Mohamed Ferkioui, qui vient de nous quitter, a connu un succès tardif mais international. Il a fait partie de l'orchestre El Gosto, considéré à l'étranger comme le Buena Vista Social Club algérien. Tout a commencé en 2003, quand Safinez Bousbia est entré dans la boutique d'antiquités de Mohamed Firkioui, située dans la mythique Casbah d'Alger, nom aussi du premier club à Liverpool où les Beatles avaient commencé leur fabuleuse carrière. Attirée par un miroir dans la vieille boutique, la jeune Agéro-Irlandaise décida d'entrer et fit alors la connaissance de Mohamed Ferkioui. Celui-ci, plus intéressé pour lui conter son histoire que de lui vendre le miroir, saisit un album photos et, à chaque page, lui raconta un souvenir ou une anecdote. Safinez Bousbia découvrait, alors, l'histoire du chaâbi, la musique populaire algérienne. Mohamed Ferkioui est fier d'avoir fait partie de la première classe de musique chaâbi au conservatoire municipal d'Alger, dont le professeur était El Hadj M'hamed El Anka, père fondateur de cette musique. Il se remémorait aussi ses amis de l'époque qu'il n'avait pas vus depuis une cinquantaine d'années. Emue par l'histoire de cet homme, Safinez Bousbia s'est mise en quête de retrouver les musiciens qui partageaient avec lui cette passion. Il lui aura fallu plus de trois ans pour les retrouver et les réunir. Un concert de retrouvailles des membres de l'orchestre El Gosto fut organisé, en 2007, à Marseille. Devant le succès, l'orchestre prit son envol et partagea alors cette musique dans les salles les plus prestigieuses du monde. Safinez Bousbia porta également à l'écran cette aventure humaine, et en 2012, le film El Gusto sortait en salle en France et ailleurs. Le musicien et chef d'orchestre chaâbi, Mohamed Ferkioui, qui a donc inspiré le projet de l'orchestre et du film documentaire El Gusto, est décédé mercredi à Alger, à l'âge de 80 ans, des suites d'une longue maladie. Né en 1940 à Alger, Mohamed Ferkioui avait fait ses premiers pas dans la musique au sein de l'association El Fekhardjia avant d'intégrer la première classe de musique chaâbi dirigée au Conservatoire d'Alger par Hadj M'hamed El Anka. Il a également fait partie, très jeune, de la troupe d'El Anka, comme accordéoniste puis chef d'orchestre, à la fin des années 1950. Au lendemain de l'indépendance, Mohamed Ferkioui, pianiste et accordéoniste, dirige les orchestres de grands noms de la musique algérienne dont El Hadj M'hamed El Anka et Dahmane El Harrachi en plus de sa collaboration avec d'autres chanteurs. Dans La Casbah, il est également connu en tant que maître miroitier et artisan spécialisé dans la fabrication d'objets d'art dont les coffres. Installé dans l'atelier de son père dans la Basse-Casbah, Mohamed El Ferkioui a été ainsi l'inspirateur du projet «El Gusto» après sa rencontre avec l'architecte algéro-irlandaise Safinez Bousbia en 2003 qui s'efforça alors de retrouver puis de réunir les musiciens juifs et musulmans ayant fait partie de l'orchestre et de la classe d'El Anka au Conservatoire d'Alger, au début des années 1950. L'orchestre de musiciens vivant en France et en Algérie a été réuni en 2006 avec 42 musiciens sur scène grâce à l'aide et la contribution de grands noms de la musique algérienne comme Cheikh Ahmed Bernaoui (disparu en 2011), El Hadi El Anka (le fils de Hadj M'hamed El Anka), Abdelkader Chercham, Mustapha Tahmi ou encore Abdelmadjid Meskoud. À Paris et à Marseille, les témoignages de Robert Castel, Luc Cherki, Maurice El-Medioni et de René Perez avaient guidé Safinez Bousbia pour retrouver d'autres musiciens. Cette aventure s'est soldée par un film documentaire El Gosto primé à l'étranger, l'enregistrement d'un album et une tournée internationale qui a emmené l'orchestre dans des pays comme la France, le Maroc, la Tunisie, la Suisse, la Belgique, les Etats-Unis ou les Pays-Bas. Mohamed Ferkioui a été inhumé jeudi à Aïn Naâdja (Alger) au cimetière d'El Malha. Kader B.