Lundi dernier, en feuilletant les pages du journal électronique saoudien (et un peu marocain), Elaph, j'ai été attiré par ce titre assez insolite, même en ces lieux : «Appel à une nouvelle réécriture du Coran.» Enfin un sujet intéressant, me suis-je dit, et qui nous change de toutes ces inepties, courantes sur les réseaux sociaux et dans les médias, sur le Coran, comme thérapie de choc contre le Covid-19. Toutes ces démonstrations de piété et de foi renouvelée dans les ordonnances divines, que ce soit dans la gestion de nos destinées ou dans celle du système solaire étaient assez étranges, en effet. Notre génération a connu des pratiques comme la toise, les versets coraniques portés en amulettes autour du cou, qui étaient délivrés par des imams, des cheikhs, ou des délégués de saints locaux. Mais comme s'ils n'avaient rejoint la révolution que dans ce but, nos pseudo-réformateurs n'ont cessé de dénigrer nos saints et nos zaouïas, leur reprochant essentiellement de soigner par le Coran. En bons patriotes, et parce que c'est le FLN/ALN qui les traitait de suppôts du colonialisme, nous avons donc abjuré nos croyances anciennes et abandonné nos saints pour le socialisme islamique. Mais quelques décennies après l'indépendance, et toujours en provenance de l'Est, un nouvel Islam nous apprend que la thérapie coranique est légale et instamment recommandée. Elle est même plus efficiente que la médecine gratuite. En somme, la médecine prophétique peut être l'alternative par excellence, à condition qu'elle soit pratiquée par des imams nourris de préférence à la mamelle wahhabite et recyclés régulièrement. Mais revenons à nos moutons, puisqu'il s'agit aussi de sauver le cheptel saoudien, destiné à un plus vaste sacrifice, au regard duquel nos agapes de l'Aïd passeront plutôt pour une fête païenne. Parlons d'abord de l'auteur de «L'appel à une nouvelle réécriture du Coran» publié par le site Elaph, réputé être le plus libéral de la presse saoudienne, même s'il reste dans la ligne officielle. Il s'agit d'un certain Géorgies Kollizada, qui ne se contente pas d'être simplement un vétérinaire kurde irakien, mais qui se pique d'écriture et publie régulièrement ses contributions dans la presse arabe. Ce qui frappe, de prime abord, c'est qu'il ne parle pas de simple réécriture de Coran, mais de nouvelle réécriture, comme pour rappeler, et c'est historiquement vrai, que le Coran a déjà été remanié. Arrêtons-nous à ce titre, pour l'instant, puisque, dès le lendemain, avant même que les lecteurs n'aient eu le temps de parcourir le texte, il a disparu subitement des pages d'Elaph, malgré le lien. Ce qui est encore plus remarquable quand on recherche, par le titre ou par l'auteur, le texte en question, sur Google, on trouve plus de réactions hostiles au point de vue, alors que le lien est inactif. C'est d'ailleurs dans ces réactions négatives, de condamnation, que réside l'intérêt principal de l'initiative, puisqu'on peut constater que l'ouverture d'esprit qu'on prête aux musulmans n'existe pas. Le sujet devient encore plus intéressant, quand on découvre que toutes ces réactions sont rapportées sur le site de la chaîne qatarie Al-Jazeera, qui publie des réponses à un texte qu'on ne voit pas. La chaîne de Karadhaoui s'en lave les mains et ne se préoccupe même pas de savoir pourquoi le lien qu'elle publie avec le résumé de l'appel est inactif, et conduit seulement à un message d'erreur. Le résumé livré par la chaîne dit ceci : «Dans un article, l'écrivain et chercheur politique Géorgies Kollizada justifie cet appel par l'existence de fautes d'orthographe dans la calligraphie othmanienne.» On note aussi que l'auteur de l'appel est un non-musulman, même si on omet de préciser qu'il s'agit d'un membre de la communauté yézidie, qui a été persécutée par les terroristes de Daesh. Il s'agit de messages postés sur Twitter, et qui portent la marque d'une certaine opposition, sinon de l'hostilité à l'Arabie Saoudite, comme l'atteste celui-ci : «Par Dieu, comme de tels propos sont faciles. Mais appelle à la chute du pouvoir des Al-Saoud, et tu trouveras devant ta porte 20 uniformes noirs et 100 soldats des forces spéciales. Ils te forceront et t'accuseront d'être un frère musulman qui cherche à renverser le régime, avec la complicité du Qatar.» Un autre tweet est plus explicite encore puisqu'il accuse directement l'Arabie Saoudite : «Le journal Elpah que dirige l'ami proche du roi Salmane et l'un des conseillers d'Ibn Salmane demande de réécrire à nouveau le Coran et de reviser les fondements théologiques de l'Islam. Il ne leur reste plus qu'à ramener les idoles à La Mecque !» On comprend donc mieux pourquoi Elaph a retiré le texte de Géorgies Kollizada, tout en oubliant de retirer le lien censé conduire vers le texte concerné et qui mène à une page inexistante. Heureusement que des sites électroniques qui n'ont pas peur de s'attaquer aux tabous ont eu la bonne idée de le reprendre, à moins que l'auteur, prévoyant, ne leur ait transmis une copie. Le site Al-Hiwar Al-Moutamadine (Dialogue civilisé) est de ceux-là, et il se trouve justement que l'auteur de l'appel y est habituellement hébergé avec son blog et qu'il y publie régulièrement ses contributions. L'article en question est en réalité une réflexion sur les bouleversements intervenus dans la pratique et les rituels religieux, comme dans l'Islam avec l'arrêt des prières collectives et du pèlerinage. Il souligne notamment que l'abandon de certains codes et rituels, pour cause de Covid-19, a ouvert des perspectives nouvelles à la réflexion sur la nécessité de réformer certains dogmes et textes. D'où sa proposition de réécrire le Coran, retirée sitôt publiée, par crainte, semble-t-il, de réactions comme celles déjà évoquées, ce qui fait de l'initiative un simple coup d'épée dans l'eau. En attendant des temps plus favorables, et peut-être un prochain Covid-20 plus dévastateur, et qu'il sera difficile de faire passer pour une épreuve divine. A. H.