
«Prorok fouille tombeau temple au milieu du Sahara ; c'est le plus grand édifice trouvé jusqu'à présent dans le désert. Situé dans l'oued Tit sépulture de Tin-Hinan la légendaire tombe de l'ancêtre des Touareg. Un mur extérieur a été découvert de quinze pieds de circonférence et de 180 m de long couronnant la colline. Fouilles actuelles concernent une série de pièces admirablement construites de style romain. À l'extérieur sur un niveau plus bas, 15 tombes de nobles. Une tombe fouillée, squelette, crâne exceptionnel bien préservé. 146 inscriptions en tifinar sur les pierres de l'édifice, plusieurs n'ont pas pu être déchiffrées. Intéressants dessins rupestres. Découverts dans la pièce principale des tapis de nattes recouverts de cuir, collier en cornaline, pierres colorées. Cinquième jour, des tonnes de pierres et de terre ont été enlevées sur une profondeur de 4 m. Vaste sépulture de 3,30 m au centre couverte de pierres. Découverts dans la pièce la plus haute de l'édifice des poteries et un casque en bronze ; une pointe de lance, des textures en ocre au milieu de l'édifice. Ces découvertes prouvent qu'il existait une civilisation évoluée ici dans l'Antiquité probablement correspondant aux empires d'Egypte et de Carthage. La pièce à côté de la sépulture contient des dépôts de matières végétales, peut-être une pièce où avaient lieu les sacrifices. Les murs sont d'une épaisseur de 4,60 m et sont d'une hauteur de 11 m. Expédition satisfaite. Le Hoggar était une région civilisée dans l'Antiquité.»
L'ouverture de la grande tombe
Pourquoi le Comte de Prorok et Chapuis sont restés seuls sur le chantier de fouille d'Abalessa et pendant quatre jours, du 15 au 18 novembre ? Ils fouilleront seuls la grande tombe, c'est-à-dire le squelette et ce qu'il est convenu d'appeler le trésor de Tin Hinan ; ils seront les seuls témoins de cet épisode d'extraction du squelette et de la récolte du mobilier.
Il est curieux, alors, de lire dans le rapport de mission de M. Reygasse la déclaration suivante : «Arrivé à Abalessa, où la fouille était pour ainsi dire terminée, j'ai pu constater que le travail avait été conduit avec la méthode la plus scientifique, avec le zèle le plus éclairé, par MM. de Prorok et Chapuis.» C'est, d'une part, un aveu, une manière de se décharger de la responsabilité de la fouille, et d'autre part, un compromis, apportant une caution scientifique au déroulement de la fouille. Une attitude douteuse, qui fera réagir son collègue Pond sur les conditions non scientifiques de la fouille. Voilà ce que ce dernier déclara en 2003 : «J'étais le seul membre de l'expédition à avoir fait des études d'archéologie. Le comte et Reygasse avaient passé beaucoup de temps à constituer des collections, et, comme beaucoup d'amateurs inexpérimentés, leur intérêt était seulement de trouver des objets. Ils n'avaient jamais appris l'importance de décrire et faire des croquis de la position de chacun d'eux.» [9] Il faudrait attendre la parution, en 1929, du livre de Prorok, Mysterious Sahara, pour parvenir au seul récit sur la fouille du monument d'Abalessa.
Le Commandement militaire de Ouargla et l'ambiguïté des rapports
C'est l'attitude du chef de bataillon Belando, celui qui était derrière tous les faits et gestes de l'expédition, en sa qualité de premier responsable, commandant du Territoire des Oasis, qui mérite attention, par l'ambiguïté de ses déclarations. Une fois la mission terminée (5-18 novembre), il déclara avoir été surpris d'apprendre que le tombeau de Tin Hinan avait été fouillé, et cela non pas pour l'importance de la découverte, mais pour l'impact que les fouilles auraient pu avoir sur les populations du Hoggar. Rassuré, tout de même, il ajouta qu'aucun incident n'a eu lieu et que l'impact sur les Touareg n'a pas été aussi grand, en raison de la discrétion de la fouille, qui n'a exploité que quelques «nègres embauchés comme terrassiers» et qui ont été éloignés lors de la mise au jour du squelette.
Le même Belando ne s'arrête pas à ce seul constat, puisqu'il faut tout d même d'autres explications, s'agissant surtout de la mission qui rentrait sur Alger sans son chef de mission, M. Reygasse. Voici ce qu'il écrivit au Gouverneur général : «J'ignore si M. de Prorok s'est présenté comme prévu au Palais d'été le 3 décembre. Je sais seulement qu'il a emporté en France, peut-être en Amérique, tout ou partie du mobilier archéologique d'Abalessa. De cela, M. de Prorok est inexcusable, car il savait parfaitement que tout ce mobilier devait vous être remis. Est-ce à dire que M. de Prorok soit vraiment, ainsi que quelques journaux l'ont laissé entendre, un personnage peu recommandable, presque un escroc ? En toute sincérité, j'ai de la peine à le croire. Je pense plutôt que M. de Prorok a voulu tirer de ses trouvailles le maximum de profit, et qu'en bon Américain, il a voulu en avoir pour ses dollars.»
En effet, le 29 novembre, le Comte de Prorok, Chapuis et Tyrell arrivent à Ouargla, à bord de la Lucky Strike, avec le «butin» d'Abalessa. Les deux autres véhicules, transportant le reste de l'équipe, étaient encore loin derrière. Le fait paradoxal est que M. Reygasse et Pond n'étaient pas du convoi, ils ont pris un tout autre trajet, à chameau, empruntant les pistes du Tidikelt, du Gourara, du Touat et du Grand Erg occidental, pour rejoindre, mais bien plus tard, Alger.
Il est surprenant, tout de même, que le responsable officiel de la mission, le détenteur des laissez-passer et autorisations, M. Reygasse, ne soit pas dans le convoi de retour de l'expédition. Qui représentait officiellement le convoi et qui était le responsable de la cargaison ? Ce qui est encore plus étonnant est que, sous l'autorité civile, en arrivant à Alger, le Comte de Prodok a pu quitter le sol algérien pour se rendre d'abord sur Paris ensuite sur les Etats-Unis, le 21 décembre. Il avoue lui-même que c'est le représentant du ministère de l'Instruction publique, S. Gsell, qui l'a autorisé à exporter «tout objet susceptible de démontrer l'importance de la découverte, et ‘'d'animer'' ses conférences».
Le devenir du «butin» d'Abalessa
Des informations reliées par les médias français, notamment, faisaient croire que le Comte de Prorok avait transféré aux Etats-Unis le squelette et le trésor de Tin Hinan. Or, selon le New York Times du 31 décembre 1925, le squelette de Tin Hinan n'avait jamais quitté le sol français et que la partie du trésor emportée par le Comte de Prorok aux Etats-Unis allait être restituée à la France, dans le cadre d'un compromis diplomatique.
Ces explications sont loin de nous convaincre, puisque en lisant, dans le journal l'Echo d'Alger du 29 mai 1926, un article signé H. Carbonnel, avec comme titre «Le trésor archéologique d'Abalessa revient à Alger», nous sommes quelque peu troublés. En introduction de cet article : «Avoir régné quelques lustres sur des bandes vagabondes de Berbères, être restée — bien ignorée — pendant plusieurs siècles sous les pierres amoncelées d'un tombeau perdu au centre du Sahara mystérieux, avoir sa sépulture brusquement souillée par la pioche sacrilège d'explorateurs avides d'archéologie, être amenée dans la libre Amérique par un ravisseur fier de sa proie, revenir enfin douillettement et soigneusement empaquetée au Musée des Antiquités d'Alger, telle est l'extraordinaire aventure de la reine Tin Hinan et de son inventeur, le Comte Khun de Prorok, dont nous avons, en son temps, raconté par le détail et en remettant bien ces choses au point, le roman archéologique».
M. B.
(À suivre)
(9) Pond Alonzo : Veiled Men, Red Tents, and Black Mountains, The Lost Tomb of Queen Tin-Hinan. The Narrative Press, 2003.


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