Pourquoi le baccalauréat est-il assimilé ironiquement à une peau d'âne ? Voici une question en apparence inutile, mais qui a cependant un intérêt certain pour peu qu'on la compare aux tristes accommodements que ne cessent de subir les diplômes algériens. Avant d'entrer, par conséquent, dans le vif du sujet concernant l'étonnant baccalauréat dans sa version indigène, il est tout de même nécessaire de situer d'où lui est venu le qualificatif et quand avait-on décidé de tourner en dérision sa notoriété alors qu'il en allait autrement plusieurs années auparavant ? Considéré comme « dangereux et inutile », dès 1905, par l'Echos de Paris, ce journal n'hésitera pas à tirer à boulets rouges sur cet examen considéré comme « inique, absurde et de fort peu de valeur », selon la feuille de presse de l'époque et qu'internet nous a donné à lire. Un jugement contesté tout de même dès sa diffusion puisque l'on nous apprend qu'en ce début du XXe siècle, « la France semblait s'articuler autour de son prestige ». Seulement, l'on avait été peu regardant quant à l'influence de l'humour ravageur des chansonniers lesquels mettaient les rieurs de leur côté en habillant de cette « peau d'âne », empruntée à un conte de Gilles Perrault, tous les titulaires de cette distinction. Certes, le baccalauréat surmonta la satire et survivra noblement dans la majorité des sociétés de la planète quand bien même l'étiquette péjorative dont il s'agit avait fini par s'imposer dans le langage courant.(1) Or, si la métaphore demeura quand même le signe distinctif de la réussite hors de nos frontières en dépit du fait que le nom commun du fameux baudet le laisse penser, il en allait autrement chez nous. En effet, l'école algérienne vient à nouveau d'accomplir le pire recours dans ses sanctions. Celui de procéder au rabais en estimant « flatteur et populaire » la décision d'autoriser l'admission à l'université pour des potaches ne répondant guère aux minima des requis pour être déclarés reçus ! Voici ce qui actualise, aux dépens de notre enseignement, cette vieille moquerie pédagogique se référant à la « peau d'âne » alors qu'il était aisé de s'en passer ! Comme quoi, il est décidément étrange ce pays qui est le nôtre où pas un seul domaine de la vie sociale n'est épargné des approximations dont l'école algérienne est précisément une triste victime. D'une année scolaire à l'autre, n'a-t-elle pas connu, en effet, autant de détériorations qui firent d'elle le secteur le plus déficitaire en termes de performances ? Car, d'une année à la suivante, l'accumulation des retards en savoirs non inculqués a fini par tirer vers le bas les programmes et les examens de fin de cycle (6e, brevet, baccalauréat). C'est que l'enseignement était passé du statut du savoir à celui de machine à endoctriner. Aux ravages occasionnés par tous les genres de conditionnement se sont rajoutées cycliquement les revendications corporatistes qui furent sûrement à l'origine de son délitement même au plan moral comme ce fut le cas des brigandages et de la triche lors des sessions du baccalauréat. Face à cette situation, pourtant dénoncée régulièrement, la bureaucratie prescrira une fois de fausses thérapies et une autre, par exemple, des états généraux pour changer « matériellement » le statut social du maître dont on affirmait qu'il était en partie à l'origine de la médiocrité de son magistère. C'est ainsi qu'au fil des réformes qui se succédèrent tout au long de la présidence de Bouteflika, les spécialistes finirent par admettre que les procédures engagées pour chaque palier souffraient d'une absence criante de complémentarité au point de fonctionner comme un empilement de systèmes sans cohérence logique d'un passage de niveau au suivant. Or, à ce jour, ce sinistre-là continue à faire des victimes essentiellement dans le palier supérieur. C'est le cas de l'université, cet immense réceptacle de têtes mal dégrossies qui devra, malgré tous les impératifs novateurs, se contenter d'un enseignement archaïque en perpétuant les contenus de filières parfois sans ouvertures plausibles sur de futures sciences. C'est ainsi que, contrairement à ce que l'on préconisa dans les années 1970/80, l'enseignement supérieur avait subi à la même époque une régression sans pareille dont les premières manifestations coïncidèrent avec la structuration des doctrines religieuses et leur insertion définitive dans le corpus éducatif. La mainmise des idéologies intégristes avec comme maîtres d'œuvre une majorité de locuteurs arabophones imposa un étrange rééquilibrage des filières d'enseignements, exigeant une budgétisation comparable entre l'implantation de laboratoires scientifiques et des travaux de recherche aux modestes ressources. D'ailleurs, les universités algériennes, derniers bassins du cycle de formation, illustrent tristement l'étendue du désastre. Car tous les bidouillages successifs des pouvoirs précédents ont détruit la notoriété des traditionnels campus algériens en démonétisant, comme jamais, les diplômes décernés à présent. En effet, le recours permanent aux demi-mesures, que l'on n'eut de cesse d'infliger à l'enseignement de base, n'avait-il pas fini par rendre confus les critères de sélection sans quoi les universités étaient condamnées pour toujours à devenir des parkings pour diplômés de seconde main et fatalement des chômeurs en puissance. Car, l'on aura beau se défausser de l'immense mascarade des « peaux d'ânes » version algérienne, en se targuant du pragmatisme qu'imposera la « raison du corona », on ne justifiera guère les aberrations politiciennes qui sont chaque fois à l'origine de la médiocrité galopante du magistère des universités. Souvenons-nous, d'ailleurs, des compromis pédagogiques du passé dont on s'est tellement servi avec une dangereuse légèreté et qui ont permis à la religion de devenir matière dans les examens de paliers (6e, BEM et bac). Voilà qui explique, en grande partie, le lent déclassement de notre système éducatif. En effet, en l'espace d'un quart de siècle, soit deux générations de scolarisés, le cursus des élèves a fini par être lourdement référencié à travers l'éducation coranique et cela au détriment des sciences exactes. Les raisons de cette interminable capitulation de l'Etat devant certaines revendications « essentialistes » en termes de morale s'expliquent plutôt par le goût prononcé pour les compromis à court terme de nos dirigeants. Devenue chasse gardée d'un enseignement oblitéré par la censure religieuse, l'école s'installa dans l'endoctrinement et rien d'autre comme supplément éducatif ! Or, ce sera d'abord l'école qu'il faudra vite changer tout en mettant un terme à l'usage politique du baccalauréat national que l'on vient d'offrir comme une récompense du 1er Novembre afin de réjouir les parents des potaches. B. H. (1) Consulter le site france-pittoresque.com (Baccalauréat : diplôme considéré comme dangereux et inutile en 1905, d'après L'Echo de Paris).