On parle beaucoup de diaspora depuis quelque temps. Souvent, d'ailleurs pour la fustiger. Elle ne sait pas être toujours dans l'axe. Mais la diaspora, c'est quoi exactement ? On a longtemps désigné l'ensemble de nos compatriotes expatriés soit par le terme connoté d'« immigration », soit par l'expression plus neutre d'« Algériens établis à l'étranger ». Pourtant, depuis quelque temps, le mot suspect de diaspora s'insinue en catimini dans le lexique sociologique et politique. C'est une question complexe et néanmoins nécessaire de savoir si cette immigration constitue ou non une diaspora. Et c'en est une autre de savoir si le mot diaspora a pour synonyme lobbying, et si dans ce cas elle est une entité manipulable et surtout par qui. Controverses intéressantes dignes d'être développées, mais dans d'autres cadres qu'une chronique d'humeur. Pour le moment, à la faveur du mouvement du 22/2 qui a restauré le lien des Algériens vivant à l'étranger avec le pays, on s'est amusé à demander à quelques membres de cette diaspora de donner leur sentiment et de raconter quelques anecdotes en rapport avec cet événement qui a retissé les liens avec la matrice nationale. Ahmed a grandi en France et vit actuellement en Savoie. Ce qui l'a le plus marqué dans le mouvement de contestation « c'est la joie à l'unisson parmi tous mes amis d'origine algérienne. Le fait aussi que les Algériens aient été exemplaires dans le refus de céder à la violence ». Sofiane vit à Toulouse et raconte deux anecdotes « significatives », selon lui, à propos du Hirak dans sa ville. D'abord, l'intervention régulière « d'un petit groupe de benbellistes – une espèce que je croyais disparue – avec des rappels répétés et quelque peu pathétiques sur le coup d'Etat de juin 1965 et même sur Cap Sigli en 1978 ». Autre anecdote contée par Sofiane « l'apparition de personnalités singulières suffisamment nombreuses pour attirer l'attention. Des électrons libres ayant des histoires ou des haines personnelles contre le pouvoir. Ils monopolisaient la parole en racontant avec force détails des parcours qui n'avaient rien à voir avec le Hirak». Hana vit à Lille. Mais c'est à Paris, au Musée de l'Immigration, qu'elle a rencontré, la veille d'une marche, des compatriotes qui visitaient ce musée « un débat très intéressant s'en est suivi sur notre rapport à l'immigration, comment nous la vivions et pourquoi nous allions manifester ». Elle confie aussi cette autre anecdote qui s'est déroulée cette fois à Alger où elle avait tenu à aller manifester le 1er novembre 2019. « Des jeunes affluaient de partout. Beaucoup ont passé la nuit dans la rue. J'étais descendue dans un hôtel au centre-ville d'Alger. On a discuté une partie de la nuit à même le trottoir en face de l'hôtel. L'échange fut émouvant et drôle. Ils avaient de l'humour. Ils étaient heureux de raconter leurs parcours, leurs rêves et leur vision de l'avenir ». Un jeune Algérois les a rejoints : «On l'appelait le Poète de la Révolution. Il nous a captivés avec ses vers. Il dégageait une maturité détonante. Je l'ai croisé à nouveau le lendemain et quelques jours plus tard. Un jour, j'apprends sur sa page Facebook qu'il avait été arrêté. » Djamila A. raconte qu'au 3e rassemblement à Montréal où elle demeure « il y avait un gars balaise qui, en pointant du doigt des militants du MAK, disait en arabe à ses copains : ‘'Ces gars, on doit s'en occuper''. » Djamila s'en approche et lui dit : - Avez-vous quelque chose contre ces personnes ? Le balaise surpris, répond par la négative. Djamila insiste : - T'ont-elles agressé ? Toujours non. - Sont-elles algériennes ? - Oui - Ont-elles le droit de s'exprimer ? - Oui - Es-tu là pour que le système dégage ? Toujours oui. Djamila achève ce bref échange par ces mots : - Tu as plutôt l'air d'être là pour remplacer le système ! » Toujours à Montréal, Kamel relève que le mouvement de contestation a donné à voir un peuple exceptionnel mais aussi des ego démesurés et une détermination infaillible. À Montréal, il a même stupéfié les Canadiens. Voir des Algériens manifester à -40 degrés pour un pays qu'ils ont quitté, « c'est juste incroyable ! » Karim, quant à lui, habite Turin en Italie. Il révèle avoir rencontré deux activistes du Hirak en Italie du Nord. D. un gars originaire de Touggourt, RCdiste, éradicateur, sympathisant de la cause amazighe, et M. originaire de Dellys, ex-Fis, islamiste assez radical et arabiste convaincu, négationniste de l'existence même des Amazighs. Tous deux avaient quitté l'Algérie pendant la décennie noire et chacun se considérait comme victime et accusait l'autre d'être la cause de son départ. « Une semaine durant, ils se sont affrontés sur la page Facebook du Hirak en Italie à coups de posts, news et vidéos, plus ou moins vrais, plus ou moins fake, s'accusant mutuellement de vouloir monopoliser le mouvement au profit de sa propre tendance ». Et voilà que le dimanche, jour de manifestation, on les retrouve collaborant tous les deux à l'organisation du sit-in, sans heurt et sans affrontement. « Si le Hirak venait à disparaître demain, nous dit Karim, ces histoires seraient peut-être la preuve de son apport le plus significatif, celui d'avoir démontré aux Algériens que l'on peut construire des choses ensemble tout en restant différent. » A. M.