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Le jour où Kateb Yacine rencontra Brecht
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 08 - 2020

Nous vivons dans un temps de régression où la tolérance est perçue comme une faiblesse, voire une reddition, le débat et la nuance ringardisés. D'un certain point de vue, le monde unipolaire nous semblerait presque plus intolérant qu'à l'époque de la Guerre froide. Comme quoi ! Pourtant plus que jamais, la confrontation des points de vue, l'acceptation de la différence comme socle de la démocratie méritent de rester une exigence.
On en était là de ces réflexions antédiluviennes, lorsqu'un travail sur Kateb Yacine, en cet été flasque, nous a conduits à relire certains de ses écrits et certaines interviews qu'il avait accordées. Quel plaisir de retrouver ce petit bouquin qui ressemble à une brochure du PAGS clandestin, celui d'avant la déflagration ! Du reste, il est regrettable, en ces temps de confusion, que des publications de cette qualité soient absentes pour densifier et clarifier un débat de guingois.
Il s'agit d'un entretien mené vers 1983 mais édité par Laphomic en 1986. Intitulé « Kateb Yacine, un homme, une œuvre, un pays », il a été réalisé par Hafid Gafaïti pour la revue artisanale underground, Voix multiples, co-animée par Hadj Meliani, à Oran.
L'entretien à bâtons rompus révèle un Kateb Yacine égal à lui-même, pugnace comme un boxeur, percutant, aux positions tranchées, assumant jusqu'à son admiration pour Staline. « Mais tous ces messieurs qui insultent Staline lui doivent la liberté car, sans lui, ils seraient passés sous la botte hitlérienne », y disait-il, entre autres.
Pourtant, Kateb Yacine que l'on caricature tout d'un bloc, faisait preuve de nuance, n'hésitant pas, si nécessaire, à aller à contre-courant de ses convictions d'airain.
Cet homme de gauche, impavide, n'épargnant personne, n'était pas imperméable à l'altérité idéologique et savait surtout reconnaître le talent chez l'ennemi de classe quand il existait. Il n'hésitait pas non plus à être au besoin impitoyable avec les siens, les gens de gauche, comme le révèle l'épisode de sa rencontre avec Bertolt Brecht.
Concernant l'idéologie, il était capable d'adopter James Joyce comme « père spirituel » en dépit « de ses idées réactionnaires anti-patriotiques », et de voir en William Faulkner, « le véritable héritier de Joyce », tout aussi réactionnaire que l'auteur d'Ulysse, un autre écrivain dont il revendiquait l'influence.
Il l'affirmait tout net : « Je préfère un écrivain comme Faulkner qui est parfois raciste mais dont l'un des héros est un Noir, à un Camus qui affiche ses opinions anticolonialistes alors que les Algériens sont absents de son œuvre... »
Est-ce étonnant que, dans cet entretien, Kateb Yacine qui assumait le marxisme-léninisme — (« La haine de Staline et du marxisme-léninisme, c'est un bon certificat pour les chiens de l'impérialisme. Et quand ils hurlent à nos trousses, c'est plutôt bon signe »), — ne cite quasiment aucun écrivain de gauche comme référence littéraire, hormis Bertolt Brecht, et pour dire qu'il n'est pas d'accord avec lui ?
Ce qui compte pour Kateb Yacine, ce ne sont pas les certitudes claironnées mais « le moment où l'écrivain se débat avec ce qu'il a à dire et ce qu'il en sort ». Il s'agit de sonder « la puissance créatrice », et là, ce qu'affirme Kateb Yacine pourrait surprendre ceux qui l'ont enfermé dans le dogme d'un sectarisme obsidional de gauche. Après avoir exprimé son admiration pour Joyce et Faulkner, ces fieffés réactionnaires, il ajoute dans le panier de ses prédilections « Balzac, Dostoïevski et d'autres. Comme par hasard, ce sont tous des réactionnaires, et pourtant de grands écrivains. C'est une grande leçon pour les gens qui se disent progressistes parce que je m'aperçois maintenant que le courage est à droite. Il n'y a qu'à voir Soljenitsyne. » Il tempère cependant en constatant que « ce qu'ils disent n'est pas fameux ».
En ce qui concerne le théâtre et plus spécialement sa rencontre avec Brecht, étonnement renouvelé d'apprendre que l'un des dramaturges les plus importants de notre pays n'avait, selon ses propres dires, « jamais mis les pieds dans un théâtre jusqu'au jour où l'on a créé Le Cadavre encerclé » en 1958. On aurait pu croire que Kateb Yacine, jeune dramaturge proche des idées communistes, se sentirait dans la proximité du pape du théâtre progressiste européen Bertolt Brecht.
Celui-ci, jeune prodige du théâtre d'avant-guerre, avait dû fuir l'Allemagne nazie et se réfugier aux USA où il travailla un temps pour Hollywood. Après la guerre, il s'installe en République démocratique allemande (RDA) où le gouvernement lui confie la direction de l'un des plus grands théâtres de Berlin-Est, le Berliner ensemble. C'est à partir de cet antre qu'il développera un répertoire prestigieux dans lequel il mettra en application son principe de la distanciation qu'il situe à la « frontière de l'esthétique et du politique » et qui permet, en prenant « ses distances avec la réalité », de faire « percevoir un objet, un personnage, un processus, et en même temps de le rendre insolite ».
On n'a pas mal écrit sur cette rencontre entre le jeune auteur algérien Kateb Yacine et le très célèbre dramaturge Bertolt Brecht. C'était à Paris en 1955, un an avant sa mort, Bertolt Brecht était venu de Berlin présenter sa pièce, Le Cercle de craie caucasien. « Il avait emmené le Berliner ensemble, et tout un train spécial rien que pour le décor », raconte Kateb Yacine.
Jean-Marie Serreau, comédien et metteur en scène français qui a monté les premières pièces de Kateb Yacine en bravant la censure, qui était en train de faire traduire Le Cadavre encerclé en allemand, et qui en avait parlé à Bertolt Brecht, organisa la rencontre entre les deux hommes dans un restaurant. « On ne peut pas dire que c'était une véritable rencontre. Il venait juste de finir de bouffer, on nous a présenté l'un à l'autre et nous avons échangé quelques mots », poursuit Kateb Yacine. Il précise à l'intention de Brecht que Le Cadavre encerclé était une tragédie. Et Brecht lui répond que le temps de la tragédie est passé depuis la Grèce antique. Le jeune Yacine rétorque : « Actuellement, en Algérie, nous vivons une tragédie, c'est ça que j'écris. »
Trente ans plus tard, répondant aux questions de Hafid Gafaïti, Kateb Yacine déplore : « Nous n'avons pas pu nous entendre parce que le temps nous a manqué pour nous expliquer et que ce n'était ni le moment, ni le lieu pour le faire. »
Il reconnaît l'évidence selon laquelle la position de Brecht et la sienne étaient différentes. Il met cette différence sur le compte de la nature du public auquel chacun s'adresse. « Si tu parles le langage que nous parlons à un public allemand, celui-ci ne l'avalera pas. Il dira que nous faisons de la propagande (...), par contre, quand moi je m'adresse au public algérien et que je lui parle d'impérialisme, il n'est pas besoin de distanciation et de détours pour lui montrer ce qu'est l'impérialisme. Il est en plein dedans. »
Pourtant, Kateb Yacine et Brecht, en dépit des divergences formelles, allaient dans le même sens. Kateb Yacine perçoit dans le travail de Brecht un «vrai théâtre politique », même « s'il ne s'engage pas directement dans les événements actuels».
Kateb Yacine avouait avec humilité qu'il ne connaissait rien du théâtre « que ce que j'ai appris avec Serreau, le peu de temps que nous avons passé ensemble ». Il n'est pas étonnant qu'il ait divergé avec Brecht autour de la tragédie et du théâtre grec que le maître allemand trouvait dépassé. Kateb Yacine a fait ses premiers pas dans l'écriture théâtrale sous les auspices d'Eschyle. Retour au présent et à son intolérance. À la Sorbonne, en France, en mars 2019, des groupuscules anti-négrophobie empêchent la représentation de la pièce Les suppliantes d'Eschyle sous prétexte que les acteurs portaient des masques... noirs !
A. M.


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